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qu'elles cessent, et la tranquillité se fera grande. Mais toujours je vous avertis que l'oraison qui se fait contre la colère présente et pressante, doit être pratiquée doucement, tranquillement et non point violemment; ce qu'il faut observer en tous les remèdes qu'on use contre ce mal.

Avec cela, soudain que vous vous apercevrez avoir fait quelque acte de colère, réparez la faute par un acte de douceur, exercé promptement à l'endroit de la même personne contre laquelle vous vous serez irritée; car, tout ainsi que c'est un souverain remède contre le mensonge, que de s'en dédire sur-le-champ, aussitôt que l'on s'aperçoit de l'avoir dit, ainsi est-ce un bon remède contre la colère de la réparer soudainement par un acte contraire de douceur; car, comme l'on dit, les plaies fraîches sont plus aisément remédiables.

Au surplus, lorsque vous êtes en tranquillité et sans aucun sujet de colère, faites grande provision de douceur et de débonnaireté, disant toutes vos paroles et faisant toutes vos actions, petites et grandes, en la plus douce façon qu'il vous sera possible; vous ressouvenant que l'épouse, au Cantique des cantiques, n'a pas seulement le miel en ses lèvres et au bout de sa langue, mais elle l'a encore sous la langue, c'est-à-dire, dans la poitrine; et n'y a pas seulement du miel, mais encore du lait, car aussi ne faut-il pas seulement avoir la parole douce à l'endroit du prochain, mais encore toute la poitrine, c'est-à-dire, tout l'intérieur de notre âme. Et ne faut pas seulement avoir la douceur du miel, qui est aromatique et odorant, c'est-à-dire, la suavité de la conversation civile avec les étrangers, mais aussi la douceur du lait entre les domestiques et proches voisins; en quoi manquent grandement ceux qui en la rue semblent des anges et en la maison des diables.

CHAPITRE IX.

De la douceur envers nous-mêmes.

L'une des bonnes pratiques que nous saurions faire de la douceur, c'est celle de laquelle le sujet est en nous-mêmes, ne nous dépitant jamais contre nous-mêmes ni contre nos imperfections. Car, encore que la raison veut que quand nous faisons des fautes, nous en soyons déplaisants et marris, si faut-il néanmoins que nous nous empêchions d'en avoir une déplaisance aigre et chagrine, dépiteuse et colère. En quoi font une grande faute plusieurs qui, s'étant mis en colère, se courroucent de s'être courroucés, entrent en chagrin de s'être chagrinés, et ont dépit de s'être dépités. Car, par ce moyen, ils tiennent leur cœur confit et détrempé en la colère; et quoiqu'il semble que la seconde colère ruine la première, il est vrai néanmoins qu'elle sert d'ouverture et de passage pour une nouvelle colère à la première occasion qui s'en présentera ; outre ce que ces colères, dépits et aigreurs que l'on a contre soi-même tendent à l'orgueil, et n'ont origine que de l'amour-propre, qui se trouble et s'inquiète de nous voir imparfaits. Il faut donc avoir un déplaisir de nos fautes, qui soit paisible, rassis et ferme. Car, tout ainsi qu'un juge châtie bien mieux les méchants, faisant ses sentences par raison, en esprit de tranquillité, que non pas quand il les fait par impétuosité et passion, d'autant que jugeant avec passion, il ne châtie pas les fautes selon qu'elles sont, mais selon qu'il est lui-même, ainsi nous nous châtions bien mieux nous-mêmes par des repentances tranquilles et constantes, que non pas par des repentances aigres, empressées et colères; d'autant que ces repentances, faites avec impétuosité, ne se font pas selon la gravité de nos fautes, mais selon nos inclinations. Par exemple, celui qui affectionne la chasteté, se dépitera

avec une amertume non-pareille de la moindre faute qu'il commettra contre celle-ci, et ne se fera que rire d'une grosse médisance qu'il aura commise. Au contraire, celui qui hait la médisance, se tourmentera d'avoir fait une légère murmuration, et ne tiendra nul compte d'une grosse faute commise contre la chasteté; et ainsi des autres. Ce qui n'arrive pour autre cause, sinon qu'ils ne font pas le jugement de leur conscience parraison, mais par passion.

Croyez-moi, Philothée, tout ainsi que les remontrances d'un père faites doucement et cordialement ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger, que non pas les colères et courroux, ainsi, quand notre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remontrances douces et tranquilles, ayant plus de compassion de lui que de passion contre lui, l'encourageant à l'amendement, la repentance qu'il en conservera entrera plus avant et le pénétrera mieux que ne ferait pas une repentance dépiteuse, injurieuse et tempêtueuse.

Pour moi, si j'avais, par exemple, grande affection de ne point tomber au vice de la vanité, et que j'y fusse néan`moins tombé d'une grande chute, je ne voudrais pas reprendre mon cœur en cette sorte: N'es-tu pas misérable et abominable, qu'après tant de résolutions tu t'es laissé emporter à la vanité? meurs de honte, ne lève plus les yeux au ciel, aveugle, impudent, traître et déloyal à ton Dieu; et semblables choses. Mais je voudrais le corriger raisonnablement et par voie de compassion: Or sus, mon pauvre cœur, nous voilà tombés dans la fosse, laquelle nous avions tant résolu d'échapper. Ah! relevons-nous, et quittons-là pour jamais; réclamons la miséricorde de Dieu et espérons en elle qu'elle nous assistera, pour désormais être plus fermes, et remettons-nous au chemin de l'humilité. Courage, soyons toujours sur nos gardes, Dieu nous aidera, nous ferons assez. Et je voudrais, sur cette répréhension, bâtir une solide et ferme résolution de ne plus retomber en la faute, pre

nant les moyens convenables à cela, et mêmement l'avis de mon directeur.

Que si néanmoins quelqu'un ne trouve pas que son cœur puisse être assez ému par cette douce correction, il pourra employer le reproche et une répréhension dure et forte pour l'exciter à une profonde confusion, pourvu qu'après avoir rudement gourmandé et courroucé son cœur, il finisse par un allègement, terminant tout son regret et courroux en une douce et sainte confiance en Dieu, à l'imitation de ce grand pénitent qui, voyant son âme affligée, la relevait en cette sorte: « Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi me troubles-tu? Espère en Dieu, car je le bénirai >> encore comme le salut de ma face et mon vrai Dieu. »

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Relevez donc tout doucement votre cœur quand il tombera, vous humiliant beaucoup devant Dieu pour la reconnaissance de votre misère, sans nullement vous étonner de votre chute; puisque ce n'est pas chose admirable que l'infirmité soit infirme, la faiblesse faible et la misère chétive. Détestez néanmoins de toutes vos forces l'offense que Dieu a reçue de vous, et avec un grand courage et confiance en la miséricorde de celui-ci, remettez-vous au train de la vertu que vous aviez abandonnée.

CHAPITRE X.

Qu'il faut traiter des affaires avec soin et sans empressement

ni souci.

Le soin et la diligence que nous devons avoir en nos affaires, sont choses bien différentes de la sollicitude, souci et empressement. Les anges ont soin pour notre salut et le procurent avec diligence; mais ils n'en ont point pour cela de sollicitude, de souci ni d'empressement, car le soin et la diligence appartiennent à leur charité, mais aussi la sollicitude, le souci et l'empressement seraient totalement con

traires à leur félicité, puisque le soin et la diligence peuvent être acccompagnés de la tranquillité et paix d'esprit, mais non pas la sollicitude, ni le souci, et beaucoup moins l'empressement.

Soyez donc soigneuse et diligente en toutes les affaires que vous aurez en charge, ma Philothée, car Dieu vous les ayant confiées veut que vous en ayez un grand soin; mais, s'il est possible, n'en soyez pas en sollicitude et souci, c'està-dire, ne les entreprenez pas avec inquiétude, anxiété et ardeur, ne vous empressez point à la besogne ; car toute sorte d'empressement trouble la raison et le jugement, et nous empêche même de bien faire la chose à laquelle nous nous empressons.

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Quand notre Seigneur reprend sainte Marthe, il dit: Marthe, Marthe, tu es en souci et tu te troubles pour beaucoup de choses. » Voyez-vous, si elle eût été simplement soigneuse, elle ne se fût point troublée ; mais parce qu'elle était en souci et inquiétude, elle s'empresse et se trouble; et c'est en quoi notre Seigneur la reprend. Les fleuves qui vont doucement coulant en la plaine, portent les grands bateaux et riches marchandises, et les pluies qui tombent doucement en la campagne, la fécondent d'herbes et de grains; mais les torrents et rivières qui, à grands flots, courent sur la terre, ruinent le voisinage et sont inutiles au trafic, comme les pluies véhémentes et tempêtueuses ravagent les champs et les prairies. Jamais besogne faite avec impétuosité et empressement ne fut bien faite. Il faut dépêcher tout bellement, comme dit l'ancien proverbe. Celui qui se hâte, dit Salomon, court fortune de chopper et heurter des pieds; nous faisons toujours assez tôt quand nous faisons bien. Les bourdons font bien plus de bruit et sont bien plus empressés que les abeilles, mais ils ne font sinon la cire et non point de miel; ainsi, ceux qui s'empressent d'un souci cuisant et d'une sollicitude bruyante, ne font jamais ni beaucoup ni bien.

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