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A l'unanimité, cette commission s'est prononcée contre le maintien de la législation en vigueur; elle a émis l'avis qu'il convenait de rechercher la solution de la question, soit dans l'allocation de pensions. temporaires, soit dans le rachat. C'est ce dernier moyen qui a été admis par le gouvernement et qui sert de point de départ au projet de loi déposé le 21 octobre 1904.

On sait que les majorats ont été créés en exécution des décrets des 14 août 1806 et 1er mars 1808 et qu'ils se divisent en deux catégories : les majorats sur demande, c'est-à-dire ceux constitués, avec l'autorisation du chef de l'État, par des particuliers à l'aide de biens détachés de leur patrimoine, et les majorats de propre mouvement, émanant de l'initiative du souverain et se composant de biens empruntés au domaine extraordinaire.

Ce sont les majorats de la première catégorie dont se sont occupés les législateurs de 1835 et de 1849.

L'application successive des lois des 12 mai 1835 et 7 mai 1819 a limité la durée des majorats sur demande. La première de ces lois avait décidé qu'ils ne pouvaient s'étendre au delà de deux degrés, l'institution non comprise. D'après la seconde, la transmission limitée à deux degrés à partir du premier titulaire ne pouvait avoir lieu qu'en faveur des appelés déjà nés ou conçus lors de sa promulgation. Les majorats dont la transmission s'est opérée dans ces conditions se trouvent abolis et les biens qui les composaient demeurent libres entre les mains du dernier titulaire. Par l'effet de ces dispositions, presque tous les majorats sur demande ont aujourd'hui disparu (1).

Les majorats de propre mouvement se sont, au contraire, perpétués jusqu'à ce jour dans leur forme primitive, parce qu'on n'avait pas trouvé le moyen pratique de résoudre l'alternative dans laquelle on se trouvait placé déclarer libres et disponibles, dans les mains des possesseurs, les biens composant ces majorats, ce qui eût été léser l'État puisque ces biens doivent lui faire retour; ou dépouiller les bénéficiaires de la jouissance qui leur en a été donnée, ce qui eût constitué une incontestable injustice. On avait cru, par suite, devoir attendre, purement et simplement, l'accomplissement de la condition qui ferait rentrer au domaine les biens des majorats, c'est-à-dire l'extinction de la ligne mâle des ayants droit.

Les majorats de propre mouvement sont, à la date de la promulgation de la loi de finances, au nombre de 39 (2); ils sont formés par des rentes 3%, des immeubles, des actions de la Banque de France. Dans la composition de certains d'entre eux entrent également des dotations du

(1) On n'en compte plus que trois pour une somme de 10.376 francs de rente 30%.

(2 Voir, en annexe, le tableau des majorataires et la consistance des biens de chaque majorat.

Mont de Milan, ainsi que des biens non reversibles au domaine de l'État (actions des canaux d'Orléans et du Loing et du canal du Midi). Un majorat comprend une créance hypothécaire de 100.000 francs.

Les rentes sur l'État s'élevaient au 8 octobre 1904 (1) à 721.768 fr. (2); elles sont soumises à une retenue destinée à en accroître progressivement le montant. A l'origine, les majorataires n'ont touché que les neuf dixièmes de leurs rentes; le dixième supplémentaire, distrait de l'inscription primitive, fut porté à un compte particulier appelé compte d'accroissement et géré par la Caisse des dépôts et consignatians qui en emploie les arrérages à l'acquisition de nouvelles rentes, ultérieurement réparties périodiquement entre les intéressés.

Deux majorats seulement comprennent des actions de la Banque de France; ces actions, au nombre de 108, sont, comme les rentes, soumises à l'exercice d'une retenue.

Les immeubles sont répartis entre cinq majorats; leur valeur a été approximativement fixée à 4.150.000 francs.

Nous avons vu qu'un majorat comprenait une créance hypothécaire de 100.000 francs.

Enfin, sur 199 dotations du Mont de Milan (3) existant actuellement et représentant une somme totale de 189.250 francs, il en existe encore sept des trois premières classes, auxquelles étaient attachés des titres. de noblesse, et qui figurent, dans ce total, pour 147.500 francs. Quatre

(1) Date de la rédaction du projet de loi déposé par le gouvernement. (2) Non compris une rente de 16.493 francs, non réversible au domaine. (3) L'origine des dotations du Mont de Milan est la suivante :

Le Mont de Milan a été créé par décret du 18 juillet 1805, en vue de liquider et de consolider la dette italienne. En representation des avances faites à cet établissement, le gouvernement français reçut des rentes dont une partie, cédée au domaine extraordinaire, fut affectée à des dotations. Le traité de Fontainebleau avait officiellement réservé les obligations du Mont de Milan envers tous ses créanciers français et étrangers; mais par un article secret du traité de Paris (30 mai 1814), le gouvernement français renonça à toutes réclamations au sujet de ces dotations et pensions.

Elles se trouvaient donc en fait supprimées et il en fut ainsi jusqu'au traité de Zurich (10 novembre 1859). A cette époque intervint une transaction entre la France, la Sardaigne et l'Autriche. La France reçut 12.500.000 francs et la moitié de cette somme fut attribuée aux anciens dotataires du Mont de Milan.

Le décret du 18 décembre 1861 disposa qu'un crédit annuel de 312.500 fr. représentant les intérêts de ce capital, serait porté au budget du ministère des finances pour être réparti entre les anciens dotataires proportionnellement à leurs droits. Cette répartition fut faite par deux décrets des 14 août et 17 décembre 1862; chaque dotation recevait le quart de la dotation primitive, sans que le montant de la première inscription pût être inférieur à 200 francs. Les dotations du Mont de Milan accordées par l'empereur Napoléon Ier à des généraux, officiers ou soldats, se divisaient, d'après leur importance, en six classes. Leur transmission avait lieu suivant les règles établies pour les majorats, mais elles n'étaient pas soumises à la retenue du dixième.

Exceptionnellement, les dotations de la sixième classe étaient réversibles sur la tête des filles, sous certaines conditions prévues au décret du 3 janvier 1812.

de ces dotations sont entrées dans la composition des majorats reversibles au domaine.

Dans quelles conditions les majorats ont-ils été constitués? Quelles sont la nature et l'étendue des droits dont les possesseurs se trouvent investis?

Les majorats ont été formés de biens dépendant du domaine extraordinaire et provenant des conquêtes, biens dont l'empereur pouvait disposer pour subvenir aux dépenses de ses armées et récompenser les services civils ou militaires rendus à l'Etat; ils comprenaient principalement des immeubles situés pour la plus grande partie hors de l'ancienne France (1). Quant aux rentes, en petit nombre à l'origine, elles n'ont pas été créées d'office et sans versement de deniers; elles ont été prélevées sur les titres déjà existants qui étaient la propriété du domaine extraordinaire. Des sommes d'argent ont été également attribuées aux majorataires, souvent à charge d'acquisitions d'hôtels.

Tous ces biens dont les bénéficiaires successifs n'avaient que la jouissance devaient, à l'extinction de la descendance masculine du premier titulaire, faire retour au domaine extraordinaire en exécution de l'article 76 du sénatus-consulte du 1er mars 1808.

Après la chute de l'Empire, le domaine extraordinaire fut incorporé au domaine de l'Etat; l'article 95 de la loi du 15 mai 1818 disposa qu'il serait pris possession, au nom de l'Etat, de l'actif du domaine extraordinaire et que les dotations et majorats qui, en vertu de leur concession, sont reversibles au domaine extraordinaire, feront, dans les cas prévus, retour au domaine de l'Etat.

Telle est l'origine du droit éventuel de l'État sur les biens qui composent les majorats.

Ces indications font clairement apparaître le caractère véritable des majorats et la différence essentielle qu'ils présentent avec les pensions. Sans doute, ils dérivent également d'une libéralité du pouvoir souverain; mais, tandis que la concession d'une pension implique l'engagement de servir les années suivantes et pendant un temps plus ou moins long une allocation sur les fonds du budget, la libéralité s'est exercée, une fois pour toutes, par l'attribution de biens déjà existants (immeubles, titres de rente, somme d'argent) qui sont entrés dans le patrimoine des bénéficiaires et se sont incorporés, sous certaines conditions, à leur fortune. Sans doute, les statuts ont déclaré ces biens inalienables entre les mains des possesseurs successifs, les ont soumis à un mode particulier de dévolution et les ont grevés, à l'extinction de la descendance masculine, d'un droit de retour au profit du domaine; mais ces charges ne sont pas de nature à altérer le caractère essentiel et les effets de la

(1) Les dotations reposant sur des biens situés à l'étranger ont péri à la suite des événements de 1814. Mais un certain nombre de majorataires avaient eu la précaution d'aliéner ces immeubles et d'acheter en remploi, soit des biens en France, soit des rentes sur l'État.

libéralité. Aussi est-il reconnu que, à l'inverse de la pension qui confère un droit exclusivement personnel, les majorats constituent un droit réel, c'est-à-dire un droit de propriété.

Aujourd'hui, par suite des transformations qu'ont subies les biens affectés aux majorats, ce droit de propriété se trouve, dans la plupart des cas, représenté par des inscriptions de rentes sur l'État. Les majorataires ont en effet usé de la faculté que leur laissait le sénatus-consulte de 1808, d'aliéner les immeubles qui leur avaient été attribués et d'acquérir en échange des rentes sur l'État; d'autre part, les sommes d'argent qui étaient entrées dans la composition des majorats et n'avaient pas servi à l'achat d'hôtels, ont été également remployées en rentes (1).

Bien qu'inscrites pour ordre sur un livre particulier, ces rentes qui ont été prélevées à l'origine sur des titres déjà existants, ou qui ont été achetées sur le marché, ne se distinguent pas des autres rentes; elles jouissent des mêmes immunités et privilèges; elles ont subi, au même titre que les autres, les conversions; elles ont droit aux mêmes garanties. Aussi les majorats doivent-ils être considérés comme faisant partie de la dette publique et la solution de la question intéresse-t-elle directement le crédit de l'État.

Ces considérations ont déterminé le gouvernement à écarter toute combinaison qui aurait pour effet, soit de supprimer autrement que par voie de remboursement, soit de réduire des rentes qui ont été régulièrement inscrites au grand livre; elles l'ont conduit à se rallier à l'une des solutions qu'avait envisagées la commission extraparlementaire, celle du rachat, et à la proposer au Parlement.

Sur quelles bases et dans quelles conditions s'effectue le rachat? II n'est pas sans intérêt de faire ressortir le mécanisme de l'opération.

Sur les biens composant les majorats, les bénéficiaires et l'État ont des droits respectifs parfaitement définis : les premiers, un droit de propriété intermédiaire entre l'usufruit et la pleine propriété, transmissible suivant des règles particulières de dévolution; l'État, un droit éventuel de retour.

Le rachat consiste à évaluer et à liquider ces droits; l'État entre immédiatement en possession desdits biens et alloue aux titulaires une indemnité représentative de la valeur de leurs droits et de ceux de leur descendance; c'est une opération analogue à celle qui peut intervenir entre un usufruitier et un nu propriétaire. En ce qui concerne spécialement les rentes, l'Etat ne fait en somme qu'user de son droit incontestable de remboursement; mais, comme les titulaires n'en ont pas la pleine propriété et sont coïntéressés avec le domaine, il ne verse entre

(1) Sur un total de 28 millions auquel on peut estimer la valeur en capital des biens composant les majorats, plus de 23 millions, soit 83 %, sont actuellement représentés par des inscriptions de rentes sur l'Etat.

leurs mains qu'une fraction du capital total, égale à la valeur de leurs droits. Cette opération est parfaitement légitime à condition que l'évaluation des droits des majorataires soit faite équitablement.

Or, comment procéder à cette estimation? C'était une des difficultés les plus sérieuses du problème. Le droit des majorataires, moindre que la pleine propriété, plus étendu que l'usufruit, échappe en effet à toute évaluation précise, car on ne peut faire que des conjectures sur la durée probable des majorats. D'un autre côté, il faut bien reconnaître que dans l'origine même de cette institution qui dérive de libéralités consenties par un régime déchu, il y a un élément de nature, sinon à altérer le caractère des droits des majorataires, du moins à en amoindrir la valeur réelle sur laquelle il convient d'effectuer le rachat: ce facteur ne se prête pas davantage à une estimation exacte.

A défaut de bases rationnelles de rachat, l'État pouvait-il fixer d'office le taux de conversion? Devait-il s'en rapporter aux décisions d'une commission arbitrale dans laquelle les intéressés eussent été représentés? La première solution était arbitraire, car il n'est pas admissible que l'acquéreur fixe lui-même le prix de l'acquisition; la seconde pouvait être dangereuse et ménager au Trésor de sérieux mécomptes.

Dans ces conditions, le gouvernement a pensé que le seul moyen d'arriver à une estimation équitable de la valeur des majorats consistait à en déterminer le chiffre contradictoirement avec les intéressés eux-mêmes. Des pourparlers ont été poursuivis à cet effet entre l'administration des finances et les représentants des majorataires; ils ont abouti à la convention que vient d'approuver la loi de finances.

Cette convention règle de la manière suivante les conditions du rachat.

Le montant de l'indemnité pour chacun des titulaires sera fixé par une commission arbitrale. Mais, afin d'éviter tout aléa et de limiter les sacrifices du Trésor, le montant global des indemnités à la charge de l'État ne pourra excéder quinze fois le revenu net annuel des majorats et dotations (1).

(1) On peut aisément se rendre compte que ce taux, accepté par les intéressés, est très avantageux pour le Trésor.

Lorsqu'en Angleterre, les pouvoirs publics se préoccupaient, il y a quelques années, de mettre un terme aux pensions héréditaires dont ils condamnaient à juste titre le principe, ils en ont effectué le rachat à des taux qui ont atteint jusqu'à vingt-sept fois le montant de la pension.

D'autre part, pour constituer une rente viagère à une personne âgée de cinquante ans, les compagnies d'assurances sur la vie exigent le versement d'un capital représentant environ quinze fois le montant de la rente. L'indemnité due par l'État est donc estimée sur la base de la valeur d'un usufruit reposant sur une tête de cinquante ans et comme, d'après les tables de mortalité, la survie moyenne à l'âge de cinquante ans est comprise entre vingt et vingt et un ans, on voit que l'Etat rachète, en somme, les majorats au mème taux que si ceux-ci devaient, par l'effet de la clause de retour, s'éteindre dans

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