saurait arrêter notre vue, si elle n'est enduite d'étain ou de plomb par derrière, aussi la Divinité ne pourrait être bien. contemplée par nous en ce bas monde, si elle ne se fût jointe à la sacrée humanité du Sauveur, duquel la vie et la mort sont l'objet le plus proportionné, doux, délicieux et profitable que nous puissions choisir pour notre méditation ordinaire. Le Sauveur ne s'appelle pas pour néant le pain descendu du ciel; car, comme le pain doit être mangé avec toutes sortes de viandes, aussi le Sauveur doit être médité, considéré et recherché en toutes nos oraisons et actions. Sa vie et sa mort ont été disposées et distribuées en divers points, pour servir à la méditation, par plusieurs auteurs; ceux que je vous conseille sont saints Bonaventure Bellintani, Bruno, Capilla, Grenade Dupont. III. Employez-y chaque jour une heure avant dîner, et, s'il se peut, au commencement de votre matinée, parce que vous aurez votre esprit moins embarrassé et plus frais après le repos de la nuit. N'y mettez pas aussi davantage d'une heure, si votre père spirituel ne vous le dit expressément. IV. Si vous pouvez faire cet exercice dans l'église, et que vous y trouviez assez de tranquillité, ce vous sera une chose fort aisée et commode, parce que nul, ni père, ni mère, ni femme, ni mari, ni autre quelconque ne vous pourra bonnement empêcher de demeurer une heure dans l'église; au lieu qu'étant en quelque sujétion, vous ne pourriez peut-être pas vous promettre d'avoir une heure si franche dans votre maison. V. Commencez toutes sortes d'oraisons, soit mentales, soit vocales, par la présence de Dieu, et tenez cette règle sans exception, et vous verrez dans peu de temps combien elle vous sera profitable. VI. Si vous me croyez, vous direz votre Pater, votre Ave Maria et le Credo en latin; mais vous apprendrez aussi à bien entendre les paroles qui y sont, en votre langage, afin que les disant au langage commun de l'Église, vous puissiez néanmoins savourer le sens admirable et délicieux de ces saintes oraisons, lesquelles il faut dire, fichant profondément votre pensée, et excitant vos affections sur le sens de celles-ci; et ne vous hâtant nullement pour en dire beaucoup, mais vous étudiant de dire ce que vous direz cordialement ; car un seul Pater dit avec sentiment, vaut mieux que plusieurs récités vitement et couramment. VII. Le chapelet est une très-utile manière de prier, pourvu que vous le sachiez dire comme il convient; et pour ce faire, ayez quelqu'un des petits livres qui enseignent la façon de le réciter. Il est bon aussi de dire les litanies de notre Seigneur et de notre Dame et des saints, et toutes les autres prières vocales qui sont dans les Manuels et Heures approuvés ; à la charge, néanmoins, que si vous avez le don de l'oraison mentale, vous lui gardiez toujours la principale place; en sorte que, si après celle-ci, ou par la multitude des affaires, ou pour quelque autre raison, vous ne pouviez point faire de prière vocale, vous ne vous en mettiez point en peine pour cela, vous contentant de dire simplement avant ou après la méditation, l'oraison dominicale, la salutation angélique et le symbole des apôtres. VIII. Si, faisant l'oraison vocale, vous sentez votre cœur tiré et convié à l'oraison intérieure ou mentale, ne refusez point d'y aller; mais laissez tout doucement couler votre esprit de ce côté-là, et ne vous souciez point de n'avoir pas achevé les oraisons vocales que vous vous étiez proposées; car la mentale que vous aurez faite en leur place est plus agréable à Dieu et plus utile à votre âme ; j'excepte l'office ecclésiastique, si vous êtes obligée de le dire; car, en ce caslà, il faut rendre le devoir. IX. S'il advenait que toute votre matinée se passât sans cet exercice sacré de l'oraison mentale, ou pour la multiplicité des affaires, ou pour quelque autre cause, ce que vous devez procurer n'advenir point, tant qu'il vous sera possible, tâchez de réparer ce défaut l'après-dînée, en quelque heure la plus éloignée du repas, parce que ce faisant sur celui-ci, et avant que la digestion soit fort acheminée, il vous arriverait beaucoup d'assoupissements, et votre santé en serait intéressée. Que si toute la journée vous ne pouvez la faire, il faut réparer cette perte, multipliant les oraisons jaculatoires, et par la lecture de quelque livre de dévotion, avec quelque pénitence qui empêche la suite de ce défaut; avec cela faites une forte résolution de vous remettre en train le jour suivant. CHAPITRE II. Brève méthode pour la méditation, et premièrement de la présence Mais vous ne savez peut-être pas, Philothée, comme il faut faire l'oraison mentale; car c'est une chose, laquelle, par malheur, peu de gens savent en notre âge; c'est pourquoije vous présente une simple et brève méthode pour cela, en attendant que, par la lecture de plusieurs beaux livres qui ont été composés sur ce sujet, et surtout par l'usage, vous en puissiez être plus amplement instruite. Je vous marque premièrement la préparation, laquelle consiste en deux points, dont le premier est de se mettre en la présence de Dieu, et le second d'invoquer son assistance. Or, pour vous mettre en la présence de Dieu, je vous propose quatre principaux moyens, desquels vous vous pourrez servir à ce Commencement. Le premier gît en une vive et attentive appréhension de la toute présence de Dieu, c'est-à-dire, que Dieu est en tout et partout, et qu'il n'y a lieu, ni chose en ce monde, où il ne soit d'une très-véritable présence, de sorte que, comme les oiseaux, où qu'ils volent, rencontrent toujours l'air ; ainsi, où que nous allions, où que nous soyons, nous trouvons Dieu présent, chacun sait cette vérité, mais chacun n'est pas attentif à l'appréhender. Les aveugles, ne voyant pas un prince qui leur est présent, ne laissent pas de se tenir en respect, s'ils sont avertis de sa présence; mais la vérité est, que parce qu'ils ne le voient pas, ils perdent encore plus aisément le respect et la révérence. Hélas! Philothée, nous ne voyons pas Dieu, qui nous est présent, et bien que la foi nous avertisse de sa présence, si est-ce que, ne le voyant pas de nos yeux, nous nous oublions bien souvent. Et lors nous nous comportons comme si Dieu était bien loin de nous; car, encore que nous sachions bien qu'il est présent à toutes choses, si est-ce que, n'y pensant point, c'est tout autant comme si nous ne le savions pas. C'est pourquoi 2 toujours avant l'oraison, il faut provoquer notre âme à une attentive pensée et considération de cette présence de Dieu. Ce fut l'appréhension de David, quand il s'écriait : « Si je » monte au ciel, ô mon Dieu, vous y êtes; si je descends » en enfer, vous y êtes; » et ainsi nous devons user des paroles de Jacob, lequel, ayant vu l'échelle sacrée : « O que » ce lieu, dit-il, est redoutable! vraiment Dieu est ici et je » n'en savais rien. » Il veut dire qu'il n'y pensait pas; car, au reste, il ne pouvait ignorer que Dieu ne fût en tout et partout. Venant donc à la prière, ô Philothée, il vous faut dire de tout votre cœur et à votre cœur: O mon cœur, mon cœur, Dieu est vraiment ici. Le second moyen de se mettre en cette sacrée présence, c'est de penser que non seulement Dieu est au lieu où vous êtes, mais qu'il est très-particulièrement en votre cœur et au fond de votre esprit, lequel il vivifie et anime de sa divine présence, étant là comme le cœur de votre cœur et l'esprit de votre esprit ; car, comme l'âme, étant répandue par tout le corps, se trouve présente en toutes les parties de celui-ci et réside néanmoins au cœur d'une spéciale résidence, de même Dieu, étant très-présent à toutes choses, assiste toutefois d'une spéciale façon à notre esprit. Et pour cela David appelait Dieu, Dieu de son cœur, et saint Paul disait que nous vivons, nous nous mouvons et sommes en Dieu. En la considération donc de cette vérité, vous exciterez une grande révérence en votre cœur à l'endroit de Dieu, qui lui est si intimement présent. Le troisième moyen, c'est de considérer notre Sauveur, lequel, en son humanité, regarde du Ciel toutes les personnes du monde, mais particulièrement les chrétiens, qui sont ses enfants, et plus spécialement ceux qui sont en prière, desquels il marque les actions et déportements. Or, ceci n'est pas une simple imagination, mais une vraie vérité; car, encore que nous ne le voyons pas, si est-ce que de là-haut il nous considère. Saint Etienne le vit ainsi au temps de son martyre; et nous pouvons bien dire avec l'épouse: — Le voilà derrière la paroi, voyant par les fenêtres, regardant par le s treillis. La quatrième façon consiste à se servir de la simple imagination, nous représentant le Sauveur en son humanité sacrée, comme si elle était auprès de nous, ainsi que nous avons accoutumé de nous représenter nos amis, et dire : Je m'imagine de voir, un tel qui fait ceci et cela; il me semble que je le vois; ou chose semblable. Mais si le très-saint sacrement de l'autel était présent, alors cette présence serait réelle et non purement imaginaire, car les espèces et apparences du pain seraient comme une tapisserie derrière laquelle notre Seigneur, étant réellement présent, nous voit et considère, quoique nous ne le voyons pas dans sa propre forme. Vous userez donc, Philothée, de l'un de ces quatre moyens, pour mettre votre âme en la présence de Dieu avant l'oraison; et ne faut pas les vouloir employer tous ensemblement, mais seulement un à la fois, et cela brièvement et simplement. |