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civilisés d'Occident l'ont fait les traces, l'empreinte de l'organisation étatique médiévale, les Juifs polonais forment réellement une société à part, une minorité nationale, et ce qu'ils veulent maintenant, c'est une confirmation légale de ce fait, la reconnaissance internationale de leur séparatisme comme un privilège et la garantie de son développement pour l'avenir. Toujours soumis à la notion de l'Etat du Moyen-Age, ils ne veulent pas aujourd'hui rester tout simplement citoyens polonais, mais ils veulent être citoyens juifs dans l'Etat.

Nous verrons, plus loin, à qui incombe la responsabilité de cet état de choses.

b) Mais c'est en Alsace qu'il est intéressant de suivre de près la politique royale à l'égard des Juifs.

Là, ils sont nombreux et constituent un élément de prospérité dans un pays et dans une époque à tendance mercantile; le roi les prend expressément sous sa protection, moyennant le paiement, par chaque famille juive. d'un droit spécial. C'est un droit domanial; et puisque les Juifs ne sont pas membres de la cité, il faut qu'ils paient pour que le roi s'occupe d'eux.

On voit bien par là que les considérations purement humanitaires ne préoccupaient pas le roi. On protège le Juif, parce que sa participation au commerce est utile; dans un pays à tendance mercantile il est un aimant d'attraction puissante des métaux précieux; alors on le garde. Dans le cas contraire, il fera sagement de s'en aller, pour ne pas courir le risque d'être expulsé. Outre le droit royal, on lui réclame souvent un droit de péage, lorsqu'il entre dans la province ou lorsqu'il en sort. C'est l'intendant,

agent direct du roi, qui est chargé de la protection et de la surveillance des Juifs ainsi que de la répression des abus commis individuellement envers ces derniers, aussi bien qu'envers les communautés israélites.

Examinons d'abord la situation de l'individu juif. Il peut être commerçant, mais dans des conditions spéciales. Il n'est pas ce que nous appellerons aujourd'hui un commerçant patenté. On ne lui permet que le prêt sur gage mobilier, non sur hypothèque, puisqu'il ne peut acquérir d'immeubles en dehors de ceux qui lui sont personnellement nécessaires et cela, après décision de l'autorité royale. En effet, les immeubles et particulièrement les terres sont à la base de la constitution sociale de l'ancienne France. L'acquisition des terres n'est permise, en principe, qu'aux régnicoles, à ceux qui acceptent entièrement tous les principes ou les préjugés de la Société monarchique. Les Juifs sont des éléments de population trop mobiles, trop inquiétants pour qu'on les laisse participer, en dehors du strict nécessaire, à cet espèce de sacerdoce des fonctions sociales que constitue sous l'ancien régime, la propriété foncière. « On ne conteste pas l'utilité des Juifs dans un système économique, dont il n'a pas été possible d'éliminer complètement l'usure. Le Juif rend à la Société cette grande utilité de prêter à intérêt; mais on le cantonne dans le commerce des meubles » (1).

Maintenant passons à l'organisation des communautés juives dont nous avons déjà parlé un peu.

(1) Olivier MARTIN, Cours de doctorat, 1921-1922, op. cit..

Elles n'ont pas de contact avec les autorités locales, parce que ces dernières sont évidemment très mal disposées à leur égard. Le roi les prend spécialement sous sa protection par l'intermédiaire de ses agents. Ce régime d'exception est donc organisé dans l'intérêt des Juifs. Ces communautés ont une large autonomie et s'organisent en toute liberté, selon les prescriptions de leurs lois religieuses, en dehors de l'intervention des autorités municipales et sont soumises à la surveillance directe de l'intendant du roi. Elles constituent un petit monde à part, très serré et le plus souvent cantonné dans un quartier spécial de la ville. La municipalité et la communauté juives constituent deux personnes morales distinctes de la ville. Exclues de l'administration urbaine, elles ne participent pas aux charges communales, mais ne sont pas exemptes de toutes contributions et dépenses du royaume. Le roi traite directement avec elles. Et cette contribution spéciale, payée par chaque communauté, est répartie par le syndic entre tous les membres.

Il y a là un système social dont on parle trop souvent avec légèreté, sans le connaître.

c) Nous rencontrons cette organisation à peu de chose près, dans toutes les villes allemandes. C'est ainsi qu'à Francfort qui était la ville type de cette vie juive, la situation des Juifs était fixée par l'ordonnance dite expressément « de protection » (Schulzordnung) de 1616, en vigueur jusqu'aux dernières années du XVIIIe siècle. Les Juifs sont des étrangers, placés sous la haute protection de l'Empereur; ils payent cette protection d'un tribut annuel; ils forment une commune autonome, ils sont

obligés de vivre dans un quartier spécial, die Judengasse: leur sont interdits, parmi les professions: l'agriculture, les travaux manuels et, dans le commerce, la vente des armes, du pain et du vin. Enfin, pour empêcher le nombre des Juifs de s'accroître limitation du droit d'établissement, et limitation des mariages (1).

(1) Note de Durarc, p. 24.

CHAPITRE II

Les Minorités chrétiennes en Turquie au XVII® et au XVIIIe siècles

S I. Le xvi et le xvi° siècles nous offrent une longue série de conventions qui assurent les droits des minorités chrétiennes en pays musulman. Parmi celles-ci il en est deux qui méritent d'attirer notre attention : celle de Carlowitz de 1699 et celle de Koutchouk-Kaïnardji de 1774. Toutes deux ont fondé le droit des deux puissances chrétiennes d'intervenir dans les affaires de la Turquie, pour protéger non plus seulement leurs propres sujets, mais même les chrétiens indigènes. Le traité de Carlowitz, dans son article 7, établit la protection des individus minoritaires de religion catholique par la Pologne et par l'Autriche et donne un droit de remontrance à leurs ambassadeurs. Il fut confirmé, par l'Autriche, à Pojéréwatz et à Belgrade (en 1718 et en 1739).

Par le célèbre traité de Koutchouk-Kaïnardji, conclu entre Abdul Hamid et Catherine II, la Russie prit en mains la protection et la défense des chrétiens orthodoxes de la péninsule des Balkans et de l'Asie-Mineure qui jusque-là était simplement régis par le droit public ottoman (1).

(1) Plus tard, l'interprétation que le Tzar Alexandre donnait au traité de Kainardji l'encourageait à pousser plus loin ses prétentions et à se poser en médiateur entre les Ottomans et la masse entière de leurs sujets chrétiens. Il avait, croyait-il, pour mission de protéger ces derniers et, au besoin, de les délivrer. (Voir LAVISSE et RAMBAUD, l'Histoire générale, t. x, p. 167, op. cit..).

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