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CHAPITRE IV

L'Etat et la communauté internationale jusqu'à la Révolution française

S I. Nous avons déjà noté les principales conséquences du traité de Westphalie; nous ne pouvons pas énumérer toutes les théories internationales, nées à cette époque. Elles se construisent d'une façon empirique et si l'on voulait les résumer toutes, on pourrait en présenter autant qu'il y avait d'Etats en jeu. Chacun, suivant ses appétits, ses intérêts, ses idées morales ou religieuses, s'appliquait à faire triompher les règles qui lui paraissaient les plus favorables pour la justification de ses intérêts propres.

Même de nos jours, les théories reproduisent très souvent dans leurs bases et leurs conclusions les aspirations de ceux qui les formulent. C'est une idée qui a été magistralement développée et illustrée par de nombreux exem ples nar notre maître, le professeur du Droit des gens à la Faculté de Paris, M. G. de Lapradelle (1). L'éminent professeur signale ce danger de la discipline juridique internationale qui consiste à ce que « chacun prétend invoquer le droit pour soi-même et chacun, au gré des intérêts parfois momentanés de sa politique, s'efforce de le déformer. L'esprit légiste - et nous ajouterons, l'esprit

(1) Cours de Doctorat, 1921-22.

politique s'introduit dans le droit international au détriment de l'esprit juridique ou plus simplement de l'esprit juriste... » « Alors on assiste à ce spectacle dans le droit international où se rencontrent des conceptions nationales opposées se forment de véritables antagonismes entre les doctrines juridiques; suivant qu'il s'agit d'un pays ou d'un autre la conception du droit international sera différente. » «Mais leurs intérêts n'ont pas toujours la même direction; la force de résistance qu'ils opposent à l'unification du droit n'est pas une force constante mais variable; le jour où les Etats auront le sentiment d'une nécessité politique commune une véritable théorie internationale commune peut se fonder. » C'est lorsqu'ils verront que leur intérêt véritable est l'intérêt commun et c'est le Droit, ce qui est juste, raisonnable, rationnellement, abstraction faite de toute utilité immédiate et variable.

Mais le plus souvent une règle internationale naît d'une transaction entre les divers intérêts en jeu ; elle est nécessairement imparfaite; malgré tout, elle constitue toujours un progrès parce qu'elle tient compte des intérêts multiples qui peuvent être opposés. Une théorie portant sur des matières de droit international public n'a pas de chance d'être acceptée si elle viole trop ouvertement les droits des autres Etats. Un Etat, par conséquent, ne s'imaginera pas qu'il suffit de son acte unilatéral, d'une disposition émanée de sa souverainteé, pour que celle-ci s'impose à tous les Etats, là au moins où ils ont un intérêt égal à faire connaître leur volonté. Or, comme il existe nécessairement dans une société des Etats des besoins

communs qui demandent une réglementation acceptée par tous les intéressés, des organes internationaux se créent, destinés à formuler les règles communes du Droit international.

Ainsi la diplomatie européenne, lors de la guerre de Trente Ans fut la première expression d'une organisation internationale qui, dans la circonstance, travailla avec quelques succès pour arrêter une transaction entre les différents intérêts des Etats, en formulant quelques règles générales du droit des gens positif.

$ 2. Il y en a une qui arrêtera notre attention, à propos de la notion de l'Etat : c'est la reconnaissance par les Etats européens de leur souveraineté respective, découlant du fait des stipulations formulées dans les traités (1).

Avant de voir comment on la concevait et les conséquences de cette conception, disons tout d'abord que la notion de souveraineté, en tant qu'elle affirme l'existence du summum imperium ne répond pas à une idée inconnue jusqu'alors il y a eu, dans le passé, des situations où celui qui détenait le pouvoir prétendait l'exercer sans réserve, comme s'il avait été investi de la summa potestas. Mais à cette conception féodale le xv et le xvr° siècles ont ajouté quelque chose de nouveau. Pendant son travail d'unification et de centralisation, détruisant les forces centrifuges de la féodalité, l'Etat ne pouvait ne pas apercevoir la puissance jusqu'alors inconnue des moyens que lui offrent les efforts et les forces puissamment centralisées de la vie nationale. Alors la notion de souveraineté

(1) TCHERNOFF, thèse citée, op. cit., p 52.

se précisa et logiquement s'exagéra. Jean Bodin donne la formule qui traduit exactement l'état de fait et les ten dances de son époque, dans son livre « De la République » (1). Il ne voyait la souveraineté que là où une autorité pouvait s'affirmer et s'exercer sans recevoir des ordres d'un pouvoir supérieur. C'est là où gît la différence avec la conception ancienne.

Les traités conclus pendant les guerres de religion y ajoutent une nouvelle différence, indirectement. La notion de la souveraineté dans le droit international découle de ce fait que les autres Etats reconnaissent une autorité publique comme souveraine, en signant un traité avec elle. Le fait de l'existence d'un Etat, pourvu d'une certaine organisation, ne suffit pas pour que sa vie et ses intérêts puissent s'imposer au respect de l'autre Etat. Cela s'explique aisément, si l'on songe que l'organisation d'un Etat n'était, à cette époque, bien rassurante ni quant aux moyens d'action ni quant au but qu'il se proposait de poursuivre. L'Etat contenait dans son organisation, dans ses aspirations, trop d'éléments hostiles, égoïstes, incompatibles avec la sécurité des autres Etats, pour que ceux-ci acceptent d'avance et consacrent même par un consentement tacite la légitimité de toutes les manifestations d'une souverainteé étatique. Pour qu'un Etat soit souverain aux regards de la souveraineté internationale « il fallut qu'il se présentât avec une physionomie plus précise et qu'il se montrât plus respectueux des intérêts des autres collectivités (2).

(1) Cité par ESMEIN, l'Histoire du Droit public français.

(2) V. TCHERNOFF, loc. cit..

Cette notion de la souveraineté a un caractère absolu, tant dans ses manifestations à l'intérieur qu'à l'extérieur. On aperçoit bien les conséquences contradictoires, pour ne pas dire absurdes, qui logiquement doivent s'en déduire.

A. Dans le droit public interne, le souverain invoqua son imperium, qu'il ne concevait que comme summa potestas, pour écarter tous les obstacles qui s'opposaient à l'exercice de son autorité. Le souverain est l'unique source d'autorité. Il la tient, d'après la théorie du droit divin, de Dieu seul et de son épée. Cette souveraineté illimitée est indépendante de toute autorité temporelle ou spirituelle. La puissance monarchique dans l'intérieur de l'Etat n'est limitée ni par les droits individuels, ni par aucune institution positive. Mais, malgré cette notion absolue, il y a eu, pour limiter l'absolutisme du monarque, un frein moral et un frein religieux, par suite de la conviction chez le souverain qu'il exerce une fonction, qu'il remplit un devoir exclusivement dans l'intérêt du peuple; et ceci est d'autant plus important, que le souverain est chrétien et sincèrement chrétien, ayant le sentiment profond de sa responsabilité devant Dieu. Ensuite, il existe quelques garanties d'ordre juridique tenant à l'existence de ce qu'on appelle les lois fondamentales de l'Etat, difficilement conciliables avec la théorie du droit divin, mais qu'on considère, un peu vaguement, comme des manières d'être de l'Etat qui sont nées ave lui et sans lesquelles on ne le concevrait pas (1).

(1) V. Olivier MARTIN, Cours de l'Histoire du Droit public français, Faculté de Paris, doctorat 1921-22.

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