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pour témoigner qu'on s'aime soi-même, il se faut plaire avec soi-même quand on y est. Or, on y est quand on est seul. « Pense à toi-même, dit saint Bernard, et puis aux » autres. » Si donc rien ne vous presse d'aller en conversation ou d'en recevoir chez vous, demeurez en vous-mêmes et vous entretenez avec votre cœur. Mais si la conversation vous arrive, ou si quelque juste sujet vous invite à vous y rendre, allez de par Dieu, Philothée, et voyez votre prochain de bon cœur et de bon œil.

On appelle mauvaises conversations celles qui se font pour quelques mauvaises intentions, ou bien quand ceux qui interviennent en celles-ci sont vicieux, indiscrets et dissolus ; et pour celles-là il s'en faut détourner, comme les abeilles se détournent de l'amas des taons et frelons. Car, comme ceux qui ont été mordus des chiens enragés ont la sueur, l'haleine et la salive dangereuse, et principalement pour les enfants et gens de délicate complexion, ainsi, ces vicieux et débordés ne peuvent être fréquentés qu'avec hasard et péril, surtout par ceux qui sont de dévotion encore tendre et délicate.

Il y a des conversations inutiles à toute autre chose qu'à la seule récréation, lesquelles se font par un divertissement des occupations sérieuses. Et quant à celles-là, comme il ne faut s'y adonner, aussi peut-on leur donner le loisir destiné à la récréation.

Les autres conversations ont pour leur fin l'honnêteté, comme sont les visites mutuelles et certaines assemblées qui se font pour honorer le prochain. Et quant à celles-là, comme il ne faut pas être superstitieuse à les pratiquer, aussi ne faut-il pas être du tout incivile à les mépriser, mais satisfaire avec modestie au devoir que l'on y a, afin d'éviter également la rusticité et la légèreté.

Restent les conversations utiles, comme sont celles des personnes dévotes et vertueuses; ô Philothée, ce vous sera toujours un grand bien d'en rencontrer souvent de telles.

La vigne plantée parmi les oliviers porte des raisins onctueux et qui ont le goût des olives; une âme qui se trouve souvent parmi les gens de vertu, ne peut qu'elle ne participe à leurs qualités. Les bourdons sculs ne peuvent point faire du miel, mais avec les abeilles ils aident à le faire. C'est un grand avantage pour nous bien exercer à la dévotion, de converser avec les âmes dévotes.

En toutes conversations, la naïveté, simplicité, douceur et modestie sont toujours préférées. Il y a des gens qui ne font nulle sorte de contenance ni de mouvement qu'avec tant d'artifice, que chacun en est ennuyé. Et comme celui qui ne voudrait jamais se promener qu'en comptant ses pas, ni parler qu'en chantant, serait fâcheux au reste des hommes, ainsi, ceux qui tiennent un maintien artificieux et qui ne font rien qu'en cadence, importunent extrêmement la conversation; et à cette sorte de gens il y a toujours quelque espèce de présomption. Il faut, pour l'ordinaire, qu'une joie modérée prédomine en notre conversation. Saint Romuald et saint Antoine sont extrêmement loués de quoi, nonobstant toutes leurs austérités, ils avaient ia face et la parole ornées de joie, gaîté et civilité. « Riez avec les riants, » et réjouissez-vous avec les joyeux.» Je vous dis encore une fois avec l'apôtre : « Soyez toujours joyeuse, mais en >> notre Seigneur, et que votre modestie paraisse à tous les >> hommes.» Pour vous réjouir en notre Seigneur, il faut que le sujet de votre joie soit non seulement loisible, mais honnête; ce que je dis, parce qu'il y a des choses loisibles, qui pourtant ne sont pas honnêtes; et afin que votre modestie paraisse, gardez-vous des insolences, lesquelles, sans doute, sont toujours répréhensibles. Faire tomber l'un, noircir l'autre, piquer le tiers, faire du mal à un fou, ce sont des risées et joies sottes et insolentes.

Mais toujours, outre la solitude mentale, à laquelle vous vous pouvez retirer parmi les plus grandes conversations, ainsi que j'ai dit ci-dessus, vous devez aimer la solitude

locale et réelle, non pas pour aller dans les déserts, comme sainte Marie Égyptienne, saint Paul, saint Antoine, saint Arsène et les autres Pères solitaires, mais pour être quelque peu en votre chambre, en votre jardin et ailleurs, où, plus à souhait, vous puissiez retirer votre esprit en votre cœur, et récréer votre âme par de bonnes cogitations et saintes pensées, ou par un peu de bonne lecture, à l'exemple de ce grand évêque de Nazianze, qui, parlant de soi-même: « Je » me promenais, dit-il, moi-même avec moi-même, sur le » soleil couchant, et passais le temps sur le rivage de la » mer; car j'ai accoutumé d'user de cette récréation pour me >> relâcher et secouer un peu des ennuis ordinaires.» Et làdessus, il discourt de la bonne pensée qu'il fit, que je vous ai récitée ailleurs; et à l'exemple encore de saint Ambroise, duquel parlant saint Augustin, il dit que souvent étant entré en sa chambre, car on ne refusait l'entrée à personne, il le regardait lire, et après avoir attendu quelque temps, de peur de l'incommoder, il s'en retournait sans mot dire, pensant que ce peu de temps qui restait à ce grand pasteur pour revigorer et récréer son esprit, après le tracas de tant d'affaires, ne lui devait pas être ôté. Aussi, après que les apôtres eurent un jour raconté à notre Seigneur comme ils avaient prêché et beaucoup fait : « Venez, leur dit-il, en » la solitude, vous y reposer un peu.»>

CHAPITRE XXIV.

De la lienséance des habits.

Saint Paul veut que les femmes dévotes, il en faut autant dire des hommes, soient revêtues d'habits bienséants 2 se parant avec pudicité et sobriété. Or, la bienséance des habits et autres ornements dépend de la matière, de la forme et de la netteté. Quant à la netteté, elle doit presque toujours être égale à nos habits, sur lesquels, tant qu'il est

possible, nous ne devons laisser aucune sorte de souillure et vilenie. La netteté extérieure représente en quelque façon l'honnêteté intérieure. Dieu même requiert l'honnêteté corporelle en ceux qui s'approchent de ses autels et qui ont la charge principale de la dévotion.

Quant à la manière et à la forme des habits, la bienséance se considère par plusieurs circonstances, du temps, de l'âge, des qualités, des compagnies, des occasions. On se pare mieux ordinairement aux jours de fêtes, selon la grandeur du jour qui se célèbre. En temps de pénitence, comme en carême, on se démet bien fort; aux noces on porte les robes nuptiales, et aux assemblées funèbres les robes de deuil : auprès des princes on rehausse l'état, lequel on doit abaisser entre les domestiques. La femme mariée se peut et doit orner auprès de son mari, quand il le désire; si elle en fait de même en étant éloignée, on demandera quels yeux elle veut favoriser avec ce soin particulier. On permet plus d'affiquets aux filles, parce qu'elles peuvent loisiblement désirer d'agréer à plusieurs, quoique ce ne soit qu'afin d'en gagner un pour un saint mariage. On ne trouve pas non plus mauvais que les veuves à marier se parent aucunement, pourvu qu'elles ne fassent point paraître de folâtrerie, d'autant qu'ayant déjà été mères de famille, et passé par les regrets du veuvage, on tient leur esprit pour droit et attrempé. Mais quant aux vraies veuves, qui le sont non-seulement de corps mais aussi de cœur, nul ornement ne leur est convenable, sinon l'humilité, la modestie et la dévotion; car si elles veulent donner de l'amour aux hommes, elles ne sont pas vraies veuves, et si elles n'en veulent pas donner, pourquoi en portent-elles les outils? Qui ne veut recevoir les hôtes, il faut qu'il ôte l'enseigne de son logis. On se moque toujours des vieilles gens quand ils veulent faire les jolis; c'est une folie qui n'est supportable qu'à la jeunesse.

Soyez propre, Philothée, qu'il n'y ait rien sur vous de

traînant et mal-agencé. C'est un mépris de ceux avec lesquels on converse, d'aller chez eux en habit désagréable ; mais gardez-vous bien des affèteries, vanités, curiosités et folâtreries. Tenez-vous toujours, tant qu'il vous sera possible, du côté de la simplicité et modestie, qui est sans doute le plus grand ornement de la beauté, et la meilleure excuse pour la laideur. Saint Pierre avertit principalement les jeunes femmes de ne porter point les cheveux tant crêpés, frisés, annelés et serpentés. Les hommes, qui sont si làches de s'amuser à ces muguetteries, sont partout décriés comme hermaphrodites. Et les femmes vaines sont tenues pour imbécilles en chasteté ; au moins si elles en ont, elle n'est pas visible parmi tant de fatras et bagatelles. On dit qu'on n'y pense pas mal; mais je réplique, comme j'ai fait ailleurs, que le diable y en pense toujours. Pour moi, je voudrais que mon dévot et ma dévote fussent toujours les mieux habillés de la troupe, mais les moins pompeux et affètés; et comme il est dit au Proverbe, qu'ils fussent parés de grâce, bienséance et dignité. Saint Louis dit en un mot, que l'on se doit vêtir selon son état; en sorte que les sages et bons ne puissent dire: Vous en faites trop, ni les jeunes gens: Vous en faites trop peu. Mais en cas que les jeunes ne se veuillent pas contenter de la bienséance, il se faut arrêter à l'avis des sages.

CHAPITRE XXV.

Du parler, et premièrement comme il faut parler de Dicu.

Les médecins prennent une grande connaissance de la santé ou maladie d'un homme, par l'inspection de sa langue, et les paroles sont les vrais indices des qualités de nos âmes. «< Par tes paroles, dit le Sauveur, tu seras justifié, et » par tes paroles, tu seras condamné.» Nous portons soudain la main sur la douleur que nous sentons, et la langue sur l'amour que nous avons.

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