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plus suave odeur quand on éteint leurs flammes; ainsi les veuves desquelles l'amour a été pur en leur mariage, répandent un plus grand parfum de vertu et de chasteté, quand leur lumière, c'est-à-dire, leur mari, est éteinte par la mort. D'aimer le mari tandis qu'il est en vie, c'est chose assez triviale entre les femmes; mais l'aimer tant qu'après la mort de celui-ci on n'en veuille point d'autre, c'est un rang d'amour qui n'appartient qu'aux vraies veuves. Espérer en Dieu tandis que le mari sert de support, ce n'est pas chose si rare; mais d'espérer en Dieu quand on est destituée de cet appui, c'est chose digne de grande louange. C'est pourquoi on connaît plus aisément en la viduité la perfection des vertus que l'on a eues au mariage.

La veuve laquelle a des enfants, qui ont besoin de son adresse et conduite, et principalement en ce qui regarde leur âme, et l'établissement de leur vie, ne peut, ni doit en façon quelconque les abandonner; car l'apôtre saint Paul dit clairement, qu'elles sont obligées à ce soin-là, pour rendre la pareille à leurs pères et mères, et d'autant encore, que si quelqu'un n'a soin des siens, et principalement de ceux de sa famille, il est pire qu'un infidèle. Mais si les enfants sont en état de n'avoir plus besoin d'être conduits, la veuve alors doit ramasser toutes ses affections et cogitations, pour les appliquer plus purement à son avancement en l'amour de Dieu.

Si quelque force forcée n'oblige la conscience de la vraie veuve aux embarrassements extérieurs, tels que sont les procès, je lui conseille de s'en abstenir du tout et suivre la méthode de conduire ses affaires qui sera la plus paisible et tranquille, quoiqu'il ne semblât pas que ce fut la plus fructueuse. Car il faut que les fruits du tracas soient bien grands, pour être comparables au bien d'une sainte tranquillité, laissant à part que les procès et telles brouilleries dissipent le cœur et ouvrent souventes fois la porte aux ennemis de la chasteté, tandis que pour complaire à ceux de la

faveur desquels on a besoin, on se met en des contenances indévotes et désagréables à Dieu.

L'oraison soit le continuel exercice de la veuve; car ne devant plus avoir d'amour que pour Dieu, elle ne doit non plus presque avoir de paroles que pour Dieu; et comme le fer, qui étant empêché de suivre l'attraction de l'aimant à cause de la présence du diamant, s'élance vers le même aimant soudain que le diamant est éloigné: ainsi le cœur de la veuve, qui ne pouvait bonnement s'élancer tout en Dieu, ni suivre les attraits de son divin amour, pendant la vie de son mari, doit, soudain après le trépas de celui-ci courir ardemment à l'odeur des parfums célestes, comme disant à l'imitation de l'épouse sacrée : O Seigneur, maintenant que je suis toute mienne, recevez-moi pour toute vôtre, retirezmoi après vous; nous courrons à l'odeur de vos onguents.

L'exercice des vertus propres à la sainte veuve, sont la parfaite modestie, le renoncement aux honneurs, aux rangs, aux assemblées, aux titres, et à telles sortes de vanités ; le service des pauvres et des malades, la consolation des affligés, l'introduction des filles à la vie dévote, et de se rendre un parfait exemplaire de toutes vertus aux jeunes femmes. La nécessité et la simplicité sont les deux ornements de leurs habits; l'humilité et la charité, les deux ornements de leur actions; l'honnêteté et débonnaireté, les deux ornements de leur langage; la modestie et la pudicité, l'ornement de leurs yeux; et Jésus-Christ crucifié, l'unique amour de leur cœur.

Bref, la vraie veuve est en l'Église une petite violette de mars, qui répand une suavité non-pareille, par l'odeur de sa dévotion, et se tient presque toujours cachée sous les larges feuilles de son abjection, et par sa couleur moins éclatante, témoigne la mortification: elle vient aux lieux frais et non cultivés, ne voulant pas être pressée de la conversation des mondains, pour mieux conserver la fraîcheur de son cœur contre toutes les chaleurs que le desir des biens, des hon

neurs, ou même des amours, lui pourraient apporter. <«< Elle sera bienheureuse, dit le saint apôtre, si elle persévère en cette sorte. >>

J'aurais beaucoup d'autres choses à dire sur ce sujet ; mais j'aurai tout dit, quand j'aurai dit que la veuve, jalouse de l'honneur de sa condition, lise attentivement les belles épîtres que le grand saint Jérôme écrit à Furia et à Salvia, et à toutes ses autres dames, qui furent si heureuses que d'être filles spirituelles d'un si grand père; car il ne se peut rien ajouter à ce qu'il leur dit, sinon cet avertissement, que la vraie veuve ne doit jamais ni blâmer, ni censurer celles qui passent aux secondes, ou même troisièmes ou quatrièmes noces; car en certains cas, Dieu en dispose ainsi pour sa plus grande gloire. Et faut toujours avoir devant les yeux cette doctrine des anciens, que ni la viduité, ni la virginité n'ont point de rang au ciel que celui qui leur est assigné par l'humilité.

CHAPITRE XXXIX.

Un mot aux vierges.

O vierges, je n'ai à vous dire que ces trois mots; car vous trouverez le reste ailleurs: si vous prétendez au mariage temporel, gardez donc jalousement votre premier amour pour votre premier mari. Je pense que c'est une très-grande tromperie de présenter, au lieu d'un cœur entier et sincère, un cœur tout usé, frelaté, et tracassé d'amour. Mais si votre bonheur vous appelle aux chastes et virginales noces spirituelles, et qu'à jamais vous veuillez conserver votre virginité, ô Dieu, conservez votre amour le plus délicatement que vous pourrez pour cet époux divin, qui étant la pureté même n'aime rien tant que la pureté, et à qui les prémices de toutes choses sont dues, mais principalement celles de l'amour. Les épitres de saint Jérôme vous fourniront tous

les avis qui vous sont nécessaires. Et puisque votre condition oblige à l'obéissance, choisissez une guide, sous la conduite de laquelle vous puissiez plus saintement dédier votre cœur et votre corps à sa divine Majesté.

QUATRIÈME PARTIE,

CONTENANT LES AVIS NÉCESSAIRES CONTRE LES TENTATIONS

PLUS ORDINAIRES,

CHAPITRE [er.

Qu'il ne faut point s'amuser aux paroles des enfants du monde.

Tout aussitôt que les mondains s'appercevront que vous voulez suivre la vie dévote, ils décocheront sur vous mille traits de leur cajolerie et médisance; les plus malins calomnieront votre changement d'hypocrisie, bigoterie et artifice; ils diront que le monde vous a fait mauvais visage, et qu'à son refus vous recourez à Dieu; vos amis s'empresseront à vous faire un monde de remontrances fort prudentes et charitables à leur avis. Vous tomberez, diront-ils, en quelque humeur mélancolique; vous perdrez le crédit au monde, vous vous rendrez insupportable, vous envieillirez devant le temps, vos affaires domestiques en pâtiront; il faut vivre au monde, comme au monde; on peut bien faire son salut sans tant de mystères, et mille telles bagatelles.

Ma Philothée, tout cela n'est qu'un sot et vain babil; ces gens-là n'ont nul soin, ni de votre santé, ni de vos affaires. « Si vous étiez du monde, dit le Sauveur, le monde aime>> rait ce qui est sien; mais parce que vous n'êtes pas monde, partant il vous haît. » Nous avons vu des gentilhommes et des dames passer la nuit entière, même plu

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sicurs nuits de suite à jouer aux échecs et aux carles; y a-t-il une attention plus chagrine, plus mélancolique et plus sombre que celle-là? les mondains néanmoins ne disaient mot; les amis ne se mettaient point en peine; et pour la méditation d'une heure, ou pour nous voir lever un peu plus matin qu'à l'ordinaire, pour nous préparer à la communion, chacun court au médecin pour nous faire guérir de l'humeur hypocondriaque et de la jaunisse. On passera trente nuits à danser, nul ne s'en plaint; et pour la veille seule de la nuit de Noël, chacun tousse et crie au ventre le jour suivant. Qui ne voit que le monde est un juge inique, gracieux et favorable pour ses enfants, mais âpre et rigoureux aux enfants de Dieu.

Nous ne saurions être bien avec le monde, qu'en nous perdant avec lui. Il n'est pas possible que nous le contentions; car il est trop bizarre. « Jean est venu, dit le Sau» veur, ne mangeant ni ne buvant, et vous dites qu'il est en» diablé ; le fils de l'homme est venu en mangeant et bu» vant, et vous dites qu'il est Samaritain. » Il est vrai, Philothée, si nous nous relâchons par condescendance à rire, jouer, danser avec le monde, il s'en scandalisera; si nous ne le faisons pas, il nous accusera d'hypocrisie ou mélancolie. Si nous nous parons, il l'interprêtera à quelque dessein; si nous nous démettons, ce sera pour lui vileté de cœur. Nos gaités seront par lui nommées dissolutions et nos mortifications tristesses; et nous regardant ainsi de mauvais œil, jamais nous ne pouvons lui être agréables. Il agrandit nos imperfections et publie que ce sont des péchés; de nos péchés véniels, il en fait des mortels; et nos péchés d'infirmité, il les convertit en péchés de malice; en ce que, comme dit saint Paul, « la charité est bénigne ; » au contraire, le monde est malin. Au lieu que la charité ne pense point de mal, au contraire le monde pense toujours mal; et quand il ne peut accuser nos actions, il accuse nos intentions. Soit que les moutons aient des cornes ou qu'ils

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