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secours pour les assistés, et de l'autre, obligation pour les pouvoirs publics de le leur fournir. Sur ces deux points le siège de la Chambre était fait d'avance; ce fut donc en vain que M. le député Arnal vint avec une grande élévation de langage défendre la cause de la liberté et démontrer que le principe que l'on voulait faire accepter constituait une première introduction dans notre système législatif du socialisme d'État; qu'après avoir reconnu à une certaine catégorie d'individus le droit au secours, on serait forcément amené à l'étendre à d'autres sans qu'on puisse prévoir la limite à laquelle on s'arrêterait.

Ce fut sans plus de succès également, que MM. Sibille, de GailhardBancel et Castelnau vinrent plaider la cause de la bienfaisance privée et de la mutualité, demandant que l'obligation du secours ne fût imposée qu'en cas d'insuffisance de la bienfaisance privée, que tout au moins les subventions prévues pussent être accordées aux institutions mutualistes qui organiseraient l'assistance des vieillards. Les amendements présentés par eux sur ces divers points furent rejetés et le principe posé par l'article 1er fut voté dans toute sa rigueur à une forte majorité. De même furent repoussées les tentatives faites par l'abbé Lemire et M. Aynard pour obtenir la représentation des syndicats et des caisses d'épargne dans les commissions chargées de statuer sur la répartition des secours. Les défenseurs de la mutualité furent cependant plus heureux sur un autre point et obtinrent (art. 11 et 17) que deux représentants des sociétés de secours mutuels entreraient dans les commissions chargées de statuer sur les recours formés en vertu des articles 11, 14, 15 et 16. Leurs efforts furent également couronnés de succès sur la question plus importante du décompte des pensions que l'assisté aurait pu acquérir par l'épargne. Le projet les défalquait intégralement du chiffre de l'allocation à verser par la commune. Après une discussion assez vive, un accord transactionnel interviut qui est devenu le paragraphe dernier de l'art. 18 d'après lequel les ressources provenant de l'épargne ne seront décomptées qu'au-dessus de 60 francs et pour la moitié seulement; quant à celles provenant de la bienfaisance privée, elles le seront toujours dans la même proportion, quelle que soit leur quotité. Enfin, sur l'initiative de M. Cruppi, une disposition nouvelle fut adoptée (art. 36) permettant aux tribunaux de renvoyer des fins de la poursuite les prévenus de mendicité ou de vagabondage lorsque, remplissant les conditions requises par la loi, ils invoqueraient leur droit à l'assistance. Le projet présentait en effet à cet égard une lacune regrettable et il était de toute justice, après avoir réglé le droit à l'assistance des vieux et des infirmes, de les exonérer dans une certaine mesure des responsabilités pénales. La discussion terminée, l'ensemble de la loi fut définitivement adopté par 537 voix contre 3, sous le titre un peu pompeux de : « Loi créant un service de solidarité sociale sous forme d'assistance obligatoire aux vieillards, aux infirmes et aux incurables. »>

La commission sénatoriale à laquelle fut soumis le texte voté par la Chambre, tout en respectant son principe et ses dispositions générales,

lui fit cependant subir un certain nombre de modifications de détail; elle en simplifia également le titre en faisant disparaître la qualification. de service de solidarité sociale qui lui avait été primitivement donnée.

Saisie par un rapport très étudié et très documenté de M. Strauss, déposé le 23 février 1904, la Chambre haute voulut cependant, avant d'aborder la discussion, être exactement renseignée sur les conséquences budgétaires de la loi dont on lui proposait l'adoption et sollicita sur ce point l'avis de la commission des finances. Celle-ci, à la suite d'une étude très détaillée, consignée dans un rapport de M. Milliès-Lacroix déposé le 16 décembre 1904, répondait alors « que tout en reconnaissant l'intérêt qui s'attachait à l'organisation d'un service obligatoire pour les vieillards et les infirmes, la charge annuelle de 17 millions qui en résulterait pour l'État, sans préjudice de celles plus considérables qui incomberaient aux communes et aux départements, ne saurait trouver place dans le budget que si elle était compensée par des ressources correspondantes ». C'est dans ces conditions que la discussion s'ouvrit le 8 juin 1905, après rejet, sur la proposition même du président de la commission, de la déclaration d'urgence. Le rapporteur, tout d'abord, après un magistral exposé des origines, de l'objet et de la portée de la loi nouvelle, s'efforça de démontrer que le principe de l'obligation sur lequel elle reposait n'était pas en réalité une innovation, qu'on le retrouvait déjà dans la loi de 1831 sur les enfants trouvés ainsi que dans celles de 1889 (loi Roussel) et 1904 sur les enfants moralement abandonnés et assistés; que de plus, le législateur avait, en 1893, à propos de l'assistance médicale gratuite, pris l'engagement de compléter son ouvre en organisant sur les mêmes principes celle des vieillards et des incurables. Il terminait enfin en insistant sur les effets bienfaisants de cette législation nouvelle qui permettrait de débarrasser les hôpitaux des incurables qui les encombrent au détriment des véritables malades et de réduire en même temps le nombre des mendiants et vagabonds occasionnels pour lesquels jusqu'à présent une condamnation correctionnelle était une véritable aubaine.

Avec non moins d'éloquence et non moins de vigueur, M. Guyot, sénateur du Rhône, de même qu'à la Chambre, M. le député Arnal, vint à son tour combattre cette loi à laquelle il adressait une double critique. Il lui reprochait tout d'abord de compromettre les intérêts financiers des communes, des départements et de l'Etat, en outre de créer une hygiène sociale détestable en détournant les travailleurs de l'épargne et en détendant les liens de la famille, celle-ci n'ayant plus à l'avenir à s'occuper de ceux des siens tombés dans la misère. Développant ensuite le contreprojet qu'il avait déposé le 23 novembre 1903, il faisait un saisissant tableau des belles œuvres qu'avaient réalisées dans son département la bienfaisance privée ainsi que l'initiative communale et départementale, et demandait qu'au lieu de créer une organisation nouvelle on se bornât à compléter la loi de 1897 en donnant à l'administration le pouvoir d'imposer d'office aux communes qui s'y refuseraient les dépenses qu'elle

prévoit. Malgré tout le talent déployé par son auteur, cette proposition ne put cependant recueillir que 79 voix. Ce fut également sans plus de succès que M. de Pontbriand, reprenant les amendements qui avaient été présentés à la Chambre, demanda pour les sociétés de secours mutuels et les syndicats professionnels le droit de se substituer aux communes pour l'assistance des vieillards.

Enfin, après avoir, dans sa séance du 16 juin, décidé qu'il passerait à une seconde lecture, le Sénat votait, à une forte majorité, dans celle du 7 juillet suivant, le texte définitif qui lui était proposé par sa commission.

Ce dernier diffère assez sensiblement de celui qui avait été voté par la Chambre, et si les modifications ne portent en somme que sur des points de détail, certaines d'entre elles présentent cependant une importance qui mérite d'être signalée. C'est ainsi que les deux derniers paragraphes de l'article 1er, relatifs aux étrangers et à une réduction d'âge pour les mères de famille justifiant qu'elles ont supporté les charges de l'entretien de leurs enfants jusqu'au moment où ils ont pu subvenir à leurs besoins, ont été supprimés; que de plus, à la condition d'âge (70 ans) exigée pour avoir droit à l'assistance a été ajoutée celle de l'invalidité.

Le taux minimum de l'allocation mensuelle aux assistés a été abaissé de 8 à 5 francs; enfin au barême kilométrique de la loi de 1893 sur lequel devait être calculée la subvention de l'Etat on a substitué celui plus rationnel du centime démographique.

Par contre, la part accordée aux sociétés de secours mutuels dans les commissions cantonales (art. 11) a été réduite, elles n'y seront plus représentées que par un délégué au lieu de deux.

Renvoyé devant la Chambre, le projet du Sénat fut adopté sans modification le 13 juillet.

Coût de la loi. La loi nouvelle ne devant recevoir son application qu'en 1907, et d'autre part, les conseils généraux ne pouvant être saisis des questions relatives à la création des nouveaux services qu'elle nécessitera que dans leur session du mois d'août prochain, il est impossible d'apprécier dès à présent les conséquences financières de cette réforme. Il est même difficile, en présence des écarts considérables que présentent les évaluations formulées au cours des débats, de faire à cet égard une approximation quelconque. La commission avait à la Chambre fixé la dépense totale à 12 millions tandis que l'office du travail l'évaluait à 165 millions. Le Sénat a adopté le chiffre de 56 millions, non compris, bien entendu, les frais d'aménagement ou de construction des hospices. Mais ces évaluations ont été fortement contestées, notamment par M. le sénateur Guyot qui n'a pas hésité à soutenir que les prévisions de la commission devraient être au moins quadruplées. Quoiqu'il en soit, ce qui domine le débat, ce sont les déclarations mêmes de M. Monod, directeur de l'hygiène publique; « il est très diffi

cile, dit-il en effet, il parait même quasi impossible d'apprécier combien il existe en France de vieillards et d'incurables sans ressources. Le devoir social est de les secourir; la difficulté de chiffrer avec certitude la dépense qu'entraînera ce devoir ne doit pas en empêcher l'accomplissement »> (1).

En présence de cet aléa, on ne peut s'empêcher de regretter qu'emporté par un esprit de logique un peu absolue, le Parlement n'ait pas cru devoir faire appel au concours de la charité privée; le domaine de celle-ci restera cependant assez considérable : outre en effet qu'elle pourra toujours compléter les secours parfois insuffisants de l'assistance obligatoire, les aspects de la pauvreté sont assez variables pour qu'elle trouve encore utilement à s'exercer. On peut espérer encore que la sélection étant ainsi faite entre les clients de l'assistance obligatoire et ceux de l'assistance facultative, cette dernière pourra consacrer la totalité de ses ressources au relèvement et au soulagement des nécessiteux temporaires.

Législation étrangère.

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On ne trouve à l'étranger aucun élément de comparaison avec notre loi nouvelle.

Le Danemark a bien par ses lois des 27 juin 1891, 7 avril 1899 et 22 mai 1902 (2) institué l'assistance obligatoire aux vieillards, mais il exclut de son bénéfice tous ceux qui ont été condamnés pour faits déshonorants, ont dissipé leur patrimoine par inconduite ou ont été depuis moins de dix ans à la charge de l'assistance publique; il élimine ainsi dans sa majeure partie la clientèle des imprévoyants et des nécessiteux. Les pensions de vieillesse ainsi constituées sont supportées moitié par la commune où réside l'indigent et moitié par l'Etat.

La loi belge du 16 mai 1900 (3) qui organise les retraites pour la vieillesse prévoit également une allocation annuelle de 65 francs pour tous les ouvriers ou anciens ouvriers belges âgés de 65 ans au 1er janvier qui a suivi la promulgation de la loi et se trouvant dans le besoin, mais ce n'est qu'une disposition transitoire dont la durée ne doit pas dépasser dix ans.

Nous citerons encore les lois suivantes qui, sans consacrer le principe de l'assistance obligatoire, s'en rapprochent cependant dans une certaine mesure canton de Vaud, loi du 24 août 1898 (4); canton de Lucerne, loi du 21 novembre 1889 sur les indigents (5); canton du Valais, loi du 3 décembre 1898 sur l'assistance publique (6).

Notons enfin que l'on constate dans la plupart des pays civilisés un effort bien marqué pour la réforme des anciennes institutions

(1) Chambre : séance du 12 juillet 1905.

(2) V. Annuaire de législ. étrang. 1898, p. 788, id. 1903, p. 536.
(3) V. Annuaire de législ. etrang., 1901, p. 332.
(4) V. Annuaire de législ. étrang., 1889, p. 738.
(5) V. Annuaire de législ. etrang., 1891, p. 624.
(6) V. Annuaire de législ. étrang., 1899, p. 562.

de secours pour la vieillesse; c'est ainsi que deux projets de loi instituant des pensions aux vieillards ont été soumis au Parlement anglais en 1899 (1).

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TITRE Jr.

ORGANISATION DE L'ASSISTANCE.

Art. 1er. Tout Français privé de ressources, incapable de subvenir par son travail aux difficultés de l'existence et, soit âgé plus de soixante-dix ans, soit atteint d'une infirmité ou d'une maladie reconnue incurable, reçoit, aux conditions ci-après, l'assistance instituée par la présente loi (2).

Art. 2. L'assistance est donnée par la commune où l'assisté a son domicile de secours; à défaut de domicile de secours communal, par le département où l'assisté a son domicile de secours départemental; à défaut de tout domicile de secours, par l'État.

La commune et le département reçoivent, pour le payement des dépenses mises à leur charge par la présente loi, les subventions prévues au titre IV.

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Art. 3. Le domicile de secours, soit communal, soit départemental, s'acquiert et se perd dans les conditions prévues aux articles 6 et 7 de la loi du 15 juillet 1893; toutefois le temps requis pour l'acquisition et la perte de ce domicile est porté à cinq ans. A partir de soixante-cinq ans, nul ne peut acquérir un nouveau domicile de secours ni perdre celui qu'il possède.

Les enfants assistés, infirmes ou incurables, parvenus à la

(1) Bull. soc. leg. comp., 1900, p. 477.

(2) Le bénéfice de l'assistance est exclusivement réservé aux Français. La Chambre, suivant en cela le précédent de la loi de 1893 sur l'assistance médicale, avait admis les étrangers à y participer à titre de réciprocité. Le Sénat a repoussé cette disposition par crainte qu'elle n'augmentat les charges déjà si considérables que la loi nouvelle allait imposer aux contribuables. (J. Off., Sénat, séance du 9 juin 1905, p. 996, col. 2.)

Sur la demande de M. Mirman, l'expression « privé de ressources » fut substituée à celle d'indigent que portait le projet primitif. Il était à craindre, en effet, étant donné le sens très étroit de celle-ci, que l'assistance ne fut refusée au vieillard possédant déjà quelques revenus insignifiants; cette modification était d'ailleurs la conséquence nécessaire de la nouvelle rédaction de l'article 18, permettant sous certaines conditions le cumul de l'allocation mensuelle d'assistance avec les ressources provenant soit de l'épargne, soit de la charité privée. (J. Off., Chambre, séance du 8 juin 1903, p. 1867, col. 1.)

La loi n'a défini ni l'infirmité, ni la maladie incurable; il résulte cependant des explications fournies à la Chambre par le rapporteur (séance du 29 mai 1903, p. 1784, col. 1), qu'il ne suffira pas pour avoir droit à l'assistance d'une infirmité ou d'une maladie incurable quelconque, il faudra encore qu'elles soient de nature à entraîner l'incapacité de travailler.

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