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1498.

pour faire croire que la décision qui
iuterviendroit, ne seroit pas collusoire;
mais on fut trompé. Jeanne, jusqu'a-
lors si timide, s'arma de courage et sou-
tint ses droits avec fermeté. Le tribu-
nal qui devoit juger cette cause se tint
d'abord à Tours; il étoit composé de
Louis d'Amboise, évêque d'Albi,
frère de Georges; de Philippe de
Luxembourg, cardinal et évêque du
Mans; et de Ferdinand, évêque de
Ceuta, nonce du pape à la cour de
France,
nommés commissaires par
Alexandre VI. Ils s'associèrent chacun
trois ecclésiastiques du second ordre
plus versés qu'eux dans la pratique ju-
diciaire.

Les moyens qu'employa le procureur du roi, pour opérer la dissolution du mariage entre Louis et Jeanne, étoient au nombre de quatre: parenté, affinité dans les degrés prohibés, violence de la part de Louis XI, et infirmités corporelles, qui rendoient la princesse inhabile aux fins du mariage. Aux deux premiers elle opposoit les dispenses qui avoient été obtenues; au troisième et au quatrième, que s'il y avoit eu violence, ce qu'elle n'accordoit pas, la conduite de son mari depuis dix-huit ans en écartoit jusqu'au soupçon ; que

pendant ce temps il ne lui avoit refusé aucun des titres attachés à son rang, qu'il se plaisoit à lui faire rendre les honneurs d'épouse, et qu'elle en avoit obtenu tous les droits. Je sais bien ajoutoit-elle, que je ne suis ni aussi belle, ni aussi bien faite que bien d'autres, mais je ne m'en crois pas moins propre aux fins du mariage, et plus incapable d'avoir des enfans.

L'historien Garnier, continuateur de Velly, peint énergiquement l'angoisse des deux personnages pendant le cours de la procédure. « Qu'on se fi«< gure, dit-il, une princesse élevée « à l'ombre du trône, accoutumée à <<< recevoir dès l'enfance des marques « de soumission et de respect, tra<<< duite devant des commissaires en « état de suppliante, réduite à enten«dre des dépositions désagréables, à « recevoir de la bouche d'un époux, <<< dont elle ne pouvoit encore se dé<<< tacher, les déclarations les plus for<«melles du dégoût et de l'aversion « qu'elle lui avoit toujours inspirée, «osant à peine laisser éclater ses plain<<<< tes et donner un libre cours à ses « larmes, de peur d'aigrir encore davantage celui dont son sort dépen

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<< doit. Mais dans cet abandon général, <<< dans cet abîme de douleur, peut-être << étoit-elle moins à plaindre que celui <«<< qui causoit ses malheurs; car elle << avoit du moins pour elle son inno<«cence et la fermeté qu'inspire une <«< conscience pure et sans reproche, « au lieu que Louis, naturellement «juste, quels reproches ne dut-il pas « se faire à lui-même ! quels tour<< mens ne dut-il pas éprouver, lors« que, par la suite d'une procédure <<< odieuse, il se trouvoit forcé d'en<tendre discuter des faits et rappeler « des détails qui auroient dû rester en<<<sevelis dans l'ombre du silence; en« fin réduit à prophaner en quelque « sorte lui-même la majesté du trône <«<et la sainteté de la couche nuptiale, «et à persécuter et couvrir de confusion <<< une princesse sa parente et son épouse, « qui, loin de mériter sa haîne, lui <<< avoit tendu dans ses malheurs une <«<< main secourable »! La même sensibilité qui a fait tracer à l'historien ce tablean touchant, lui fait croire que si Louis XII, en commençant cette affaire avoit prévu les extrémités auxquelles il faudroit en venir, il ne l'auroit pas entreprise; mais il est dou

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teux que la compassion l'eût emporté 1498. dans son cœur sur l'amour et la politique.

Pour mettre fin à ces scènes scandaleuses, que l'incertitude des juges prolongeoit, Jeanne composa un mémoire tout de questions, sur ce qui s'étoit passé de plus secret entre elle et son mari, et consentit que l'affaire fût jugée conformément aux réponses du roi, sans débats ultérieurs. Il hésita de se soumettre à cet interrogatoire, dont il sentoit bien qu'il ne pouvoit sortir victorieux que par des échappatoires et de vrais mensonges; apparemment qu'il les fit: les juges affranchis de scrupule par le consentement anticipé de la reine, prononcèrent la nullité du mariage; et, en vertu de l'autorité apostolique dont ils étoient revêtus, ils donnèrent au roi la permission de se pourvoir ailleurs. Le monarque céda à la reine détrônée la jouissance du Berri et de plusieurs autres domaines. Jeanne se retira à Bourges. Elle y créa un ordre de religieuses très-austères, nommées les Annonciades, dont elle suivoit la règle sans en avoir pris l'habit. La pieuse princesse survécut six ans à son malheur, si c'en est un que le reque

Sentence de divorce.

gia.

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Fourberie

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noncement à des grandeurs dont on est dédommagé par la tranquillité d'une vie sans reproches et sans remords. Le jugement qui la détrôna trouva des censeurs. L'opinion la plus générale dans l'université, qui comptoit alors vingt-cinq mille étudians, presque tous hommes faits, se montra contraire à la décision des commissaires. Plusieurs prédicateurs et docteurs furent détenus en prison et exilés, pour avoir parlé ou écrit trop librement.

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Tout étoit préparé pour le mariage, de César Lor- même avant la décision. La dispense de parenté donnée par Alexandre VI, fut apportée par son fils César Borgia. Cet homme aussi célèbre en crimes. que son père, venoit, après avoir fait empoisonner le duc de Gandie, son frère aîné, de quitter le chapeau de cardinal et de se dévouer aux armes espérant de celles-ci une fortune plus solide que de l'état ecclésiastique. Déjà il avoit obtenu de Frédéric, roi de Naples, des terres titrées dans ce royaume, mais insuffisantes à ses desirs, il se tourna du côté de la France, dont il attendoit un traitement plus avantageux la circonstance étoit favorable. Le roi avoit besoin du pape pour

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