escient, garder en notre conscience une chose si déplaisante à Dieu, comme est la volonté de lui vouloir déplaire. Le péché véniel, pour petit qu'il soit, déplaît à Dieu, bien qu'il ne lui déplaise pas tant que pour celui-ci il nous veuille damner ou perdre. Que si le péché véniel lui déplaît, la volonté et l'affection que l'on a au péché véniel n'est autre chose qu'une résolution de vouloir déplaire à sa divine Majesté. Est-il bien possible qu'une âme bien née veuille nonseulement déplaire à son Dieu, mais s'affectionner de lui déplaire? Ces affections, Philothée, sont directement contraires à la dévotion, comme les affections au péché mortel le sont à la charité; elles allanguissent les forces de l'esprit, cmpêchent les consolations divines, ouvrent la porte aux tentations, et bien qu'elles ne tuent pas l'âme, elles la rendent extrêmement malade. Les mouches mourantes, dit le sage, perdent et gâtent la suavité de l'onguent; il veut dire que les mouches ne s'arrêtant guère sur l'onguent, mais le mangeant en passant, ne gâtent que ce qu'elles prennent, le reste dèmeurant en son entier ; mais quand elles demeurent en l'onguent, elles lui ôtent son prix et le mettent à dédain; et de même les péchés véniels, arrivant dans unc âme dévote et ne s'y arrêtant pas long-temps, ne l'endommagent pas beaucoup; mais si ces mêmes péchés demeurent dans l'âme pour l'affection qu'elle y met, ils lui font perdre sans doute la suavité de l'onguent, c'est-à-dire, la sainte dévotion. Les araignées ne tuent pas les abeilles, mais elles gâtent et corrompent leur miel, et embarrassent leurs rayons des toiles qu'elles y font; en sorte que les abeilles ne peuvent plus faire leur ménage; cela s'entend quand elles y font du séjour. Ainsi le péché véniel ne tue pas notre âme, mais il gâte pourtant la dévotion et embarrasse si fort de mauvaises habitudes et inclinations les puissances de l'âme, qu'elle ne peut plus exercer la promptitude de la charité, en laquelle gît la dévotion. Mais cela s'entend quand le péché vé niel séjourne en notre conscience par l'affection que nous y mettons. Ce n'est rien, Philothée, de dire quelque petit mensonge, de se dérégler un peu en paroles, en actions, en regards, en habits, en jolivetés, en jeux, en danses, pourvu que tout aussitôt que ces araignées spirituelles, seront entrées en notre conscience, nous les en rechassions et bannissions, comme les mouches à miel font les araignées corporelles. Mais si nous leur permettons d'arrêter dans nos cœurs, et nonseulement cela, mais que nous nous affectionnions à les retenir et multiplier, bientôt nous verrons notre miel perdu, et la ruche de notre conscience empêtrée et défaite. Mais je redis encore une fois, quelle apparence y a-t-il qu'une âme généreuse se plaise à déplaire à son Dieu et s'affectionne à lui être désagréable, et veuille vouloir ce qu'elle sait lui être ennuyeux? CHAPITRE XII. Qu'il se faut purger de l'affection aux choses inutiles et Les jeux, les bals, les festins, les pompes, les comédies, en leur substance, ne sont nullement choses mauvaises, mais indifférentes, pouvant être bien et mal exercées; toujours, néanmoins, ces choses-là sont dangereuses, et de s'y affectionner cela est encore plus dangereux. Je dis donc, Philothée, qu'encore qu'il soit loisible de jouer, danser, se parer, ouïr des honnêtes comédies, banqueter; si est-ce que d'avoir de l'affection à cela, c'est chose contraire à la dévotion et extrêmement nuisible et périlleuse. Ce n'est pas mal de le faire, mais oui bien de s'y affectionner. C'est dommage de semer en la terre de notre cœur des affections si vaines et sottes; cela occupe le lieu des bonnes impressions etempêche que le suc de notre âme ne soit employé en bonnes inclinations. Ainsi, les anciens Nazaréens s'abstena ient non-seulement de tout ce qui pouvait enivrer, mais aussi des raisins et du verjus, non point que le raisin ou le verjus enivrent, mais parce qu'il y avait danger, en mangeant du verjus, d'exciter le désir de manger des raisins, et en mangeant des raisins, de provoquer l'appétit à boire du moût et du vin. Or, je ne dis pas que nous ne puissions user de ces choses dangereuses; mais je dis bien pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection, sans intéresser la dévotion. Les cerfs, ayant pris trop de venaison, s'écartent et retirent dans leurs buissons, connaissant que leur graisse les charge, en sorte qu'ils ne sont pas habiles à courir, si d'aventure ils étaient at taqués. Le cœur de l'homme, se chargeant de ces affections inutiles, superflues et dangereuses, ne peut sans doute promptement, aisément et facilement courir après son Dieu, qui est le vrai point de la dévotion. Les petits enfants s'affectionnent et s'échauffent après les papillons; nul ne le trouve mauvais, parce qu'ils sont enfants; mais n'est-ce pas une chose ridicule, même plutôt lamentable, de voir des hommes faits s'empresser et s'affectionner après des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j'ai nommées, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en péril de nous dérégler et désordonner à leur poursuite? C'est pourquoi, ma chère Philothée, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections; et bien que les actes ne soient pas toujours contraires à la dévotion, les affections, néanmoins, lui sont toujours dommageables. CHAPITRE XIII. Qu'il se faut purger des mauvaises inclinations. Nous avons encore, Philothée, certaines inclinations naturelles, lesquelles, pour n'avoir pris leur origine de nos péchés particuliers, ne sont proprement pas péchés, ni mor tels ni véniels, mais s'appellent imperfections, et leurs actes, défauts et manquements. Par exemple, sainte Paule, selon le récit de saint Jérôme, avait une grande inclination aux tristesses et regrets, si qu'en la mort de ses enfants et de son mari, elle courut toujours fortune de mourir de déplaisir. Cela était une imperfection et non point un péché, puisque c'était contre son gré et sa volonté. Il y en a qui, de leur naturel, sont légers, les autres rébarbatifs, les autres durs à recevoir les opinions d'autrui; les uns sont enclins à l'indignation, les autres à la colère, les autres à l'amour; et, en somme, il se trouve peu de personnes en lesquelles on ne puisse remarquer quelque sorte de telles imperfections. Or, quoiqu'elles soient comme propres et naturelles à un chacun, si est-ce que par le soin et affection contraire on les peut corriger et modérer, et même on peut s'en délivrer et purger; et je vous dis, Philothée, qu'il le faut faire. On a bien trouvé le moyen de changer les amandiers amers en amandiers doux, en les perçant seulement au pied pour en faire sortir le suc; pourquoi est-ce que nous ne pourrions pas faire sortir nos inclinations perverses pour devenir meilleurs? Il n'y a point de si bon naturel qui ne puisse être rendu mauvais par les habitudes vicieuses; il n'y a point aussi de naturel si revêche qui, par la grâce de Dieu premièrement, puis par l'industrie et diligence, ne puisse être dompté et surmonté. Je m'en vais donc maintenant donner des avis et proposer des exercices, par le moyen desqueis vous purgerez votre âme des affections dangereuses, des imperfections et de toutes affections aux péchés véniels, et ainsi assurerez de plus en plus votre conscience contre tout péché mortel. Dieu vous fasse la grâce de les bien pratiquer! SECONDE PARTIE. CONTENANT DIVERS AVIS POUR L'ÉLÉVATION DE L'AME A DIEU CHAPITRE Ier. De la nécessité de l'Oraison. I. L'oraison met notre entendement en la clarté et lumière divine, et expose notre volonté à la chaleur de l'amour céleste; il n'y a rien qui purge tant notre entendement de ses ignorances et notre volonté de ses affections dépravées. C'est l'eau de bénédiction qui, par son arrosement, fait reverdir et fleurir les plantes de nos bons désirs, lave nos âmes de leurs imperfections, et désaltère nos cœurs de leurs passions. II. Mais surtout je vous conseille la mentale et cordiale, et particulièrement celle qui se fait autour de la vie et passion de notre Seigneur; en le regardant souvent par la méditation, toute votre âme se remplira de lui, vous apprendrez ses contenances, et formerez vos actions au modèle des siennes. Il est la lumière du monde; c'est donc en lui, par lui et pour lui que nous devons être éclairés et illuminés. C'est l'arbre de désir, à l'ombre duquel nous nous devons rafraîchir; c'est la vive fontaine de Jacob, pour le lavement de toutes nos souillures. Enfin, les enfants, à force d'ouïr leurs mères et de bégayer avec elles, apprennent à parler leur langage. Et nous, demeurant près du Sauveur par la méditation, et observant ses paroles, ses actions et ses affections, nous apprendrons, moyennant sa grâce, à parler, faire et vouloir comme lui. Il faut s'arrêter là, Philothée; et croyez-moi, nous ne saurions aller à Dieu le Père que par cette porte; car, tout ainsi que la glace d'un miroir ne |