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XXIX.

LOI DU 9 DÉCEMBRE 1905 CONCERNANT LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L'ÉTAT (1).

Notice et notes par M. CELIER, avocat à la cour d'appel de Paris.

La question des relations des Églises avec l'État est l'une des plus complexes et des plus délicates dont le législateur puisse avoir à s'occuper. Elle touche aux intérêts moraux les plus élevés et elle influe puissamment sur la paix publique. L'antiquité païenne n'a pas connu les difficultés qui peuvent naître de la distinction entre une société religieuse et une société civile, l'État et la religion étaient confondus au point qu'il était impossible d'avoir l'idée d'un conflit entre eux (2). Mais aussi le paganisme laissait l'humanité dans un état d'abaissement dont la religion chrétienne devait seule le faire sortir en élevant l'idéal de la grandeur morale à une hauteur qu'on n'avait pas soupçonnée auparavant. Avec le christianisme en effet apparaît la notion de la fraternité humaine, qui a transformé les rapports des hommes entre

(1) J. Off. du 11 décembre. TRAVAUX PRÉPARATOIRES. Chambre propositions de loi de M. Dejeante, doc. 1902, p. 663; de M. Ernest Roche, déb. parl. 1902. p. 2403; de M. de Pressensé, doc. 1903, p. 452; de M. Hubbard, p. 505; de M. Flourens, p. 571; de M. Réveillaud, p. 955; de MM. Grosjean et Berthoulat, p. 978; de M. Sénac, doc. 1905, p. 31; nouvelle proposition de M. Sénac, p. 335; projet de loi présenté par M. Combes, président du Conseil, ministre de l'Intérieur et des Cultes, doc. 1904 (sess. extraord.), p. 136; rapport général de M. Briand, p. 254; projet de loi présenté par M. Rouvier, président du Conseil, et les ministres de l'Instruction publique et des cultes, des Affaires étrangères et de l'Intérieur, doc. 1905, p. 136; annexes au rapport général de M. Briand, p. 280, 306, 460, 467 et 804; discussion, 21, 23, 27, 28, 30 mars, 2, 4, 6, 8, 10, 11, 12, 13, 15, 17, 20, 21, 22 avril, 15, 16, 17, 18, 22, 23, 24, 25, 27, 29 mai, 5, 6, 7, 8, 9, 13, 14, 15, 19, 20, 21, 22, 26, 27, 28, 29 et 30 juin; adoption 3 juillet 1905. Sénat transmission, 4 juillet 1905, exposé, doc. 1905, p. 526; rapport de M. Maxime Lecomte, p. 329; discussion, 9, 10, 13, 14, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 29, 30 novembre, 1er, 2, 4, 5, 6 décembre, adoption le 6 décembre 1905.

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BIBLIOGRAPHIE. A. Biré, La Séparation des Églises et de l'État,commentaire de la loi du 9 décembre 1905; Donnedieu de Vabres, La condition des biens ecclésiastiques en face de la séparation des Eglises et de l'Etat: Jénouvrier, Exposé de la situation légale de l'Eglise catholique en France; de Lamarzelle et Taudière, Commentaire de la loi du 9 décembre 1903; - Maxime Lecomte, La séparation des Églises et de l'État; — Lhopiteau et Thibault, Les Églises et l'État; Monnot, Exposé méthodique de la loi sur la séparation des Eglises et de l'Etat; Odin et Remaud, La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État; Marc Réville et Armbruster,

Le régime des cultes; Briand, Grunebaune-Ballin et Méjan, Commentaire théorique et pratique dans Les lois nouvelles : Reutenauer, Commentaire

dans Bulletin-commentaire des lois nouvelles.

(2) Fustel de Coulanges, Cité antique, liv. III, chap. vII.

eux; leurs rapports avec Dieu sont aussi modifiés du tout au tout la religion n'est plus celle d'une famille, d'un peuple, elle cesse de se confondre avec les gouvernements, elle n'exerce son empire que sur les âmes, elle n'est plus terrestre, elle est divine. Le Christ a enseigné la double obéissance à Dieu et à César et a ordonné de distinguer l'un de l'autre (1). C'était une rénovation totale de la société se traduisant par l'adoucissement des mœurs et l'amélioration des lois. Pour une part importante les progrès de la civilisation sont dus au développement de la doctrine évangélique (2). Par suite de la distinction du temporel et du spirituel qui fait la supériorité de la société moderne, deux pouvoirs s'exercent sur les mêmes sujets. Il est naturel que des difficultés puissent se produire à propos des limites de leurs domaines respectifs. En outre, la nécessité reconnue pour toutes les confessions religieuses d'un culte extérieur entraîne celle de la possession de certains biens matériels pour l'entretien des ministres, la réunion des fidèles, l'exercice de la charité, attribut naturel de la religion. De là inévitables contacts entre les deux sociétés, les deux autorités civile et religieuse; il en peut résulter des situations délicates à régler, dont le bon règlement est d'une souveraine importance. Ce sont ces graves problèmes que résout la loi du 9 décembre 1903. Avant d'examiner les solutions qu'elle donne, il est nécessaire de rappeler sommairement la situation légale que la loi nouvelle a remplacée.

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Comme pour les autres nations européennes et plus que pour d'autres peut-être, les influences religieuses se sont fait sentir dans le développement de la civilisation en France. Au cours de son histoire l'État français avait été amené à contracter une étroite alliance avec l'Église. Celle-ci avait à la fin de l'ancien régime une situation qui s'expliquait par des services passés, mais qui pouvait ne plus correspondre exactement aux idées nouvelles et aux réalités du moment. L'esprit de réforme qui régnait dans les dernières années du xvine siècle devait porter sur les choses religieuses comme sur tout le reste. A une époque où tout était remis en question dans l'organisation de la Société, où tous les abus étaient âprement recherchés et dénoncés, une organisation aussi ancienne et aussi traditionnelle que celle surtout de l'Église catholique ne pouvait échapper aux critiques et devait exciter le zèle des réformateurs. Certaines doctrines philosophiques, très en honneur principalement parmi ceux à qui le pays paraissait vouloir confier ses destinées, avaient du reste affaibli les sentiments d'antique respect pour la religion à laquelle cependant la masse de la population restait profondément attachée.

(1) Evang. Math. XXII, 21, Marc, XII, 17.

(2) Montesquieu, Esprit des lois, liv. XXIV, chap. III; — Guizot, Civilisation en Europe, leçons V et VI.

De grands changements étaient inévitables dans un état de choses vieux de bien des siècles, L'Assemblée constituante donna une notable part de son temps à la discussion du problème religieux. Sans pouvoir la suivre dans toute l'étude qu'elle en fit, ni indiquer les solutions qu'elle adopta, il faut s'arrêter un instant sur un point, parce que le législateur de 1905 s'est retrouvé en face des mêmes difficultés qui, à ce propos, s'étaient présentées aux constituants en 1789. C'est particulièrement au sujet des biens et possessions dont l'Église catholique jouissait de temps immémorial qu'il était difficile de modifier profondément une situation acquise, en respectant les principes du droit. Tout concourait cependant à imposer des changements dans le régime de la propriété ecclésiastique: les nécessités financières du moment, la disposition générale des esprits peu favorable aux corps de mainmorte, le besoin non contestable de réformes. Sur les questions de principes alors soulevées un débat mémorable fut institué à l'Assemblée nationale (1) où se sont illustrés notamment Mirabeau et l'abbé Maury. Bien que contestés, les droits du clergé ne furent, en fait, point méconnus, et si l'on aboutit à une sorte d'expropriation ce ne fut pas sans indemnité. Le décret du 2 novembre 1789 mettait les biens du clergé « à la disposition de la nation »; mais en ajoutant: « à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres, au soulagement des pauvres ». Le 20 août 1790 un décret portait qu'au budget de chaque année serait inscrite une somme suffisante pour subvenir à ces divers besoins. Enfin l'article 2 du titre V de la Constitution des 3-14 septembre 1791 dit expressément : « Sous aucun prétexte les fonds nécessaires à l'acquittement de la dette nationale et au payement de la liste civile ne pourront être ni refusés ni suspendus.

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« Le traitement des ministres du culte catholique pensionnés, conservés, élus ou nommés en vertu des décrets de l'Assemblée nationale constituante fait partie de la dette nationale ».

Malheureusement on avait légiféré sur cette question des biens, mais aussi sur des matières de pur domaine ecclésiastique, sur des questions d'organisation intérieure (décret des 12 juillet-24 août 1790), en l'absence de tout accord avec l'autorité religieuse. Ce fut là le germe de conflits qui ne tardèrent pas à se produire. Les Assemblées de l'époque révolutionnaire en vinrent à la suppression de cette union entre l'État et la Religion qu'avait établie la Constituante. En l'an III la Convention rendit un décret (le 3 ventôse) aux termes duquel la République ne salariait aucun culte, ne reconnaissait aucun ministre de culte. Tout costume ecclésiastique, toute manifestation religieuse extérieure étaient prohibés. Ni le gouvernement ni les communes ne pouvaient fournir un local pour l'exercice du culte.

Au milieu des discordes civiles qui ont attristé cette époque, la ques

(1) Archives parlementaires, t. IX.

tion religieuse a été une des causes certaines de la division des esprits. Une liberté sacrée entre toutes était entravée; les âmes étaient troublées; sur la question des biens ecclésiastiques, vendus comme nationaux, des inquiétudes se manifestaient (1). L'apaisement des passions religieuses, le calme ramené dans les consciences devaient contribuer dans une large mesure à faciliter l'œuvre de pacification intérieure poursuivie sous le Consulat, c'en était un des éléments nécessaires. Aussi des négociations furent-elles entamées par le Premier Consul avec le Souverain Pontife. L'œuvre des négociateurs fut laborieuse et délicate (2). Enfin l'on se mit d'accord sur les termes d'une convention entre le Pape Pie VII et le Gouvernement français qui fut signée à Paris le 26 messidor an IX et promulguée comme loi de l'État par la loi du 18 germinal an X. C'est ce texte qui, désigné ordinairement sous le nom de Concordat de 1801, a réglé, jusqu'à la loi du 9 décembre 1905, les rapports des Églises et de l'État. Au texte même de la Convention conclue avec le Pape étaient ajoutés, dans la loi de germinal, 77 articles dits organiques, concernant le culte catholique et 44 articles organiques concernant les cultes protestants. Quelques-unes des dispositions relatives à l'organisation du culte catholique parurent aux autorités religieuses excéder les droits que le Gouvernement tenait du Concordat, et excitèrent les protestations du Pape. Sur un certain nombre de points il fut fait droit par des décrets postérieurs aux réclamations de la cour de Rome (3).

Quoi qu'il en soit, l'œuvre de liberté religieuse accomplie par le Gouvernement correspondait au sentiment populaire et donnait satisfaction à un besoin de la nation. Elle fut accueillie avec des marques générales d'allégresse (4).

Quel était donc le régime institué par la législation concordataire? En voici les traits principaux :

1. — Culte catholique. La religion catholique est reconnue celle de la grande majorité des Français. Elle sera « librement exercée ». Avec la liberté elle obtient la publicité de son culte, en se conformant aux lois de police. Le Saint-Siège « pour le bien de la paix » déclare que les acquéreurs de biens ecclésiastiques aliénés ne seront jamais troublés, que leurs droits demeureront incommutables. De son côté, le gouvernement français s'engage à assurer un traitement convenable aux ministres du culte, reprenant ainsi l'engagement pris par l'Assemblée constituante; il promet d'édicter des mesures pour que les fidèles puissent faire des fondations en faveur des églises. Les édifices non aliénés, nécessaires au culte, sont remis à la disposition des évêques. La nomination

(1) Thiers, Histoire du Consulat, liv. XII.

(2) Id., ibid.

(3) Dalloz, Codes des lois politiques et administratives, t. II, Culte, introduction, n° 75 et suiv.

(4) Thiers, Op. cit., liv. XIV.

aux évêchés appartient au chef de l'État, le pape donne l'institution canonique. L'évêque nomme aux cures avec l'agrément du gouvernement et celui-ci concourt à la délimitation des circonscriptions ecclésiastiques. Telles sont les grandes lignes de la convention intervenue entre le Saint-Siège et le gouvernement français et qui devait pendant tout le cours du dix-neuvième siècle rester la charte religieuse du pays. Les détails d'organisation ont été réglés par les articles ajoutés dans la loi du 18 germinal an X à la suite du concordat et qui traitent du régime de l'Église catholique dans ses rapports généraux avec les droits et la police de l'État; des ministres, archevêques, évêques, curés, vicaires généraux, chapitres, quant à leurs nominations et à l'exercice de leurs fonctions. Les titres III et IV sont consacrés au culte, aux circonscriptions, aux traitements, dont les chiffres sont fixés, aux édifices consacrés au culte. Un des articles annonçait qu'il serait institué des fabriques pour veiller à l'entretien et à la conservation des temples et à l'administration des aumônes. Le décret du 30 décembre 1809 organisa en effet d'une façon définitive cette institution prévue par la loi de germinal en s'inspirant en partie des règles suivies sous l'ancien régime et codifia la matière régie déjà, mais incomplètement, par divers arrêtés consulaires. Un décret du 6 novembre 1813 consacra l'existence légale et la capacité juridique d'autres corps (séminaires, cours, évêchés, chapitres) nécessaires à la vie religieuse du pays. Tous ces organes sont des personnes morales distinctes de leurs membres, perpétuelles et représentées par les personnes physiques désignées par la loi et investies d'attributions que celle-ci détermine, dont elle trace le mode d'administration, qu'elle soumet à un contrôle. Les différents établissements ecclésiastiques peuvent recevoir des libéralités avec l'autorisation du gouvernement, suivant le principe posé par l'article 910 du code civil qui leur est étendu par un certain nombre de textes spéciaux. Les ministres du culte ont droit au logement, jouissent de divers avantages et immunités rang de préséance, service militaire, franchise postale, dispense des fonctions de juré... mais aussi ils sont atteints par certaines incompatibilités, leur caractère leur fait encourir une responsabilité pénale particulière et certains actes sont des délits spéciaux (code pénal, art. 199 à 208). Les lois réglementent la police du culte catholique non seulement en réprimant les fautes commises par les ecclésiastiques dans l'exercice de leurs fonctions, mais en protégeant l'exercice du culte, la liberté et la sécurité de ses ministres. La législation criminelle contient un grand nombre de dispositions ayant cet objet.

Ainsi, sous le régime concordataire, l'Église était-elle assurée de la possession d'un patrimoine permanent, ses ministres étaient rétribués sur les fonds publics, ils étaient protégés par la loi. Elle était reconnue comme une puissance souveraine ayant pour chef le pape avec lequel traitait l'État.

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Culte protestant. Les événements de 1793 amenèrent pour les

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