lement. I n est pas rare qu'après une cinquantaine d'années les mots n'aient plus le même sens qu'on leur avait d'abord donné. Des mots dans le principe, très-convenables, comme formule de prières, donnent quelquefcis lieu, plus tard, à une autre époque, à des allusions inconvenantes. Il faudrait donc que l'Eglise fut toujours occupée à remanier partout ses prières, à changer ses livres d'Offices. Il y aurait lieu de craindre que, dans ces variations fréquentes, il ne se glissât des erreurs compromettantes pour la pureté de la doctrine chrétienne. »Et voilà précisément pourquoi nous avons dit que l'adoption, dans chaque localité, de la langue du pays, était difficilement praticable. Le principe de cette adoption une fois admis, il faudra l'étendre non-seulement à tous les lieux, ce qui est évident, mais encore à tous les temps, au fur et à mesure des changements notables qui se feront dans chaque langue, comme nous venons de le faire remarquer. De là un nombre infini de traductions qui auront également besoin de l'approbation de l'Eglise, pour être remises, en son nom, entre les mains de tous. Or, je vous le demande, par qui sera donnée cette af probation? Par l'évêque du lieu, pour chaque localité? Mais chaque évêque ne peut représenter l'Eglise, en pareil cas. Quelque respectable que soit son autorité, elle ne saurait s'étendre jusquelà. Par le Souverain Pontife? Mais il lui faudrait, ce qui est impossible, une connaissance approfondie de toutes les langues du monde. Par le Souverain Pontife, sur le rapport de chaque évêque diocésain? Mais, alors, ou ce sera l'évêque qui décidera la chose, ou le Souverain Pontife: dans le premier cas, c'est l'autorité qui n'est pas suffisante; dans le second cas, c'est la connaissance de la langue. Donc avons-nous dit avec raison, l'adoption par l'Eglise, en chaque localité, de la langue du pays, est difficilement praticable, si ce n'est même entièrement. Parler une langue inconnue, ajoute-t-on, c'est à peu près ne rien dire. Vous vous trompez, ou plutôt vous essayez de nous tromper, en confondant des choses parfaitement distinctes. Expliquons-nous donc. Parler à quelqu'un, de qui on veut se faire comprendre, une langue complétement inconnue, c'est à peu près ne rien dire, sans aucun doute. Mais vous ne voyez rien de semblable dans l'Eglise. Bien au contraire : quand le prêtre s'adresse aux fidèles, comme dans le sermon, les conférences, le caléchisme, il ne se contente pas de parler la langue de ceux qui l'écoutent, il se met, autant que possible, à leur portée. L'emploi, en pareil cas, de la langue vulgaire, et quelquefois d'une langue très-vulgaire, est, d'une part, nécessaire, et n'a pas, d'une autre part, les mêmes inconvénients que pour la liturgie. Cet emploi est nécessaire, avons-nous dit, puisque, sans cela, les fidèles ne pourraient être instruits. Il n'a pas les mêmes inconvénients que pour la liturgie, avons-nous dit encore; car ce que dit, en son propre nom, le ministre de la religion, ne doit ni ne peut avoir la même uniformité, la même dignité, la même pureté que ce qu'il dit au nom de toute l'Eglise. Vous me direz peut-être que le prêtre adresse pourtant aux fidèles quelques mots latins, même pendant les prières. Oui, vous avez raison, quelques mots; mais ce sont des mots si simples, si fréquemment répétés, qu'il n'y a presque personne qui ne les comprenne. Qui ne sait encore que la posture du prêtre, son geste, son accent, le son de sa voix, mille choses servent à les faire comprendre? A ces quelques mots près, à qui s'adresse le prêtre dans tout ce qu'il dit en latin, soit seul, soit avec l'assemblée des fidèles? A Dieu, n'est-ce pas? Or, vous conviendrez sans peine que Dieu entend parfaitement ce qu'on lui dit dans cette langue. Sans doute, me répondrez-vous, mais il serait bien à désirer que les fidèles l'entendissent aussi, pour prier avec plus d'attention et de ferveur. Nous en convenons; et voilà pourquoi, on a fait de tout ce qui se dit et se chante à l'église des traductions et des explications à la portée de tous les âges, de toutes les intelligences, de tous les caractères. Quant à ceux qui ne savent pas lire, certaines cérémonies, certains mouvements, certains bruits bien connus les avertissent de ce qui se fait et de ce qui se dit dans nos Of fices. Ils peuvent toujours suivre le prêtre à l'église, quand ils y viennent avec de bonnes dispositions; et, dans le cas contraire, ils ne le suivraient pas, lors même que tout se dirait en français. Du reste, c'est une erreur de croire que, pour bien prier, il soit absolument nécessaire de suivre et d'entendre toutes les paroles dont se compose la prière dite ou chantée. Voyez les Carmélites: leur âme est pourtant tout en feu en répétant ces psaumes latins dont elles ne comprennent pas les mots. C'est qu'elles se sont dit, en commençant, qu'elles allaient chanter les louanges de celui qui est l'assem blage de toutes les perfections, puis, à l'aide de ce son lent, grave, religieux qu'elles entendent et qu'elles contribuent elles-mêmes à former, à l'aide encore de tout ce qui frappe leurs regards, elles conservent jusqu'à la fin une douce et sainte émotion que ne leur aurait donnée peut-être aucune langue vulgaire parfaitement comprise. Et vousmême, dites-moi? entendez-vous chaque mot de ce concert de la nature qui quelquefois vous touche si profondément? Non, mais vous avez commencé par penser à celui à qui il s'adresse; puis à l'aide de ce son grave, religieux aussi, en un sens, à l'aide encore de tout ce qui frappe vos regards, vous éprouvez une douce et sainte émotion que ne vous procurerait peut-être aucune langue vulgaire parfaitement comprise. Cela peut vous donner une idée de ce qui se passe en celui qui, sans savoir le latin, sans pouvoir lire le français, assiste avec attention et piété aux saints Offices, à la Messe principalement. A la Messe, avons-nous dit, car quels chants alors, et surtout quel spectacle! L'Evangile rapporte que, quand Jésus mourut sur le Calvaire, le gouverneur des Romains avait fait mettre au-dessus de sa croix, en hébreu, en grec et en latin, cette inscription que tous ainsi pouvaient lire Jésus de Nazareth, roi =des Juifs. Le sacrifice de la Messe est la re présentation et la continuation du sacrifice de la croix. Au-dessus de la victime sainte est une inscription, faite en une langue que chacun peut comprendre, de toutes les qualités de Jésus. Cette langue, que chacun peut comprendre, même celui qui ne sait pas lire, c'est la langue du cœur, dont une foi brûlante nous donne l'intelligence. LIBERTÉ RELIGIEUSE. Objections. Pourvu qu'on soit honnête, il est bien libre à chacun d'avoir une religion ou de n'en point avoir du tout. - De s'en faire une à sa manière de suivre du moins celle dans laquelle il est né. Que l'autorité ne s'en mêle point; car, après avoir été persécutée, elle persécuterait à son tour. Réponse. Nous répondons à cela ailleurs notamment à notre article Religion, mais ce sont des questions si souvent répétées dans lemonde, quoique peu sérieuses au fond, que nous croyons devoir en faire un article particulier. Pourvu qu'on soit honnête, dites-vous, il est bien libre à chacun d'avoir une religion ou de n'en point avoir du tout. Parler ainsi, c'est n'avoir aucune idée des choses qui nous intéressent le plus, c'est soutenir le pour et le contre en même temps. En quoi consiste l'honnêteté ? Dans l'accomplissement de nos devoirs évidemment. Qu'est-ce que la religion? L'ensemble de tous nos devoirs. Affirmer donc que, pourvu qu'on soit honnête, il est libre à chacun d'avoir une religion ou de n'en point avoir, c'est soutenir le pour et le contre en même temps. Je sais bien que par religion on entend plus particulièrement l'ensemble de nos devoirs envers Dieu. Mais c'est une idée incomplète de la religion. En s'arrêtant là cependant, il est évident qu'on ne peut séparer l'idée d'honnêteté de celle de religion, puisque nos devoirs envers Dieu sout aussi des devoirs, et j'ajouterai même les plus essentiels de tous, nos devoirs fondamentaux, ceux en qui se trouvent la source, la règle, la sanction de tous les autres. Ecoutons à ce sujet le sage directeur des catéchismes de Saint-Sulpice: (Exposition de la doctrine chrétienne.) a Si quelqu'un venait vous dire : N'est-il pas libre à un enfant d'honorer ses parents ou de ne pas les honorer, pourvu d'ailleurs qu'il soit honnête? Vous en seriez fort surpris, et, à votre tour, vous demanderiez à cet étrange questionneur comment il entend demeurer honnête homme en négligeant l'accomplissement d'un devoir aussi essentiel qu'est celui de respecter son père et sa mère. Mais vous, mon ami, vous ne seriez pas plus raisonnable, si vous pensiez qu'il fût libre à chacun d'avoir une religion ou de n'en point avoir du tout, pourvu que l'on soit honnête homme. N'avoir pas de religion, ce n'est assurément pas être raisonnable, ni honnête. Les bêtes n'en ont pas, parce qu'elles ne connaissent pas Dieu; voudriezvous faire comme elles, ni plus ni moins, vous qui le connaissez ? Croirez-vous bien que vous serez un honnête homme, quand vous n'aurez ni de respect pour ses volontés, ni d'égards pour ses droits, ni de reconnaissance pour ses bienfails? « Vous vous flatteriez d'être honnête homme, parce que vous ne feriez tort à aucun de vos frères; mais les droits du père de famille sont-ils moins vénérables, moins sacrés que ceux des enfants?... C'est Dieu qui est le père de la famille, et vous ne penseriez pas seulement à lui!... Ne voyez-vous pas que par une pareille conduite vous outrageriez Celui qui est de tous les êtres le plus grand, le plus aimable, le plus digne de Vos respects et de votre amour? Et vous croiriez encore être un honnête homme !... Absurde prétention! « Vous ne seriez pas raisonnable non plus; permettez-moi d'ajouter: Vous seriez un insensé. Ce mot vous choque, il vous blesse, mais voyez et réfléchissez un instant: Que vous y pensiez ou que vous n'y peusiez pas, que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, vous mourrez un jour, peut-être même bientôt, et certainement quand vous ne vous y attendrez pas. Votre corps sera porté au cimetière. Votre âme... où ira-t-elle ? Vous vous estimez trop pour croire qu'il en soit de vous comme de votre chien et de votre cheval, que, quand vous mourrez tout soit mort votre âme survivra. Eh bien, je vous le demande encore une fois, où ira-t-elle? S'il y a un Dieu, comme personne n'en doute sérieusement, vous paraitrez devant lui pour être jugé; votre sort se décidera en ce moment solennel. Dieu récompensera-t-il celui qui ne l'aura pas servi, celui qui aura vécu sans religion?... Vous devez donc vous attendre aux plus grands malheurs; vous vous serez fait à vous-même un mal irréparable ; Vous vous serez perdu sans ressource, et alors vous verrez si vous avez été raisonnable en vivant sans religion. « Après cela, que vous soyez honnête envers les autres hommes, c'est possible à la rigueur; je vous conseille cependant de ne pas trop vous flatter sur cet article. Je n'ignore pas que l'on rencontre quelquefois de la probité, de l'amitié, un certain dévoue ment dans quelques hommes qui ne pratiquent aucune religion. C'est le plus souvent l'effet d'une bonne éducation qu'ils ont reçue et des bons exemples qu'ils ont sous les yeux; effet de la religion, par conséquent, sinon en eux-mêmes, du moins dans les au tres. Mais qu'un homme ait des penchants mauvais, qu'il soit par nature porté à la colère, à l'avarice, à l'ambition; qu'il soit orgueilleux, sensuel, égoïste (et quel est celui d'entre nous qui n'a pas quelques-uns de ces mauvais penchants?...), cet homme ne se laissera-t-il pas entratner ordinairement à la fougue de ses inclinations déréglées, s'il ne cherche pas dans la religion un remède et un soutien?... Il se gardera peutêtre des excès que réprouve l'honnêteté publique, ou qui pourraient compromettre ses intérêts; mais il fera souffrir ceux qui l'entourent, il sacrifiera tout à ses vues personnelles; s'il peut s'enrichir aux dépens d'autrui, tout en gardant les dehors de la probité, ne comptez pas sur lui. Ah! si l'on savait ce que soni, le plus souvent, dans leurs mœurs privées, dans l'intérieur de leur famille, dans leur commerce intime, ces hommes sans religion, qui se disent honnêtes!... Après tout, je n'ose pas dire qu'ils aient tort. Celui qui n'a pas de religion, qui ne croit ni à Dieu, ni au diable, comme on dit communément, ni au ciel, ni à l'enfer, pourquoi se gênerait-il? S'il peut se venger de son ennemi, s'il peut prendre adroitement la bourse de son voisin, s'il peut se procurer du plaisir, n'importe aux dépens de qui que ce soit, pourquoi se priverait-il? Qu'estce qui le retiendrait ?... La crainte d'un avenir? Il n'y en a point pour lui. La conscience? Ce n'est qu'un beau mot, un airain sonnant. Le seul mal, à ses yeux, est de se déshonorer devant le public ou de tomber dans les mains des gendarmes. Cet hommelà peut être pire qu'une brute, il est néanmoins conséquent avec lui-même. « On nous objecte que ceux qui professent la religion ne sont pas toujours exemplaires dans leurs mœurs. Mais, pouvons-nous dire d'abord, ce ne sont point des hommes religieux. Ils ont le masque de la religion, ils n'en ont point la réalité. Il y a peut-être des principes religieux au fond de leur âme. Alors, ce sont des hommes inconséquents, qui ne vivent pas selon leurs principes, la Flupart du temps... Je dis la plupart du temps, car ces principes les avertissent quelquefois, les retiennent, les portent au bien, malgré leurs inclinations naturellement vicieuses. Quant à ceux qui ont les mêmes inclinations, les mêmes défauts que ces mauvais Chrétiens, et qui n'ont d'ailleurs aucune religion qui les avertisse, qui leur inspire de salutaires remords, qui condamne leurs excès; de tels hommes ne seront-ils pas encore sans comparaison beaucoup plus mauvais ? « Vous voyez donc bien que l'on ne peut être ni honnête homme, ni homme vraiment raisonnable sans religion. » N'est-il pas libre à chacun de s'en faire une à sa manière, avez-vous dit encore? Parler ainsi, c'est se faire Dieu, plus que Dieu; c'est se croire capable de faire ce qui est impossible à Dieu. C'est se faire Dieu, puisqu'il n'y a que Dieu qui puisse lier les consciences, parfer aux hommes du haut du ciel, leur annoncer des récompenses ou des châtiments pour l'avenir: ce qui est le propre de la religion. C'est se faire plus que Dieu, puisque c'est s'arroger le droit de modifier, de changer ce qu'il a lui-même établi. C'est se croire capable de faire ce qui est impossible à Dieu, car Dieu, à proprement parler, n'a pas fait la religion, en ce qu'elle à d'essentiel au moins; il l'a seulement promulguée. Qu'est-ce que la religion, en effet? C'est l'ensemble des rapports qui existent entre le Créateur et la créature. Ces rapports existent nécessairement par le fait même de la création, et il ne serait pas libre à Dieu, malgré sa toute-puissance, de les changer ou de les modifier, de faire, par exemple, que les créatures ne fussent pas dépendantes du Créateur, et ne lui dussent pas, à ce titre, respect, amour, obéissance. Affirmer donc qu'on est libre de se faire une religion à sa manière, c'est se croire capable de faire ce qui est impossible à Dieu, c'est une monstrueuse impiété. Sans remonter si haut, d'ailleurs, qui ne comprend que si on est libre de se faire une religion à sa manière, on pourra toujours, en vertu de la même liberté, modifier celle religion, s'en dispenser à l'occasion, la rejeter complétement pour en adopter une autre, ou n'en point avoir du tout. Ce serait dès lors une religion qui n'obligerait point, une religion sans valeur, sans utilité, une religion qui n'en aurait que le nom, mais n'en serait point une en réalité. L'auteur que nous citions tout à l'heure s'est fait la même objection: « Avant que nous y répon lions, dit-il, « voyez un peu ce qui s'est passé dans le monde en fait de religion. Dans un grand nombre de pays, on a cru honorer la divinité en se laissant aller à la débauche; les païens honoraient Bacchus par le vin et Mercure par le vol; d'autres versaient le sang de leurs enfants ou jetaient dans un brasier ardent ces innocentes victimes, pour apaiser la colère du ciel; rien n'a été si commun que les sacrifices d'hommes que l'on égorgeait sur les autels dans les cérémonies religieuses. Nous aurions mille autres cruautés ou extravagances à rappor ter dans ce genre, s'il le fallait. Comment, après une telle expérience, dire que chacun doit se faire une religion à sa manière? « Nous entendons dire quelquefois à certaines personnes : J'ai des principes de religion et de morale, j'élève souvent mon âme à Dieu, je me confie dans la bonté de ce Maître souverain qui peut me pardonner, el je veille à ne pas faire de mal aux autres; je leur rends même volontiers service dans l'occasion. Voilà ma religion, c'est ainsi que je me la suis faite; ne me suffit-elle pas? << Tout cela est assurément fort bien, mais cela ne suffit pas. D'abord, vous venez de voir à quelles extravagances les honimes peuvent se laisser aller en religion, quand i's ne sont pas conduits par une autorité supé rieure. Vous pouvez, vous, être plus sage que d'autres, mais n'est-il pas évident que pour prévenir lant d'abus et d'erreurs fo nestes, il fallait une règle commune que cous dussent respecter, sans quoi chacun se croira sage et trouvera bien ce qui lui viendra à l'esprit?... Pour ce qui vous concerne, vous qui parlez si complaisamment de la religion que vous vous êtes faite, avez-vous dans vos seules maximes des moyens de vous préserver du péché, de combattre vos mauvais penchants?... Si vous avez offensé Dieu, et probablement vous ne vous croyez pas impeccable, êtes-vous sûr de pouvoir obtenir le pardon de vos péchés sans recourir aux moyens d'expiation que Dieu lui-même aurait établis?... Sur un point d'une si haute importance, votre raison seule vous donnet-elle quelque garantie? Evidemment, vous n'avez là-dessus aucune assurance. Le simple bon sens vous dit qu'il faut, avant tout, s'informer si Dieu a fait une religion; car, s'il nous a prescrit la manière dont nous devons l'honorer, il est bien évident qu'il ne nous sera pas libre d'en choisir arbitrairement une autre. Dieu n'est-il pas le maître? Dieu ne sait-il pas mieux que nous ce qui convient à sa gloire et à nos vrais intérêts? Qui sommes-nous, vous et moi ou tout autre, pour nous former une religion différente de celle que lui-même a voulu nous donner? » Il est bien libre à chacun, avez-vous ajouté, de suivre du moins celle dans laquelle il est né. Et si c'est l'absurde et coupable religion des païens, celle qui fait courber les genoux, murmurer d'inutiles prières devant de sourdes et impuissantes idoles, celle qui fait honorer un Bacchus ivrogne, une Vénus impudique, un Mercure voleur, celle qui fait immoler, par le fer ou le feu, à quelque divinité sanguinaire, ce que nous avons de plus cher au monde? Alors, c'est différent, me répondez-vous ce serait outrager la divinité au lieu de l'honorer. Je le crois comme vous. Toujours est-il que le principe que vous venez d'émettre n'est pas sans exception. Que si vous êtes obligé d'en admettre trois ou quatre, pourquoi pas un plus grand nombre? Pourquoi n'en vien driez-vous pas, de conséquence en conséquence, à la religion seule vraie, seule établie de Dieu, à celle qui, par son antiquité, - son universalité, l'incomparable pureté de sa doctrine, par la sympathie qu'elle rencontre dans toutes les âmes, par les prophéties qui l'ont annoncée, les miracles qui l'ont accompagnée, le prodige si grand de son établissement, le prodige plus grand encore, peut-être, de sa conservation, présente aux yeux de tous le témoignage irrécusable de sa divinité? Vous allez me dire, peut-être qu'il y a bien peu d'hommes capables de discerner la vérité, surtout en fait de religion. Savez-vous pourquoi? C'est parce que nous n'y allons pas de bonne foi. Ah! si nous aimions Dieu et sa gloire autant que nous aimons le monde et ses plaisirs, si les intérèls de notre âme nous touchaient autant que ceux de notre corps, comme la vérité de la religion, qui n'est que l'expression des rap DICTIONN. DES OBJECT. POPUL. ports existant entre le Créateur et ses créatures, se montrerait à nous dans tout son éclat! Comme le Père céleste, vers lequel nos cœurs se porteraient avec toute l'ardeur dont il les a rendus capables, se rapprocherait de nous, dissipant de plus en plus, par sa divine présence, les ténèbres au milieu desquelles nous sommes plongés! Comment peut-il en être ainsi? Nous nous plaisons au milieu de ces ténèbres; il semble que nous n'ayons pas de plus grande jouissance que de les accroître encore autour de nous. Ouvrons donc les yeux, appelons Dieu à notre aide, et il nous fera connaître sa volonté, et par conséquent sa religion. Vous allez me dire, peut-être encore, qu'il est bien pénible d'abandonner la religion de ses pères. La religion de vos pères? Mais c'est uniquement celle de Dieu, la véritable religion, qui leur a été donnée dès le commencement et qu'ils n'auraient jamais dû abandonner. Ils l'ont quittée pour suivre les voies de l'erreur; en y revenant, vous ne faites que ce qu'ils ont fait, ou plutôt, pour ce qui vous concerne et autant qu'il dépend de vous, vous réparez le tort qu'ils ont eu. Il est bien pénible, dites-vous, d'abandonner la religion de ses pères. Mais ou ceux dont vous parlez vivent encore, ou non Dans le premier cas, tâchez de ne pas vous séparer d'eux, en effet, en faisant tous vos efforts pour les amener avec vous dans le sein de la vérité. Dans le second cas, ne troublons point leur mémoire. Peut-être ont-ils eu pour eux l'excuse de la bonne foi. Dans cette supposition, Dien ne leur impu terait point à crime leur erreur, et les récompenserait comme les siens au nombre desquels ils se seraient trouvés de cœur. Rattachez-vous donc avec empressement à cette société à l'âme de laquelle les vôtres ont appartenu, et prenez ainsi le seul moyen que vous ayez de vous réunir à eux pour l'éternité dans le sein de Dieu; car, la vérité vous ayant apparu, vous ne pourriez espérer d'avoir comme eux, aux yeux de ce bon père, l'excuse de la bonne foi. Que l'autorité ne s'en mêle point, avezvous dit en dernier lieu; car, après avoir été persécutée, la religion persécuterait à son tour. De quelle autorité entendez-vous parler ici? De l'autorité ecclésiastique ou de l'autorité civile? Si vous voulez parler de l'autorité ecclésiastique, ce que vous dites serait tout simplement absurde. Et pourquoi donc cette autorité a-t-elle été établie? N'est-ce pas, tout en conservant dans les voies de la vérité ceux qui y sont déjà, pour y faire entrer ceux qui ont le malheur d'en être éloi. gnés? Rappelez-vous ce que dit à ses apôtres le doux Jésus, le moins persécuteur cependant, mais aussi le plus persécuté qui fut jamais: Allez donc, instruisez toutes les nations, les baptisant au uom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai ordonné. Entendez-vous bien l'ordre formel donné 30 par le Sauveur des âmes aux ministres de sa religion, à ceux qu'il rend les dépositaires de sa divine autorité? Enseignez- docete. Et qui donc, Seigneur? Tous les hommes sans exception, quelle qu'ait été jusqu'ici leur religion. Omnes gentes. Mais sur quoi? Ne redresseront-ils en eux que ce qu'ils trouveront de contraire à la justice? Sur quoi! vous devez le voir, car JésusChrist parle en termes tels qu'il est impossible d'en employer de plus clairs et de plus formels leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé : « Omnia quæcunque mandavi vobis.» (Matth. xxvII, 19, 20.) Observateurs fidèles de l'ordre qui leur a été si formellement donné par leur divin maître, les apôtres se partagent le monde en effet, et propagent partout la doctrine chrétienne avec un zèle infini, couronné partout du plus grand succès. Ce zèle de propagation, ce feu divin sorti du cœur de Jésus, qui l'avait apporté du ciel pour embraser le monde: Ignem veni mittere in terram, et quid volo nisi ut accendatur (Luc. XII, 49), les apôtres le communiquent à leurs successeurs dans J'apostolat Annoncez donc la parole, dit le grand Apôtre à son disciple Timothée, pressez à temps et à contre-temps, reprenez, suppliez, menacez... :« Prædica Verbum; insta opportune, importune, argue, obsecra, increpa... » (11 Tim. iv, 2); ceux-ci, à leur tour, le communiquent également à leurs successeurs, et il en a été et il en sera ainsi de siècle en siècle, ou plutôt de jour en jour, c'està-dire sans fin, jusqu'à la consommation des temps: Et voilà que je suis avec vous, tous les jours, dit en effet Jésus-Christ à ses apôtres, en les chargeant de continuer sa mission sur la terre, jusqu'à la consommation des siècles: « Et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus. usque ad consummationem sæculi...» (Matth. xxvIII, 20.) Est-ce à dire, pour cela, que les ministres de la religion de Jésus-Christ aient jamais été ou deviennent jamais persécuteurs? Non, assurément; car, le seul sang qu'il leur soit permis de verser, c'est leur propre sang; el, comme pour leur donner plus d'horreur encore de toute effusion du sang de leurs frères, l'Eglise a voulu que les personnes ou les lieux souillés de cette effusion de sang se trouvassent, par cela même, impropres aux saintes fonctions, et ne pussent le redevenir que par une purification convenable. Vous me direz peut-être qu'il y a une persécution morale non moins pressante que la persécution physique, si ce n'est même davantage. - Qu'entendez-vous par là ? La persécution du bon pasteur qui poursuit en effet la brebis égarée jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée, chargée sur ses épaules et ramenée au bercail? La persécution du père de famille. dont le souvenir poursuit sans cesse l'enfant prodigue au milieu de ses plus profonds égarements et qui, l'ayant vu revenir à lui, se jette à son cou, et le presse avec amour dans ses bras de peur qu'il ne s'éloigne encore? La persécution de Dieu lui-même qui poursuit le pécheur de sa grâce pour le détourner du mal et le porter au bien ? Si c'est là véritablement ce que vous entendez par persécution, elle est dans l'Eglise, exercée en tout lieu par l'autorité ecclésiastique, et elle le sera même toujours, parce que celle persécution n'est pas autre chose que la cha rité dont l'action doit toujours se faire sentir sur les âmes, jusqu'à ce qu'elle les ait réunies dans le sein de Dieu, au séjour de l'éternel repos. Quand vous dites que l'autorité ne doit exercer aucune pression sur les âmes, voulez-vous parler de l'autorité civile ? J'avoue que celle-ci ne saurait agir alors avec trop de circonspection pour ne point empiéter sur les droits de l'autorité ecclésiastique et se renfermer le plus possible dans ses attributions qui ont principalement pour but le maintien de l'ordre extérieur. Cependant comme cet ordre extérieur n'est que la manifestation de l'ordre intérieur et qu'il doit y revenir sans cesse, comme il a là tout à la fois son origine et sa fin, il est évident que l'autorité civile ne peut pas rester indifférente non plus par rapport à la véri table religion. Elle doit l'étudier, se péné trer de son esprit, la vénérer, l'aimer et porter, autant que possible, tous ceux qu'elle est chargée de régir à l'accomplissement de ses divins préceptes. Vous me direz peut-être que la persécu tion résultera de là. Quoi la persécution pour la vérité et la vertu! La persécution par amour el avec amour 1 Mais je vous l'ai dit, cela s'appelle charité. Est-ce qu'un père est le persécuteur de ses enfants quand il emploie tous les moyens qui sont à sa disposition pour les porter à l'accomplissement de leurs devoirs religieux? Le chef d'un Etat est le père de ceux sur lesquels il exerce l'autorité souveraine. Il ne sera donc point non plus leur persécuteur, quand il emploiera lous les moyens qui sont à sa disposition pour les porter à l'accomplissement de leurs devoirs religieux. LIBRE ARBITRE. Objections. L'homme se croit libre, mais c'est ne illusion. Ce que Dieu a prévu de toute éternité doit arriver infailliblement. Dieu ne pouvait permettre à sa créature de troubler l'ordre qu'il a établi en allant contre sa volonté. Si l'homme était véritablement libre, que de crimes! et ces crimes retomberaient sur Dieu qui lui aurait |