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condition que les indemnités, en cas de retard, soient fixées au tarif ou n'excèdent pas un maximum déterminé ».

La commission du Sénat n'a pas accepté les vues formulées par le comité consultatif des chemins de fer et, dans un rapport déposé le 6 décembre 1904, contenant le texte de l'avis du comité consultatif, elle a persisté à demander au Sénat, par l'organe de son rapporteur M. Tillaye, l'adoption pure et simple de la proposition de loi telle qu'elle avait été votée par la Chambre des députés. La commission a estimé que le texte du comité consultatif, s'il passait dans la loi, aurait l'inconvénient de placer les compagnies de chemins de fer dans une situation plus favorable que celle des autres transporteurs, au point de vue des responsabilités, et que l'adoption de ce texte constituerait plutôt un recul qu'un progrès dans la législation relative aux transports. Le rapport ajoutait que l'avenir de l'industrie de la batellerie, en faveur de laquelle des observations particulières avaient été présentées au cours de la première délibération, ne serait nullement compromis par l'application de la loi nouvelle, alors que la batellerie n'opère, en général, que sur des marchandises d'un fort tonnage et peu susceptibles d'être avariées, et qu'elle n'a pas, comme les compagnies de chemin de fer, l'habitude d'insérer, dans ses tarifs, la clause de non responsabilité dont celles-ci avaient fait un usage abusif.

En séance, la deuxième délibération a donné lieu à de longs et intéressants débats, au cours desquels divers amendements ont été présentés, notamment dans le sens de l'adoption de l'avis du comité consultatif des chemins de fer.

Finalement, tous les amendements, combattus par la commission, ont été rejetés et la proposition de loi a été adoptée par le Sénat, dans la séance du 14 mars 1905, par 201 voix contre 24.

Article unique.

L'article 103 du code de commerce est com

plété par un troisième paragraphe ainsi conçu :

«Toute clause contraire insérée dans toute lettre de voiture, tarif ou autre pièce quelconque est nulle ».

X.

LOI DU 21 MARS 1905, MODIFIANT LA LOI DU 15 JUILLET 1889 SUR LE RECRUTEMENT DE L'ARMÉE ET RÉDUISANT A DEUX ANS LA DURÉE DU SERVICE DANS L'ARMÉE ACTIVE (1).

Notice par M. Henri SERRE, docteur en droit, avocat à la cour d'appel de Paris.

La nouvelle loi de recrutement promulguée le 21 mars 1905 émane de l'initiative parlementaire.

Elle a fait, dans les deux Chambres, l'objet de brillants débats. C'est cependant au Sénat, devant lequel s'est ouverte la première discussion et dont le système a définitivement prévalu, qu'il convient d'attribuer une part prépondérante dans l'élaboration de cette importante réforme.

Le 22 novembre 1898, M. le sénateur Rolland et plusieurs de ses collègues déposaient sur le bureau de la haute assemblée une proposition de réduction à deux ans de la durée du service dans l'armée active. Cette proposition, qui n'était qu'une ébauche, résumait en trois articles les principes essentiels du nouveau régime préconisé.

Un projet de loi complet, signé du même auteur, fut substitué le 21 mai 1901 à la proposition primitive.

Adopté en principe, mais amendé par la commission de l'armée, ce projet fut voté au Sénat, après deux délibérations, le 12 juin 1903.

La Chambre des députés accepta dans ses traits essentiels le projet qui lui était transmis, mais y apporta de nombreuses rectifications de détail : 58 articles du dispositif, qui en comptait au total 102, subirent des modifications de fond ou de forme d'importance inégale.

Le texte adopté le 5 juillet 1904 par la Chambre des députés fut remanié par le Sénat.

(1) J. Off. du 23 mars 1905. TRAVAUX PRÉPARATOIRES. Sénat propositions Rolland, 22 novembre 1898, doc. 1898, p. 360; 21 mai 1901, doc. 1901, p. 404; proposition de Tréveneuc, doc. 1902, p. 107; proposition de Montfort, doc. 1902, p. 149; rapport sur proposition Rolland, doc. 1901, p. 510; avis de la commission des finances, doc. 1902, p. 143; 1re délibération, 19, 20, 24, 26, 27 juin, 1er, 3, 4 juillet 1902; rapports supplémentaires, doc. 1902, p. 427, et doc 1903, p. 359: suite de la fre délibération, 20, 22, 29, 30 janvier, 3, 5, 6, 10, 12, 13, 17, 19, 20, 26, 27 février 1903; 2o délibération, 26, 28, 29 mai, 3, 4, 5, 9, 11, 12 juin 1903. Chambre texte transmis, doc. 1903, p. 663; proposition Maujan, doc. 1903, p. 914; proposition Cunéo d'Ornano, doc. 1904, p. 92; rapport Berteaux, doc.· 1904, p. 141; annexes au rapport, p. 643 et 788; discussion, 24, 26, 30, 31 mai, 6, 9, 13, 14, 16, 20, 21, 23, 27, 28, 30 juin, 4 et 5 juillet 1904. Séna!: rapport. doc. 1904 (session extraord.), p. 85; discussion, 28, 30, 31 janvier. 2, 3, 6, 7, 9, 10, 13, 14, 16 février 1905. Chambre rapport Gouzy, doc. 1905, p. 412; discussion et adoption, 16, 17 mars 1905.

Finalement, les avis du Sénat prévalurent et ses décisions dernières furent ratifiées par la Chambre sans aucune altération.

Notons que l'ensemble de la loi a été voté au Sénat, le 16 février 1905, par 239 voix contre 37, et à la Chambre, le 17 mars 1905, par 519 voix contre 32.

L'idée dominante et l'innovation caractéristique de la loi de 1905 consistent dans la proclamation et la mise en œuvre du principe de l'obligation de tous les citoyens au service militaire, non seulement personnel, mais encore rigoureusement égal pour tous, ne comportant aucune dispense, sauf le cas d'incapacité physique mettant obstacle à l'utilisation du conserit, soit dans le service armé, soit dans les services auxiliaires.

La réduction de la durée du service en temps de paix n'est qu'une conséquence nécessaire du principe précédent.

Ce nouveau régime nous apparaît comme le dernier terme d'une longue évolution, concordant avec le mouvement des idées politiques, qui nous a progressivement ramenés du système de l'armée de métier pratiqué par les gouvernements monarchiques à l'application intégrale du système de la nation armée, inauguré pendant la période révolutionnaire.

Comme l'a très justement fait ressortir M. Maurice Berteaux, dans le remarquable rapport qu'il a présenté à la Chambre au nom de la commission de l'armée, l'idée du soldat-citoyen est née avec la Révolution. Le service militaire fut déclaré devoir civique par l'Assemblée nationale en 1790, et les bataillons de volontaires offrirent la première image de la nation armée.

Ce fut, au contraire, le système de l'armée de métier qui prévalut de l'an VIII à 1870.

La loi du 19 fructidor an VI (5 septembre 1798) avait substitué la conscription au régime des réquisitions. Tous les Français devaient le service de vingt à vingt-cinq ans et étaient inscrits nominativement dans les divers corps de l'armée, mais ils ne devaient être appelés à l'activité qu'en vertu d'une loi fixant le nombre des appelés par classe. En temps de guerre, la durée du service était illimitée.

Voulant, pour seconder ses desseins politiques, créer une armée de métier, animée de l'esprit guerrier et dévouée à sa personne, Napoléon fit instituer, par la loi de l'an VIII, le remplacement interdit par la loi de l'an VI. Il abusa du texte qui laissait, en temps de guerre, à la disposition et à la merci du général en chef, la libération des conscrits. La conscription devint ainsi odieuse au pays; la charte de 1814 dut promettre son abolition et, jusqu'en 1818, le recrutement fut assuré par des engagements volontaires.

De 1815 à 1870, le service militaire fut toujours inégal entre les citoyens sans être personnellement obligatoire. Les cinq lois de recrute

ment successivement votées en 1818, 1824, 1832, 1855, 1868, ont toutes, avec quelques variantes, la même économie générale effectifs restreints; incorporation d'une partie seulement du contingent annuel; exonération complète en temps de paix de la partie non appelée; faculté de remplacement; service de longue durée fixé successivement à six ans, huit ans, puis sept ans, mais atténué en pratique par des congés illimités.

Lorsqu'éclata la guerre de 1870, l'armée de métier issue des lois de l'Empire fut rapidement submergée par l'invasion, et il fallut revenir à la conception de 1792. Une armée de 600.000 hommes fut rapidement formée. La loi du 10 août 1870 appela sous les drapeaux, pour la durée de la guerre, tous les citoyens non mariés ou veufs sans enfants, àgés de vingt-cinq à trente-cinq ans.

L'insuccès de nos armes devait nécessairement poser devant l'Assemblée nationale la question de la refonte de nos institutions militaires.

Bien que les événements aient paru démontrer la nécessité du système de la nation armée, M. Thiers et le général Ducrot s'y montrèrent hostiles et réclamèrent le service à long terme. Le général Trochu soutenait au contraire que « l'unique instrument de guerre consistait dans une armée qui était une nation tout entière » préparée à la lutte par un service de trois ans. Le lieutenant de vaisseau Farcy préconisa même, dès cette époque, le service de deux ans, mais il ne trouva personne pour signer avec lui sa proposition.

De cette opposition des deux principes contraires naquit un système transactionnel s'efforçant de les concilier.

La loi du 27 juillet 1872 édicta expressément, dans son article fer, le principe de l'obligation de tout Français au service militaire personnel, mais elle admit d'assez nombreuses dispenses du service d'activité en temps de paix. Elle fixa à cinq ans la durée du service actif, mais laissa au ministre de la guerre le droit d'envoyer en disponibilité dans leurs foyers, après un an de service, un certain nombre de soldats pris par ordre de numéros sur la liste de recrutement cantonal.

La loi du 15 juillet 1889 fit un nouveau pas dans la voie de l'égalité et de la réduction de la durée du service. Elle supprima la division du contingent en deux portions appelées à un service inégal, restreignit le nombre des dispenses, assujettit à un an de présence sous les drapeaux les dispensés qui bénéficiaient jadis d'une exemption totale, et limita à trois ans le temps du service dans l'armée active.

Nous arrivons enfin, avec la loi du 21 mars 1905, au régime de l'égalité absolue des charges militaires pour tous les citoyens et au service de deux ans qui n'avait trouvé, en 1872, qu'un seul défenseur! Toutes les dispenses admises jusqu'alors sont supprimées. Tous les Français valides sont rigoureusement astreints, soit dans le service armé, soit dans les services auxiliaires, suivant leurs aptitudes, à un séjour effectif de deux années dans l'armée active.

Une loi de recrutement porte fatalement l'empreinte des idées politiques de son époque.

Il importe cependant de signaler que, en l'espèce, les promoteurs de la réforme ont déclaré avoir pour unique objectif la constitution d'une armée plus forte, se sont défendus d'obéir à des préoccupations politiques et se sont efforcés de justifier leur système par des arguments d'ordre purement militaire.

Voici, du reste, quels étaient, en substance, les motifs invoqués par M. Rolland à l'appui de son projet : L'inégalité du service et la situation meilleure faite aux hommes embusqués dans les besognes accessoires produisent un mauvais effet moral sur les moins favorisés. Elles nuisent à la bonne utilisation de tous les éléments de l'armée en détruisant l'homogénéité nécessaire aux corps de troupe. Sous l'empire de la loi de 1889, c'est en fait le service d'un an qui régit notre armée au point de vue de la préparation à la guerre. L'infanterie reçoit 58 o, d'hommes du service d'un an et 42 % d'hommes du service de trois ans sur lesquels on prélève, dans la proportion de 32 o, les embusqués.

A l'exception des régiments de la frontiere, l'infanterie est donc composée, dans la proportion de 90 %, d'hommes exercés à leur métier pendant dix mois seulement.

Les cavaliers eux-mêmes sont dressés en moins de deux ans et, de l'aveu du ministre de la guerre, on ne trouve dans un escadron de cavalerie, sur le terrain de manoeuvre, qu'une moyenne de trois hommes appartenant à la 3o classe.

La suppression des dispenses, l'incorporation de 70 à 80.000 hommes des services auxiliaires, qui jusqu'ici n'ont pas été utilisés en temps de paix bien que légalement rien ne s'y oppose, permettront l'abréviation de la durée du service sans réduire l'effectif actuel de 575.000 hommes et sans affaiblir l'armée. On devra même effectuer sous le régime nouveau une somme de travail plus considérable que sous l'ancien. Les embusqués rentreront dans le rang et la valeur de l'ensemble sera incontestablement supérieure lorsque tous les soldats auront servi le même temps.

En ce qui concerne le recrutement des cadres, on suppléera à la perte des 8.700 sous-officiers pris actuellement dans la 3o classe, en augmentant la proportion des rengagés et en utilisant les éléments meilleurs qui seront fournis par la suppression des dispenses.

Si nous cherchons à résumer maintenant l'argumentation des adversaires de la réforme, nous trouvons en premier plan cette objection de principe qui, sans être l'expression directe de l'ancienne conception de l'armée de métier, en dérive néanmoins:

« L'armée est faite pour donner aux soldats non seulement l'instruction militaire proprement dite, mais encore l'éducation et l'esprit militaire. Or, l'esprit militaire qui consiste dans la soumission absolue, irraisonnée aux ordres, la discipline morale, l'abdication de la volonté

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