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CHAPITRE VI

Les Minorités et les Etats issus de la Conférence de Paris, envisagés comme problème actuel du droit public interne et les solutions constitutionnelles de l'Etat Serbe-Croate-Slovène, Tchéco-Slovaque et Polonais.

I. Exposé théorique.

Les centralistes autrichiens d'abord, les majorités des nouveaux Etats issus de la Conférence de la Paix ensuite, n'ont pas manqué de signaler le danger d'une organisation des minorités en collectivités, reconnues personnes du droit public interne ou international. Ils se refusent de voir dans ces minorités autre chose que des groupes ethniques, religieux ou de langue. Envisageant le problème sous cet angle, ils veulent le ramener à une protection individuelle des membes de ces minorités, à laquelle ils souscrivent volontiers. Ils ne songent pas à contester le droit pour l'individu de conserver son individualité propre, compatible avec l'existence d'un Etat unitaire. Ils veulent aussi donner à ces individualitésethniques, religieuses ou linguistiques certains droits collectifs, certaines institutions scolaires, religieuses ou cultuelles, en vue du maintien de ce caractère distinctif, en tant que ce maintien n'est pas contraire à l'assimilation.

L'assimilation, tel est le but de l'Etat. Il se justifie

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pleinement. Pour nous, le principe d'association que constitue le principe de l'Etat est supérieur à tout autre principe d'association réserve faite de la Société internationale. L'Etat se présente historiquement comme la forme de groupement international essentiel; il en résulte qu'il a acquis une vitalité, une puissance matérielle et morale inégalée. Il reste à l'heure actuelle la forme normale la plus perfectionnée d'une collectivité (1).

Pour cette raison, et à la différence de l'article 19 de la Constitution autrichienne, nous le verrons, les traités des minorités ont évité le mot de minorités nationales pour ne pas opposer le principe des nationalités au principe de l'Etat. Nous verrons que la Constitution tchécoslovaque et polonaise ne l'ont pas évité, d'où les contradictions.

SI. L'idée dominante se dégageant de l'analyse juridique de ces traités est celle-ci : la communauté internationale n'entend nullement protéger les minorités en tant que nationales, dresser le principe des nationalités contre l'Etat. Ce qu'elle veut, c'est garantir la langue, la religion, la race des individus minoritaires contre l'oppression de l'Etat, parce que l'Etat a une tendance naturelle à confondre ses intérêts avec ceux de la majorité, du groupe historique ou ethnique dominant. Protéger ces minorités, ce n'est pas pour la communauté internationale défendre les nationalités minoritaires, mais au contraire garantir l'Etat contre cette tendance, nationa

(1) V. LE FUR, Races, Nationalité, Etats, op. cit., dans le chapitre III, La théorie de l'Etat.

liste, de se confondre avec un groupe exclusif, comme jadis il s'est confondu avec le Prince, d'oublier que son véritable rôle dans la Société internationale est celui d'un organisme «< administratif » destiné à permettre, faciliter et étendre progressivement les relations entre les individus et les groupes composant le communauté internationale, entre eux et avec l'extérieur (1). Ainsi l'Etat devient un élément de coordination, de pondération que nécessite sa composition hétérogène.

à son avis

$ 2. La deuxième idée dominante des traités de minorités, c'est protéger l'Etat contre les tendances séparatistes des minorités. Pour cette raison, la communauté internationale n'a pas voulu donner sa haute protection à ce facteur de résistance et de dissociation, qui, le plus souvent, derrière la langue, la race, la relgion apparaît comme un élément de synthèse, à la nationalité de cette minorité, à ce sentiment qui donne à une minorité l'unité morale, et qui l'oppose au reste de la population de l'Etat.

Protéger une minorité nationale, à son avis, c'est protéger ce sentiment d'unité, c'est dresser une barrière entre l'Etat et ces groupes étrangers par le sentiment, c'est le plus souvent entretenir un lien entre ce groupe et un Etat voisin, presque toujours un ennemi. Alors, pour n'être pas en contradiction avec lui-même, un traité qui veut protéger une minorité nationale n'a que trois solutions rationnelles: a) rattacher cette minorité à l'Etat voisin de même nationalité, b) rendre cette minorité in

(1) V. G. SCELLE, Essai de systématique du Droit international, pp. 5-6.

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dépendante par l'application stricte du principe des nationalités et c) lui donner une existence autonome dans le cadre d'un Etat puissamment décentralisé ou fédéral. Mais en tout cas cela signifie : organiser cette minorité. Or, les traités de 1919-1920 sont logiques avec euxmêmes en partie seulement ; ils ne veulent pas protéger une minorité nationale, donc ils ne l'organisent pas. Dans la pensée des rédacteurs de ces traités, il y aurait là un obstacle à l'assimilation. Etrangère par le sentiment, une minorité le sera encore plus par son organisation même, dans le cas d'autonomie. Et elle serait un Etat dans l'Etat. « Imperium in imperio », telle est l'objection que les centralistes opposent aux revendications minoritaires.

A notre avis elle se trouve le mieux condensée dans un article du professeur Blociszewski (1) qui en parlant de l'article 10g de la Constitution polonaise dit que le principe de protection des minorités en tant que collectivités distinctes de l'Etat constituent une erreur «< parce qu'il tend à créer des Etats dans l'Etat, parce que loin d'assurer à ceux qui en bénéficient l'égalité avec les autres citoyens, il tend à en faire une caste privilégiée qui se cristallisera dans une Société donnée, au lieu de chercher à fusionner avec elle. Les minorités, ainsi constituées en corps autonomes, sont des éléments de désorganisation nationale, de désagrégation de l'Etat. >>

« Ce principe est un danger parce qu'il encourage les

(1) V. La Constitution polonaise du 7 mars 1921, article paru dans la Revue des Sciences politiques de janvier-mars 1922, p. 54.

bénéficiaires à réclamer tous les avantages dont jouissent les autres citoyens, sans rien donner en échange à l'Etat qui les concède, sans lui donner, en particulier, cet attachement loyal sur lequel il est en droit de compter. >>

« C'est un danger, parce que protégées par des traités internationaux, les minorités profiteront de la première occasion pour susciter des difficultés à l'Etat. Au lieu de porter leurs plaintes éventuelles devant les autorités locales, elles ne manqueront pas de les déférer à l'autorité étrangère, instituée à cet effet, par les traités de paix, au Conseil de la Société des Nations. Menacé de conflits continuels avec ce Conseil, exposé à d'incessantes immixtions dans l'exercice de sa souverainteé intérieure, quels sentiments l'Etat intéressé pourra-t-il nourrir à l'égard d'une catégorie extrêmement encombrante de ressortissants? On peut les deviner. Loin d'assurer l'ordre et la paix sociales, la protection des minorités, telle qu'elle a été organisée par les traités de paix, est un ferment de discordes et de haines nationales. >>

Tout d'abord remarquons qu'il n'est pas vrai que les traités de minorités aient organisé des groupes minoritaires en collectivités. Ensuite ce reproche ne peut que s'adresser à l'article 109 de la Constitution polonaise seulement.

La vérité est qu'en règle générale les traités de minorités n'ont pas donné droit aux minorités de race, de langue et de religion à s'organiser, même d'une façon imprécise et rudimentaire qui pût servir de base à une représentation officielle. Non seulement ils n'ont pas voulu protéger les minorités nationales, mais même ils

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