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aurez prises, pour les pratiquer soigneusement ce jour-là. C'est le grand fruit de la méditation, sans lequel elle est bien souvent, non-seulement inutile, mais nuisible, parce que les vertus méditées et non pratiquées enflent quelquefois l'esprit et le courage, nous étant bien avis que nous sommes tels que nous avons résolu et délibéré d'être ; ce qui est sans doute véritable, si les résolutions sont vives et solides; mais elles ne sont pas telles, mais vaines et dangereuses, si elles ne sont pratiquées ; il faut donc, par tous moyens, s'essayer de les pratiquer et en chercher les occasions petites ou grandes. Par exemple, si j'ai résolu de gagner par douceur l'esprit de ceux qui m'offensent, je chercherai ce jour-là de les rencontrer pour les saluer amiablement, et si je ne les puis rencontrer, au moins de dire bien d'eux et prier Dieu en leur faveur.

Au sortir de cette oraison cordiale, il vous faut prendre garde de ne point donner de secousse à votre cœur, car vous épancheriez le baume que vous avez reçu par le moyen de l'oraison. Je veux dire qu'il faut garder, s'il est possible, un peu de silence, et remuer tout doucement votre cœur de l'oraison aux affaires, retenant, le plus longtemps qu'il vous sera possible, le sentiment et les affections que vous aurez conçues. Un homme qui aurait reçu dans un vaisseau de belle porcelaine, quelque liqueur de grand prix, pour l'apporter dans sa maison, irait doucement, ne regardant point à côté, mais tantôt devant soi, de peur de heurter à quelque pierre ou faire quelque mauvais pas, tantôt à son vase, pour voir s'il ne penche poin. Vous en devez faire de même au sortir de la méditation: ne vous distrayez pas tout-à-coup, mais regardez simplement devant vous; comme serait à dire, s'il vous faut rencontrer quelqu'un que vous soyez obligé d'entretenir ou ouïr, il n'y a remède, il faut s'accommoder à cela, mais en telle sorte que vous regardiez aussi à votre cœur, afin que la liqueur de la sainte oraison ne s'épanche que le moins qu'il sera possible.

Il faut même que vous vous accoutumicz à savoir passer de l'oraison à toutes sortes d'actions que votre vocation et profession requiert justement et légitimement de vous, quoiqu'elles semblent bien éloignées des affections que nous avons reçues en l'oraison. Je veux dire, un avocat doit savoir passer de l'oraison à la plaidoirie, le marchand au tra. fic, la femme mariée au devoir de son mariage et au tracas de son ménage, avec tant de douceur et de tranquillité, que pour cela son esprit n'en soit point troublé ; car, puisque l'un et l'autre sont selon la volonté de Dieu, il faut faire le passage de l'un à l'autre en esprit d'humilité et dévotion.

Sachez encore qu'il vous arrivera quelquefois, qu'incontinent après la préparation, votre affection se trouvera toute émue en Dieu; alors, Philothée, il lui faut lâcher la bride, sans vouloir suivre la méthode que je vous ai donnée; car, bien que pour l'ordinaire, la considération doit précéder des affections et résolutions, si est-ce que l'esprit vous donnant les affections avant la considération, vous ne devez pas rechercher la considération, puisqu'elle ne se fait que pour émouvoir l'affection. Bref, toujours quand les affections se présenteront à vous, il les faut recevoir et leur faire place, soit qu'elles arrivent avant ou après toutes les considérations. Et quoique j'aie mis les affections après toutes les considérations, je ne l'ai fait que pour mieux distinguer les parties de l'oraison; car, au demeurant, c'est une règle générale, qu'il ne faut jamais retenir les affections,. mais les laisser toujours sortir quand elles se présentent. Ce que je dis, non-seulement pour les autres affections, mais aussi pour l'action de grâces, l'offrande et la prière, qui se peuvent faire parmi les considérations, et ne les faut non plus retenir que les autres affections; bien que par après, pour la conclusion de la méditation, il faille les répéter et reprendre. Mais quant aux résolutions, il les faut faire après les affections, et sur la fin de toute la méditation, avant la conclusion, d'autant qu'ayant à nous représenter des objets

particuliers et familiers, elles nous mettraient en danger, si nous les faisions parmi les affections, d'entrer en des distractions.

Parmi les affections et résolutions, il est bon d'user de colloque, et parler tantôt à notre Seigneur, tantôt aux anges et aux personnes représentées aux mystères, aux saints et à soi-même, à son cœur, aux pécheurs, et même aux créatures insensibles, comme l'on voit que David fait en ses psauet les autres saints en leurs méditations et oraisons.

mes,

CHAPITRE IX.

Pour les sécheresses qui arrivent en la méditation.

S'il vous arrive, Philothée, de n'avoir point de goût ni de consolation en la méditation, je vous conjure de ne vous point troubler, mais quelquefois ouvrez la porte aux paroles vocales, lamentez-vous de vous-même à notre Seigneur, confessez votre indignité, priez-le qu'il vous soit en aide, baisez son image si vous l'avez, dites-lui ces paroles de Jacob: «Si ne vous laisserai-je point, Seigneur, que vous » ne m'ayez donné votre bénédiction », ou celles de la Cananéenne: « Oui, Seigneur, je suis une chienne, mais les chiens » mangent des miettes de la table de leur maître. »

Autres fois, prenez un livre en main et le lisez avec attention, jusqu'à ce que votre esprit soit réveillé et remis en vous; piquez quelquefois votre cœur par quelque contenance et mouvement de dévotion extérieure, vous prosternant en terre, croisant les mains sur l'estomac, embrassant un crucifix ; cela s'entend si vous êtes en quelque lieu retiré. Que si par après tout cela vous n'êtes point consolée, pour grande que soit votre sécheresse, ne vous troublez point, mais continuez à vous tenir en une contenance dévote devant votre Dieu. Combien de courtisans y a-t-il qui vont cent fois l'année en la chambre du prince, sans espérance de lui parler

mais seulement pour être vus de lui et rendre leur devoir? Ainsi devons-nous venir, ma chère Philothée, à la sainte oraison, purement et simplement pour rendre notre devoir et témoigner notre fidélité. Que s'il plaît à la divine Majesté de nous parler et s'entretenir avec nous par ses saintes inspirations et consolations intérieures, ce nous sera sans doute un grand honneur et un plaisir très-délicieux; mais s'il ne lui plaît pas de nous faire cette grâce, nous laissant là sans nous parler, non plus que s'il ne nous voyait pas et que nous ne fussions pas en sa présence, nous ne devons pourtant pas sortir, mais, au contraire, nous devons demeurer là devant cette souveraine bonté, avec un maintien dévotieux et paisible, et lors, infailliblement, il agréera notre patience et remarquera notre assiduité et persévérance; si bien qu'une autre fois, quand nous reviendrons devant lui, il nous favorisera et s'entretiendra avec nous par ses consolations, nous faisant voir l'aménité de la sainte oraison. Mais quand il ne le ferait pas, contentons-nous, Philothée, que ce nous est un honneur trop plus grand d'être auprès de lui et à sa vue.

CHAPITRE X.

Exercices pour le matin.

Outre cette oraison mentale entière et formée, et les autres oraisons vocales que vous devez faire une fois le jour, il y a cinq autres sortes d'oraisons plus courtes, et qui sont comme avancements et surgeons de l'autre grande oraison, entre lesquelles la première est celle qui se fait le matin, comme une préparation générale à toutes les œuvres de la journée; or, vous la ferez en cette sorte.

I. Remerciez et adorez Dieu profondément, pour la grâce qu'il vous a faite de vous avoir conservée la nuit précédente; et si vous aviez commis en celle-ci quelque péché, vous lui en demanderez pardon.

II. Voyez que le jour présent vous est donné, afin qu'en celui-ci vous puissiez gagner le jour à venir de l'éternité; et faites un ferme propos de bien employer la journée à cette intention.

III. Prévoyez quelles affaires, quels commerces et quelles occasions vous pouvez rencontrer cette journée-là pour servir Dieu, et quelles tentations vous pourront survenir de l'offenser, ou par colère, ou par vanité, ou par quelque autre déréglement; et par une sainte résolution, préparezvous à bien employer les moyens qui se doivent offrir à vous de servir Dieu et avancer votre dévotion. Comme au contraire, disposez-vous à bien éviter, combattre et vaincre ce qui peut se présenter contre votre salut et la gloire de Dieu. Et ne suffit pas de faire cette résolution, mais il faut préparer les moyens pour la bien exécuter. Par exemple, si je prévois devoir traiter de quelque affaire avec une personne passionnée et prompte à la colère, non-seulement je me résoudrai de ne point me relâcher à l'offenser, mais je préparerai des paroles de douceur pour la prévenir, ou l'assistance de quelque personne qui la puisse contenir. Si je prévois de pouvoir visiter un malade, je disposerai l'heure, les consolations et secours que j'ai à lui faire; et ainsi des autres.

IV. Cela fait, humiliez-vous devant Dieu, reconnaissant que de vous-même vous ne sauriez rien faire de ce que vous ávez délibéré, soit pour fuir le mal, soit pour exécuter le bien. Et comme si vous teniez votre cœur en vos mains, offrez-le avec tous vos bons desseins à la divine Majesté, la suppliant de le prendre en sa protection et le fortifier pour bien réussir en son service, et ce par telles ou semblables paroles intérieures: ô Seigneur, voilà ce pauvre et misérable cœur, qui, par votre bonté, a conçu plusieurs bonnes affections; mais hélas! il est trop faible et chétif pour effectuer le bien qu'il désire, si vous ne lui départez votre céleste bénédiction, laquelle, à cette intention, je vous requiers, ô Père

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