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le plus digne enfant du monde, qui est Jésus-Christ: avant qu'il soit produit et enfanté du tout, il ne se peut que vous ne vous ressentiez du travail; mais ayez bon courage, car ces douleurs passées, la joie éternelle vous demeurera d'avoir enfanté un tel homme au monde. Or, il sera entièrement enfanté pour vous, lorsque vous l'aurez entièrement formé en votre cœur et en vos œuvres par imitation de sa vie.

Quand vous serez malade, offrez toutes vos douleurs, peines et langueurs au service de notre Seigneur, et le suppliez de les joindre aux tourments qu'il a reçus pour vous. Obéissez au médecin, prenez les médecines, viandes et autres remèdes pour l'amour de Dieu, vous ressouvenant du fiel qu'il prit pour l'amour de nous; désirez de guérir pour lui rendre service; ne refusez point de languir pour lui obéir, et disposez-vous à mourir, si ainsi il lui plaît, pour le louer et jouir de lui. Ressouvenez-vous que les abeilles, au temps qu'elles font le miel, vivent et mangent d'une munition fort amère, et qu'ainsi nous ne pouvons jamais faire des actes de plus grande douceur et patience, ni mieux composer le miel des excellentes vertus, que tandis que nous mangeons le pain d'amertume et vivons parmi les angoisses. Et comme le miel, qui est fait des fleurs du thym, herbe petite et amère, est le meilleur de tous, ainsi la vertu qui s'exerce en l'amertume des plus viles, basses et abjectes tribulations, est la plus excellente de toutes.

Voyez souvent de vos yeux intérieurs Jésus-Christ crucifié, nu, blasphémé, calomnié, abandonné, et enfin accablé de toutes sortes d'ennuis, de tristesses et de travaux. Et considérez que toutes vos souffrances, ni en qualité, ni en quantité, ne sont aucunement comparables aux siennes, et que jamais vous ne souffrirez rien pour lui, au prix de ce qu'il a souffert pour vous.

Considérez les peines que les martyrs souffrirent jadis, et celles que tant de personnes endurent, plus grièves sans

aucune proportion que celles auxquelles vous êtes, et dites: Hélas! mes travaux sont des consolations, et mes épines des roses, en comparaison de ceux qui, sans secours, sans assistance, sans allégement, vivent en une mort continuelle, accablés d'afflictions infiniment plus grandes.

CHAPITRE IV.

De l'humilité pour l'extérieur.

« Empruntez, dit Élisée à une pauvre veuve, et prenez >> force vaisseaux vides, et versez l'huile en ceux-ci. » Pour recevoir la grâce de Dieu en nos cœurs, il les faut avoir vides de notre propre gloire. La cresserelle criant et regardant les oiseaux de proie, les épouvante par une propriété et vertu secrète; c'est pourquoi les colombes l'aiment sur tous autres oiseaux, et vivent en assurance auprès d'elle; ainsi l'humilité repousse Satan, et conserve en nous les grâces et dons du Saint-Esprit ; et pour cela tous les saints, mais particulièrement le roi des saints et sa mère, ont toujours honoré et chéri cette digne vertu plus qu'aucune autre entre toutes les morales.

Nous appelons vaine la gloire qu'on se donne, ou pour ce qui n'est pas en nous, ou pour ce qui est en nous, mais non pas à nous, ou pour ce qui est en nous et à nous, mais qui ne mérite pas qu'on s'en glorifie. La noblesse de la race, la faveur des grands, l'honneur populaire, ce sont choses qui ne sont pas en nous, mais ou en nos prédécesseurs, ou en l'estime d'autres. Il y en a qui se rendent fiers et morguants, pour être sur un bon cheval, pour avoir un panache à leur chapeau, pour être habillés somptueusement; mais qui ne voit cette folic? Car s'il y a de la gloire pour cela, elle est pour le cheval, pour l'oiseau, pour le tailleur, et quelle lâcheté de courage est-ce d'emprunter son estime d'un cheval, d'une plume, d'un goderon? Les autres se prisent et regar

dent pour des moustaches relevées, pour une barbe bien peignée, pour des cheveux crêpés, pour des mains douillettes, pour savoir danser, jouer, chanter mais ne sont-ils pas lâches du courage, de vouloir enchérir leur valeur, et donner du surcroît à leur réputation par des choses si frivoles et folâtres? Les autres pour un peu de science veulent être honorés et respectés du monde, comme si chacun devait aller à l'école chez eux et les tenir pour maîtres; c'est pourquoi on les appelle pédants. Les autres se pavanent sur la considération de leur beauté et croient que tout le monde les muguette: tout cela est extrêmement vain, sot et impertinent; et la gloire qu'on prend de si faibles sujets s'appelle vaine, sotte ou frivole.

On connaît le vrai bien comme le vrai baume on fait l'essai du baume en le distillant dans l'eau, car s'il va au fond et qu'il prenne le dessous, il est jugé pour être du plus fin et précieux ; ainsi, pour connaître si un homme est vraiment sage, savant, généreux, noble, il faut voir si ses biens tendent à l'humilité, modestie et soumission; car alors ce seront de vrais biens; mais s'ils surnagent et qu'ils veuillent paraître, ce seront des biens d'autant moins véritables qu'ils seront plus apparents. Les perles qui sont conçues ou nourries au vent et au bruit des tonnerres, n'ont que l'écorce de perle et sont vides de substances; et ainsi les vertus et belles qualités des hommes qui sont reçues et nourries en l'orgueil, en la ventance et en la vanité, n'ont qu'une simple apparence du bien, sans suc, sans moelle et sans solidité.

Les honneurs, les rangs, les dignités, sont comme le safran qui se porte mieux et vient plus abondamment d'être foulé aux pieds. Ce n'est plus honneur d'être beau, quand on s'en regarde la beauté, pour avoir bonne grâce, doit être négligée, la science nous déshonore quand elle nous enfle et qu'elle dégénère en pédanterie.

Si nous sommes pointilleux pour les rangs, pour les

séances, pour les titres, outre que nous exposons nos qualités à l'examen, à l'enquête et à la contradiction, nous les rendons viles et abjectes; car l'honneur qui est beau étant reçu en don, devient vilain quand il est exigé, recherché et demandé. Quand le paon fait sa roue pour se voir, en levant ses belles plumes, il se hérisse de tout le reste, et montre de part et d'autre ce qu'il a d'infâme; les fleurs, qui sont belles, plantées en terre, flétrissent étant maniées. Et comme ceux qui odorent la mandragore de loin en reçoivent beaucoup de suavité, mais ceux qui la sentent de près et longuement en deviennent assoupis et malades; ainsi les honneurs rendent une douce consolation à celui qui les odore de loin et légèrement, sans s'y amuser et s'en empêtrer; mais à qui s'y affectionne et s'en repaît, ils sont extrêmement blâmables et vitupérables.

La poursuite et amour de la vertu commence à nous rendre vertueux; mais la poursuite et amour des honneurs commence à nous rendre méprisables et vitupérables. Les esprits bien nés ne s'amusent pas à ces menus fatras de rang, d'honneur, de salutations; ils ont d'autres choses à faire; c'est le propre des esprits fainéants. Qui peut avoir des perles ne se charge pas de coquilles; et ceux qui prétendent à la vertu, ne s'empressent point pour les honneurs. Certes, chacun peut entrer en son rang, s'y tenir sans violer l'humilité, pourvu que cela se fasse négligemment et sans contention. Car, comme ceux qui viennent du Pérou, outre l'or et l'argent qu'ils en tirent, apportent encore des singes et perroquets, parce qu'ils ne leur coûtent guère et ne chargent pas aussi beaucoup leurs navires; ainsi, ceux qui prétendent à la vertu ne laissent pas de prendre leurs rangs et les honneurs qui leur sont dus, pourvu toutefois que cela ne leur coûte pas beaucoup de soin et d'attention, et que ce soit sans en être chargés de trouble, d'inquiétude, de disputes et contentions. Je ne parle néanmoins pas de ceux desquels la dignité regarde le public, ni de certaines occa

sions particulières qui tirent une grande conséquence; car en cela il faut que chacun conserve ce qui lui appartient, avec une prudence et discrétion qui soit accompagnée de charité et de courtoisie.

CHAPITRE V.

De l'humilité plas extérieure.

Mais vous désirez, Philothée, que je vous conduise plus avant en l'humilité, car à faire comme j'ai dit, c'est quasi plutôt sagesse qu'humilité; maintenant, donc, je passe outre. Plusieurs ne veulent ni n'osent penser et considérer les grâces que Dieu leur a faites en particulier, de peur de prendre de la vaine gloire et complaisance; en quoi certes ils se trompent. Car puisque, comme dit le grand docteur angélique, le vrai moyen d'atteindre à l'amour de Dieu, c'est la considération de ses bienfaits, plus nous les connaîtrons, plus nous l'aimerons, et comme les bénéfices particuliers émeuvent plus puissamment que les communs, aussi doivent-ils être considérés plus attentivement. Certes, rien ne nous peut tant humilier devant la miséricorde de Dieu que la multitude de ses bienfaits, ni rien tant humilier devant sa justice, que la multitude de nos méfaits. Considérons ce qu'il a fait pour nous et ce que nous avons fait contre lui, et comme nous considérons par le menu nos péchés, considérons aussi par le menu ses grâces. Il ne faut pas craindre que la connaissance de ce qu'il a mis en nous, nous enfle, pourvu que nous soyous attentifs à cette vérité, que ce qui est bon en nous n'est pas de nous. Hélas! les mulets laissent-ils d'être lourdes et puantes bêtes, pour être chargés des meubles précieux et parfumés du prince? « Qu'avons-nous de bon que nous n'ayons reçu? et si nous » l'avons reçu, pourquoi nous en voulons-nous enorgueil» lir? » Au contraire, la vive considération des grâces reçues nous rend humbles; car la connaissance engendre la

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