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Les mouches ne nous inquiètent pas par leur effort, mais par la multitude. Ainsi, les grandes affaires ne nous troublent pas tant comme les menues, quand elles sont en grand nombre. Recevez donc les affaires qui vous arriveront en paix, et tâchez de les faire par ordre l'une après l'autre. Car, si vous voulez faire tout à coup ou en désordre, vous ferez des efforts qui vous fouleront et allanguiront votre esprit, et pour l'ordinaire vous demeurerez accablée sous la presse et sans effet.

En toutes vos affaires, appuyez-vous totalement sur la providence de Dieu, par laquelle seule tous vos desseins doivent réussir; travaillez néanmoins de votre côté tout doucement, pour coopérer avec celle-ci, et puis croyez que si vous vous êtes bien confiée en Dieu, le succès qui vous arrivera sera toujours le plus profitable pour vous, soit qu'il vous semble bon ou mauvais selon votre jugement particulier.

Faites comme les petits enfants qui, de l'une des mains, se tiennent à leur père, et de l'autre cueillent des fraises ou des mûres le long des haies. Car de même amassant et maniant les biens de ce monde de l'une de vos mains, tenez toujours de l'autre la main du Père céleste, vous retournant de temps en temps à lui, pour voir s'il a agréable votre ménage ou vos occupations. Et gardez bien sur toutes choses de quitter sa main et sa protection, pensant d'amasser ou recueillir davantage, car s'il vous abandonne, vous ne ferez point de pas sans donner du nez en terre. Je veux dire, ma Philothée, que, quand vous serez parmi les affaires et occupations communes qui ne requièrent pas une attention si forte et si pressante, vous regardiez plus Dieu que les affaires. Et quand les affaires sont de si grande importance qu'elles requièrent toute votre attention pour être bien faites, de temps en temps vous regarderez à Dieu, comme font ceux qui naviguent en mer, lesquels, pour aller à la terre qu'ils désirent, regardent plus en haut, au Ciel, que non pas en bas

où ils voguent; ainsi, Dieu travaillera avec vous, en vous et pour vous, et votre travail sera suivi de consolation.

CHAPITRE XI.

De l'obéissance.

La seule charité nous met en la perfection; mais l'obéissance, la chasteté et la pauvreté sont les trois grands moyens pour l'acquérir : l'obéissance consacre notre cœur, la chasteté notre corps et la pauvreté nos moyens à l'amour et service de Dieu. Ce sont les trois branches de la croix spirituelle; toutes trois, néanmoins, fondées sur la quatrième, qui est l'humilité. Je ne dirai rien de ces trois vertus, en tant qu'elles sont vouées solennellement, parce que cela ne regarde que les religieux ; ni même en tant qu'elles sont vouées simplement, d'autant qu'encore le vœu donne toujours beaucoup de grâces et de mérites à toutes les vertus ; toutefois, pour nous rendre parfaits, il n'est pas nécessaire qu'elles soient vouées ou non vouées, pourvu qu'elles soient observées. Car, bien qu'étant vouées, et surtout solennellement, elles mettent l'homme en l'état de perfection, cependant, pour le mettre en la perfection, il suffit qu'elles soient observées, y ayant bien de la différence entre l'état de perfection et la perfection, puisque tous les évêques et religieux sont en l'état de perfection, et tous néanmoins ne sont pas en la perfection, comme il ne se voit que trop. Tâchons donc, Philothée, de bien pratiquer ces trois vertus, un chacun selon sa vocation. Car, encore qu'elles ne nous mettent pas en l'état de perfection, elles nous donneront néanmoins la perfection même; aussi, nous sommes tous obligés à la pratique de ces trois vertus, quoique non pas tous à la pratiquer de même façon.

Il y a deux sortes d'obéissances, l'une nécessaire et l'autre volontaire. Par la nécessaire, vous devez humblement

obéir à vos supérieurs ecclésiastiques, comme au pape et à l'évêque, au curé et à ceux qui sont commis de leur part. Vous devez obéir à vos supérieurs politiques, c'est-à-dire, à votre prince et aux magistrats qu'il a établis sur votre pays; vous devez enfin obéir à vos supérieurs domestiques, c'est-à-dire, à vos père, mère, maître et maîtresse. Or, cette obéissance s'appelle nécessaire, parce que nul ne se peut exempter du devoir d'obéir à ces supérieurs-là, Dieu les ayant mis en autorité de commander et gouverner chacun en ce qu'ils ont charge sur nous. Faites donc leurs commandements, et cela est de nécessité; mais pour être parfaite, suivez encore leurs conseils, et même leurs désirs et inclinations, en tant que la charité et prudence vous le permettra ; obéissez quand ils vous ordonneront chose agréable, comme de manger, prendre de la récréation ; car encore qu'il semble que ce n'est pas grande vertu d'obéir en ce cas, ce serait néanmoins un grand vice de désobéir. Obéissez en les choses indifférentes, comme à porter tel ou tel habit, aller par un chemin ou par un autre, chanter ou se taire, et ce sera une obéissance déjà recommandable. Obéissez en les choses malaisées, âpres et dures, et ce sera une obéissance parfaite. Obéissez enfin doucement, sans réplique, promptement, sans retardation, gaîment, sans chagrin, et surtout obéissez amoureusement pour l'amour de celui qui, pour l'amour de nous, s'est fait obéissant jusqu'à la mort de la croix, et lequel, comme dit saint Bernard, aima mieux perdre la vie que l'obéissance.

Pour apprendre aisément à obéir à vos supérieurs, condescendez aisément à la volonté de vos semblables, cédant à leurs opinions en ce qui n'est pas mauvais, sans être contentieuse ni revèche; accommodez-vous volontiers aux désirs de vos inférieurs, autant que la raison le permettra, sans exercer aucune autorité impérieuse sur eux, tandis qu'ils sont bons.

C'est un abus de croire que, si on était religieux ou reli

gieuse, on obéirait aisément, si l'on se trouve difficile et revèche à rendre obéissance à ceux que Dieu a mis sur nous.

Nous appelons obéissance volontaire, celle à laquelle nous nous obligeons par notre propre élection, et laquelle ne nous est point imposée par autrui. On ne choisit pas pour l'ordinaire son prince et son évêque, son père et sa mère, ni même souvent son mari; mais on choisit bien son confesseur, son directeur. Or, soit qu'en le choisissant on fasse vœu d'obéir, comme il est dit que la mère Thérèse, outre l'obéissance solennellement vouée au supérieur de son ordre, s'obligea par un vœu simple d'obéir au père Gratian, ou que sans vœu on se dédie à l'obéissance de quelqu'un, toujours cette obéissance s'appelle volontaire, à raison de son fondement, qui dépend de notre volonté et élection.

Il faut obéir à tous les supérieurs, à chacun néanmoins en ce de quoi il a charge de nous. Comme en ce qui regarde la police et les choses publiques, il faut obéir aux princes; aux prélats, en ce qui regarde la police ecclésiastique ; pour les choses domestiques, au père, au maître, au mari; quant à la conduite particulière de l'âme, au directeur et confes seur particulier.

Faites-vous ordonner les actions de piété que vous devez observer, par votre père spirituel, parce qu'elles en seront meilleures et auront double grâce et bonté; l'une d'ellesmêmes, puisqu'elles sont pieuses, et l'autre de l'obéissance qui les aura ordonnées et en vertu de laquelle elles seront faites. Bienheureux sont les obéissants, car Dieu ne permettra jamais qu'ils s'égarent.

CHAPITRE XII.

Nécessité de la chasteté.

La chasteté est le lys des vertus ; elle rend les hommes presque égaux aux anges; rien n'est beau que par la pureté,

et la pureté des hommes, c'est la chasteté. On appelle la chasteté honnêteté, et la profession de celle-ci, honneur; elle est nommée intégrité, et son contraire corruption. Bref, elle a sa gloire toute à part d'être la belle et blanche vertu de l'âme et du corps.

Pour le premier degré de cette vertu, gardez-vous, Philothée, d'admettre aucune sorte de volupté qui soit prohibée et défendue.

Pour le second, retranchez-vous tant qu'il vous sera possible des délectations inutiles et superflues, quoique loisibles et permises.

Pour le troisième, n'attachez point votre affection aux plaisirs et voluptés qui sont commandées et ordonnées.

Au reste, chacun a grandement besoin de cette vertu; ceux qui sont en viduité doivent avoir une chasteté courageuse, qui ne méprise pas seulement les objets présents et futurs, mais qui résiste aux imaginations que le passé peut produire en leurs esprits, qui pour cela sont plus tendres aux amorces déshonnêtes. Et de vrai, tandis que les fruits sont bien entiers, ils peuvent être conservés, les uns sur la paille, les autres dans le sable, et les autres en leur propre feuillage; mais étant une fois entamés, il est presque impossible de les garder que par le miel et le sucre en confiture. Ainsi, la chasteté, qui n'est point encore blessée ni violée, peut être gardée en plusieurs sortes; mais étant une fois entamée, rien ne la peut conserver, qu'une excellente dévotion, laquelle, comme j'ai souvent dit, est le vrai miel et sucre des esprits.

Les vierges ont besoin d'une chasteté extrêmement simple et douillette, pour bannir de leur cœur toutes sortes de curieuses pensées, et mépriser d'un mépris absolu toutes sortes de plaisirs immondes, qui, à la vérité, ne méritent pas d'être désirés par les hommes, puisque les ânes et les pourceaux en sont plus capables qu'eux. Que donc ces âmes pures se gardent bien de jamais révoquer en doute,

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