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Jacob, David, Job, Tobie, Sara, Rébecca et Judith en font foi par l'Ancien-Testament; et quant au nouveau, saint Joseph, Lydia et saint Crespin furent parfaitement dévots en leurs boutiques; sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquilla, Priscilla en leurs ménages; Cornélius, saint Sébastien, saint Maurice, parmi les armes ; Constantin, Hélène, saint Louis le bien-aimé, saint Edouard, en leurs trônes royaux et ducaux. Il est même arrivé que plusieurs ont perdu la perfection en la solitude, qui est néanmoins si désirable pour la perfection, et l'ont conservée parmi la multitude, qui semble si peu favorable à la perfection. Loth, dit saint Grégoire, qui fut si chaste en la ville, se » souilla en la solitude.» Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite.

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CHAPITRE IV.

De la nécessité d'un conducteur pour entrer et faire progrès
en la dévotion.

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Le jeune Tobie commandé d'aller en Ragès : « Je ne sais nullement le chemin, dit-il.—Va donc, répliqua le père, et cherche quelque homme qui te conduise. »Je vous en dis de même, ma Philothée. Voulez-vous à bon escient vous acheminer à la dévotion, cherchez quelque homme de bien qui vous guide et conduise. C'est ici l'avertissement des avertissements : « Quoi que vous cherchiez, dit le dévot » Avila, vous ne trouverez jamais si assurément la volonté » de Dieu, que par le chemin de cette humble obéissance, tant » recommandée et pratiquée par tous les anciens dévots. » La bienheureuse mère Thérèse, voyant que madame Catherine de Cordoue faisait grandes pénitences, désira fort de l'imiter en cela, contre l'avis de son confesseur qui le lui défendait, auquel elle était tentée de ne point obéir pour ce regard. Et Dieu lui dit : « Ma fille, tu tiens un bon et assuré

chemin; tu vois la pénitence qu'elle fait; mais moi je fais plus de cas de ton obéissance. » Aussi elle aimait tant cette vertu, qu'outre l'obéissance qu'elle devait à ses supérieurs, elle en voua une toute particulière à un excellent homme, s'obligeant de suivre sa direction et conduite, dont elle fut infiniment consolée; comme après et devant elle, plusieurs bonnes âmes qui, pour se mieux assujétir à Dieu, ont soumis leur volonté à celle de ses serviteurs; ce que sainte Catherine de Sienne loue infiniment en ses Dialogues. La dévote princesse sainte Élizabeth se soumit avec une extrême obéissance au docteur Conrad. Et voici l'un des avis que le grand saint Louis fit à son fils avant que de mourir; «Confesse-toi souvent, élis un confesseur idoine, qui soit prud'homme, et qui te puisse sûrement enseigner à faire les choses qui te sont nécessaires. »

L'ami fidèle, dit l'Écriture sainte, est une forte protection; celui qui l'a trouvé a trouvé un trésor. L'ami fidèle 'est un médicament de vie et d'immortalité ; ceux qui craignent Dieu le trouvent. Ces divines paroles regardent principalement l'immortalité, comme vous voyez, pour laquelle il faut sur toutes choses avoir cet ami fidèle, qui guide nos actions par ses avis et conseils, et par ce moyen nous garantisse des embûches et tromperies du malin. Il nous sera comme un trésor de sagesse en nos afflictions, tristesses et chutes; il nous servira de médicament, pour alléger et consoler nos cœurs dans les maladies spirituelles; il nous gardera du mal et rendra notre bien meilleur; et quand il nous arrivera quelque infirmité, il empêchera qu'elle ne soit pas à la mort, car il nous en relèvera.

Mais qui trouvera cet ami? Le sage répond: ceux qui craignent Dieu, c'est-à-dire, les humbles, qui désirent fort leur avancement spirituel. Puisqu'il vous importe tant, Philothée, d'aller avec un bon guide en ce saint voyage de dévotion, priez Dieu avec une grande instance qu'il vous en fournisse un qui soit selon son cœur ; et ne doutez

point, car quand il devrait envoyer un ange du ciel comme il fit au jeune Tobie, il vous en donnera un bon et fidèle.

Or, ce doit toujours être un ange pour vous; c'est-à-dire, quand vous l'aurez trouvé, ne le considérez pas comme un simple homme, et ne vous confiez point en lui, ni en son savoir humain, mais en Dieu, lequel vous favorisera et parlera par l'entremise de cet homme, mettant dans le cœur et dans la bouche de celui-ci, ce qui sera requis pour votre bonheur; si bien que vous le devez écouter comme un ange qui descend du ciel pour vous mener. Traitez avec lui à cœur ouvert, en toute sincérité et fidélité, lui manifestant clairement votre bien et votre mal, sans feintise ni dissimulation; et par ce moyen votre bien sera examiné et plus assuré', et votre mal sera corrigé et remédié; vous en serez allégée et fortifiée en vos afflictions, modérée et réglée en vos consolations. Ayez en lui une extrême confiance, mêlée d'une sacrée révérence, en sorte que la révérence ne diminue point la confiance, et que la confiance n'empêche point la révérence; confiez-vous en lui avec le respect d'une fille envers son père, respectez-le avec la confiance d'un fils envers sa mère. Bref, cette amitié doit être forte et douce, toute sainte, toute sacrée, toute divine et toute spirituelle.

et

Et pour cela, choisissez-en un entre mille, dit Avila, moi je dis entre dix mille, car il s'en trouve moins que l'on ne saurait dire qui soient capables de cet office. Il le faut plein de charité, de science et de prudence; si l'une de ces trois parties lui manque, il y a du danger; mais je vous dis derechef, demandez-le à Dieu, et l'ayant obtenu, bénissez sa divine Majesté, demeurez ferme et n'en cherchez point d'autres; mais allez simplement, humblement et confidemment, car vous ferez un très-heureux voyage.

CHAPITRE V.

Qu'il faut commencer par la purgation de l'àme.

« Les fleurs, dit l'époux sacré, apparaissent en notre terre: le temps d'émonder et tailler est venu. «Quelles sont les fleurs de nos cœurs, ô Philothée, sinon les bons désirs? Or, tout aussitôt qu'ils paraissent, il faut mettre la main à la serpe, pour retrancher de notre conscience toutes les œuvres mortes et superflues. La fille étrangère, pour épouser l'Israélite, devait ôter la robe de sa captivité, rogner ses ongles et raser ses cheveux ; et l'âme qui aspire à l'honneur d'être épouse du fils de Dieu, se doit dépouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau, quittant le péché; puis rogner et raser toutes sortes d'empêchements qui détournent de l'amour de Dieu. C'est le commencement de notre santé que d'être purgé de nos humeurs peccantes. Saint Paul, tout en un moment, fut purgé d'une purgation parfaite, comme fut aussi sainte Catherine de Gènes, sainte Madeleine sainte Pélagie et quelques autres ; mais cette sorte de purgation est toute miraculeuse et extraordinaire en la grâce, comme la résurrection des morts en la nature; si bien que nous ne devons pas y prétendre. La purgation et guérison ordinaires, soit des corps, soit des esprits, ne se fait que petit à petit, par progrès, d'avancement en avancement, avec peine et loisir.

Les anges ont des ailes sur l'échelle de Jacob; mais ils ne volent pourtant pas et montent et descendent par ordre d'échelon en échelon. L'âme, qui remonte du péché à la dévotion, est comparée à l'aube, laquelle s'élevant ne chasse pas les ténèbres en même instant, mais petit à petit; la guérison, dit l'aphorisme, qui se fait tout bellement, est toujours plus assurée; les maladies du cœur, aussi bien que celles du corps, viennent à cheval et en poste; mais elles

s'en revont à pied et au petit pas. Il faut donc être courageuse et patiente, ô Philothée, en cette entreprise. Hélas! quelle pitié est-ce des âmes, lesquelles se voyant sujettes à plusieurs imperfections, après s'être exercées quelques mois en la dévotion, commencent à s'inquiéter, se troubler et décourager, laissant presque emporter leur cœur à la tentation de tout quitter et retourner en arrière; mais aussi de l'autre côté, n'est-ce pas un extrême danger aux âmes, lesquelles, par une tentation contraire, se font accroire d'être purgées de leurs imperfections le premier jour de leur purgation, se tenant pour parfaites avant presque que d'être faites, en se mettant au vol sans ailes! ô Philothée, qu'elles sont en grand péril de recheoir pour s'être trop tôt, ôtées d'entre les mains du médecin. Ah! ne vous levez pas avant que la lumière soit arrivée, dit le prophète; levezvous après que vous aurez été assis; et lui-même pratiquant cette leçon, et ayant été déjà lavé et nettoyé, demande de l'être derechef.

L'exercice de la purgation de l'âme ne se peut ni ne doit finir qu'avec notre vie. Ne nous troublons donc point de nos imperfections, car notre perfection consiste à les combattre, et nous ne saurions les combattre sans les voir, ni les vaincre sans les rencontrer; notre victoire ne gît pas ne les sentir point, mais à ne point leur consentir.

à

Mais ce n'est pas leur consentir, que de recevoir des incommodités de celles-ci; il faut bien que, pour l'exercice de notre humilité, nous soyons quelquefois blessés en cette bataille spirituelle ; mais nous ne sommes jamais tenus pour vaincus, sinon lorsque nous avons perdu ou la vie ou le courage. Or, les imperfections et péchés véniels ne nous sauraient ôter la vie spirituelle: car elle ne se perd que par le péché mortel. Il reste donc seulement qu'elles ne nous fassent point perdre le courage. « Délivrez-moi, Seigneur, disait David, de la couardise et découragement; c'est une heureuse condition pour nous en cette guerre, que nous

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