Images de page
PDF
ePub

une proposition de loi qui tendait à porter à dix-huit ans l'âge de la majorité pénale.

La proposition Cruppi avait pour objet de modifier sous un autre rapport l'article 66 du code pénal. Cet article portait que le temps pendant lequel le jeune délinquant acquitté comme ayant agi sans discernement est soumis à l'éducation correctionnelle, ne peut dans aucun cas aller au delà de sa vingtième année. Or, la majorité légale n'est acquise en France qu'à vingt et un ans; il y avait donc nécessairement un délai d'un an, pendant lequel le jeune pupille de l'Administration pénitentiaire échappait à son autorité éducatrice et bienfaisante pour retomber le plus souvent sous celle de parents indignes. On a dit que c'était par suite d'une véritable confusion, d'une erreur matérielle sur le sens des mots : «... accompli sa vingtième année », que l'article 66 avait été ainsi rédigé en 1810. Il convient cependant de remarquer que la loi des 25 septembre-6 octobre 1791, 1re partie, titre V, art. 2, avait adopté la même limite, bien qu'en termes un peu différents; en 1810 on s'inspira de ce précédent. Quoi qu'il en soit, le vice de rédaction de l'article 66 frappa, dès 1872, la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale qui avait M. Félix Voisin pour rapporteur; depuis ce temps le Comité de défense s'en est occupé et il a exprimé des vœux pour qu'il fût porté remède aux anomalies de la loi, à la suite de deux rapports de M. Puibaraud, l'un du 1er mars 1893, sur la responsabilité des enfants, l'autre des 3 janvier et 14 février 1894 sur les maisons d'éducation préventive et correctionnelle. (V. Recueil précité de 1900, p. 383 à 390 et 452 à 508). Enfin la nécessité d'une réforme en ce sens a été signalée en 1893, par le Congrès pénitentiaire de Paris, en 1896, par le Congrès de patronage de Bordeaux, et plus récemment par le Conseil supérieur de l'assistance publique, après un rapport de M. Ogier, et sur les observations de M. Brueyre et du président, M. Théophile Roussel. La proposition Cruppi donnait satisfaction à tous ces vœux.

Elle fut rapportée par M. Cruppi lui-même et adoptée sans discussion par la Chambre des députés dans la séance du 27 juin 1903. La commission du Sénat, qui avait choisi M. Paul Strauss pour son rapporteur, en proposa d'abord l'adoption pure et simple. On ne se dissimulait pas cependant qu'une modification aussi profonde de l'article 66 ne pouvait pas manquer d'avoir une répercussion sur les articles suivants, sur l'article 67 notamment, dont la revision allait bientôt paraître nécessaire; mais pour ne pas retarder une réforme jugée urgente, on préférait s'en tenir pour l'instant au texte voté par la Chambre des députés. Un examen plus attentif de la question ne tarda pas à démontrer qu il fallait rectifier de suite l'article 67 si on ne voulait pas voir se produire d'étranges résultats : la commission du Sénat avait la volonté certaine de maintenir à l'usage des criminels de seize à dix-huit ans qui auraient agi avec discernement, les peines de droit commun; or, deux professeurs de la Faculté de droit de l'Université de Paris, MM. A. Le Poittevin (Revue penitentiaire, 1905, p. 1068) et Garçon n'eurent pas de peine à

démontrer que l'article 67 commençant par ces mots : « S'il est décidé qu'il a agi avec discernement... », l'élévation jusqu'à dix-huit ans de l'âge de la majorité pénale pour les mineurs de l'article 66 profiterait par voie de conséquence nécessaire à ceux de l'article 67. On pouvait formuler sous ce rapport toutes les réserves qu'on voudrait dans les discussions ou dans les rapports; le texte clair et précis prévaudrait toujours sur ce qui aurait été dit dans les travaux préparatoires de la loi. Ces considérations décidèrent M. Strauss à demander, le 22 février 1906, l'ajournement de la discussion en cours; le 13 mars suivant, il déposa un rapport supplémentaire avec un nouveau projet qui modifiait, outre l'article 66, l'article 67 du code pénal et l'article 340 du code d'instruction criminelle. Ce projet a été voté sans modifications par le Sénat le 30 mars, par la Chambre des députés le 12 avril 1906; il est devenu la loi qui a été promulguée le même jour.

[blocks in formation]

Les articles 66 et 67 du code pénal sont ainsi modi

« Art. 66. Lorsque le prévenu (1) ou l'accusé aura moins de dix-huit ans (2), s'il est décidé qu'il a agi sans discernement, il sera acquitté; mais il sera, selon les circonstances, remis à ses parents ou conduit dans une colonie pénitentiaire (3) pour y être élevé et détenu pendant le nombre d'années que le jugement

(1) Dans le texte ancien il n'était question que de l'accusé. Cette formule était défectueuse, car réglant dans l'article 69 le sort du mineur qui n'a commis qu'un simple délit, mais qui est reconnu avoir agi avec discernement, le législateur reconnaît expressément que cette question de discernement se pose en toutes matières. La formule était d'autant plus défectueuse qu'aux termes de l'article 68, lorsque le mineur qui a commis un crime n'a pas de complices majeurs et que le fait n'est pas de nature à être puni d'une peine perpétuelle, ce mineur est traduit devant le tribunal correctionnel et comparait, par conséquent, en justice en vertu d'une ordonnance de simple mise en prévention, sans mise en accusation préalable. Il y avait done dans le texte primitif une lacune que, dès la rédaction de sa proposition primitive, M. Cruppi a pris à cœur de combler.

(2) On lisait dans le texte ancien : « Lorsque l'accusé aura moins de seize ans..." On a vu dans la notice précédente que l'élévation de seize à dix-huit ans de l'âge de la majorité pénale avait été la pensée initiale de la proposition Cruppi et l'objet principal de la réforme.

(3) Le texte de 1810 comme celui de la loi de 1791 disait «... conduit dans une maison de correction pour y être élevé et détenu... ». Au temps où ces textes anciens furent rédigés, il n'y avait pas en France d'établissements spéciaux pour l'éducation de l'enfance coupable; les maisons de correction, c'était alors comme aujourd'hui les maisons départementales où sont subies les peines prononcées contre les condamnés adultes, et il y cut un temps où les mineurs de l'article 66 étaient détenus et « élevés » dans une promiscuité navrante avec ces condamnés. La loi du 5 août 1850, sur l'éducation et le patronage des jeunes détenus, a eu pour but principal de faire cesser ce déplorable état de choses, en instituant des établissements spéciaux sur lesquels les mineurs acquittés, et même condamnés, sont exclusivement dirigés. Mais

déterminera et qui, toutefois, ne pourra excéder l'époque où il aura atteint sa majorité (1) ».

« Art. 67. - S'il est décidé qu'un mineur de seize ans (2) a agi avec discernement, les peines seront prononcées ainsi qu'il suit : <«< S'il a encouru la peine de mort, des travaux forcés à perpétuité, de la déportation, il sera condamné à la peine de dix à vingt ans d'emprisonnement dans une colonie correctionnelle.

<«< S'il a encouru la peine des travaux forcés à temps, de la détention ou de la réclusion, il sera condamné à être enfermé dans une colonie correctionnelle ou une colonie pénitentiaire pour un temps égal au tiers au moins et à la moitié au plus de celui pour lequel il aurait pu être condamné à l'une de ces peines.

<«< Dans tous les autres cas, il pourra lui être fait défense de paraître, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, dans les lieux dont l'interdiction lui sera signifiée par le Gouvernement (3).

jamais on n'avait songé à modifier la terminologie du code et l'expression depuis longtemps impropre de « maison de correction» contribuait dans une large mesure à perpétuer le préjugé qui subsistait fort malheureusement dans le public, et même dans l'esprit de certains magistrats, relativement aux prétendus dangers de l'éducation correctionnelle (V. le rapport de M. Vincent, lu au Comité de défense des enfants traduits en justice le 18 juillet 1899, dans le volume déjà cité de 1900, p. 432 à 451). La commission du Sénat a été frappée de cette anomalie et elle s'est attachée à la faire cesser. Aux termes de la loi du 5 août 1850, il y a deux sortes d'établissements: 1° les colonies pénitentiaires où sont détenus les enfants acquittés comme ayant agi sans discernement, et aussi ceux condamnés à des peines qui n'excèdent pas deux ans d'emprisonnement (art. 3 et 4); 2° les colonies correctionnelles où l'on place, outre les insubordonnés des colonies pénitentiaires, les enfants condamnés à plus de deux ans d'emprisonnement (art. 10). Pour les mineurs de l'article 66, il ne peut donc être question, sauf le cas d'insurbordination qui donne lieu à certaines mesures administratives, que des colonies pénitentiaires.

(1) Le texte ancien portait : « ... ne pourra excéder l'époque où il aura atteint sa vingtième année. » Les raisons qui ont déterminé le législateur à modifier sur ce point les termes et l'esprit de l'article 66 ont été exposées dans la notice qui précède.

(2) Il a été dit expressément par M. Strauss, rapporteur du Sénat, dans la séance du 22 février 1906, et il a répété dans son rapport supplémentaire, que l'intention formelle de la commission était d'exclure les mineurs de seize à dix-huit ans, qui sont reconnus avoir agi avec discernement, du bénéfice des atténuations de peine écrites dans l'article 67. Le nombre des criminels précoces va en s'accroissant chaque jour et constitue un véritable danger social; le moment aurait donc été mal choisi pour énerver, en ce qui les concerne, la répression. M. Jean Cruppi, dans son second rapport du 10 avril 1906, s'est associé à cette manière de voir qui résulte d'ailleurs incontestablement de la légère modification apportée à la première phrase de l'article 67.

(3) Le texte de l'article 67, tel qu'il avait été arrêté en 1832, permettait de placer les mineurs de seize ans condamnés comme ayant agi sans discernement, sous la surveillance de la haute police. On a profité de l'occasion qui s'offrait de reviser le texte pour mettre l'article 67 en harmonie avec l'article 19 de la loi du 27 mai 1885 qui a substitué l'interdiction de séjour à la peine désormais abolie de la surveillance de la haute police.

α

S'il a encouru la peine de la dégradation civique ou du bannissement, il sera condamné à être enfermé, d'un an à cinq ans, dans une colonie pénitentiaire ou une colonie correctionnelle (1) ».

-

Art. 2. L'article 340 du code d'instruction criminelle est modifié ainsi qu'il suit :

« Art. 340.- Si l'accusé a moins de dix-huit ans, le président posera, à peine de nullité, cette question: « L'accusé a-t-il agi avec discernement? (2) ».

Art. 3.

[ocr errors]

Disposition transitoire.

La garde d'un enfant mineur de seize à dix-huit ans ne pourra pas être confiée à l'Assistance publique par application des articles 4 et 5 de la loi du 19 avril 1898 (3).

(1) Le renvoi a lieu dans une colonie correctionnelle ou dans une colonie pénitentiaire suivant que la peine prononcée est supérieure ou inférieure à deux ans de prison (V. suprà, note 3, sous le nouvel article 66).

(2) La nouvelle loi n'a rien changé aux règles de compétence telles qu'elles sont écrites dans l'article 68 : « Les accusés de seize à dix-huit ans, écrivait M. Strauss dans son premier rapport, poursuivis comme coupables d'un crime, continueront à être traduits devant la cour d'assises. Seulement, en ce qui les concerne, il faut désormais que le jury soit dans tous les cas interrogé sur la question de discernement ». On devait modifier, en conséquence, le texte de l'article 340 du Code d'instruction criminelle. Cette modification n'est qu'une simple mise au point.

(3) L'article 66, dans sa nouvelle rédaction, n'a prévu que deux hypothèses quant au règlement du sort de l'enfant acquitté comme avant agi sans discernement, qu'il soit rendu à ses parents ou soumis à l'éducation correctionnelle. Cependant les articles 4 et 5 de la loi du 19 avril 1898 avaient ouvert au juge d'autres voies en lui permettant de confier la garde de l'enfant « à un parent, à une personne ou une institution charitable, ou enfin à l'Assistance publique ». Faut-il conclure du silence de l'article 66 que l'intention du législateur de 1906 aurait été d'abroger l'article 5 au moins de la loi de 1898? Non, sans doute, mais on entendait tout d'abord réserver la question de la « concordance de la loi de 1898 avec le nouvel article 66 ». M. Strauss écrivait dans son premier rapport : « Il n'est rien changé au statu quo légal jusqu'à ce que le législateur se soit expressément prononcé. En entrant dans la voie d'une revision plus complète, la commission a été obligée de regarder en face le problème; ses conclusions sont que la loi de 1898 est applicable, même aux mineurs de seize à dixhuit ans, et qu'en conséquence, « les juges d'instruction, les tribunaux et les cours d'assises conservent la ressource de confier ces mineurs à des particuliers, à des associations charitables, à des œuvres de patronage et de sauvetage » (Rapport supplémentaire de M. Strauss). La question a paru plus délicate pour ce qui concerne l'Assistance publique. L'Assistance publique, qui s'était soumise sans résistance aux obligations nouvelles que lui imposait la loi du 24 juillet 1889 sur la protection de l'enfance abandonnée ou coupable, a montré au contraire peu d'empressement à prendre la charge des enfants que la loi de 1898 autorisait à lui confier: elle a soutenu que les attributions qui lui étaient faites par les cours et tribunaux n'avaient rien d'obligatoire et qu'elle pouvait refuser

X.

LOI DU 12 AVRIL 1906, ÉTENDANT A TOUTES LES EXPLOITATIONS COMMERCIALES LES DISPOSITIONS DE LA LOI DU 9 AVRIL 1898 SUR LES ACCIDENTS DU TRAVAIL (1).

Notice et notes par M. A. MOURRAL, conseiller à la cour d'appel de Rouen.

La question de l'extension de la loi du 9 avril 1898 que les lois des 22 mars 1902 et 31 mars 1905 avaient laissée de côté, s'était cependant posée dès les premiers jours de son application. Du moment, en effet, que le législateur, abandonnant, en matière d'accidents du travail, la théorie ancienne, plaçait le principe générateur de la responsabilité non plus dans la faute, mais dans le risque professionnel, la logique voulait que sa protection fût étendue à tous les ouvriers, et l'on comprenait difficilement qu'un accident de même nature, provenant de risques identi

la garde des mineurs, au même titre que les particuliers ou les établissements d'assistance privée, qui ne peuvent évidemment jamais être tenus de les prendre. Mais ses prétentions ont été repoussées par un arrêt de la cour de cassation du 14 août 1902 (D. P. 1903. 1. 459. V. aussi Revue pénitentiaire, 1902, p. 1181). Cependant si cette charge nouvelle qui lui est imposée allait s'étendre jusqu'aux mineurs de seize à dix-huit ans, le danger de la réforme entreprise pouvait être considérable. Non seulement, en effet, les services d'enfants assistés ne disposent pas à l'heure actuelle de ressources suffisantes, mais l'Assistance publique n'est pas encore outillée ni armée en vue de subvenir à de telles éducations. La loi du 28 juin 1904 a eu, il est vrai, précisément en vue de pourvoir à l'outillage indispensable pour le redressement des pupilles vicieux ou tout au moins difficiles de l'Assistance publique. Mais, écrivait M. Strauss dans son rapport supplémentaire, cette loi de 1904 « n'a pas encore reçu son application », et « tant que les écoles professionnelles prévues par la loi de 1904 n'existeront pas en nombre suffisant, il y aurait imprudence à étendre au delà de seize ans, tout au moins en ce qui concerne l'Assistance publique, l'application des articles 4 et 5 de la loi du 19 avril 1898. » Ces dangers signalés par M. Brueyre, membre et rapporteur du Conseil supérieur de l'Assistance publique, n'ont pas frappé moins vivement la commission du Sénat, qui, pour y parer, a introduit dans le texte l'article 3, qu'elle a qualifié, d'ailleurs, de disposition purement transitoire : « la précaution, ajoute le rapport, pourra paraitre superflue quelque jour lorsque le système des écoles de préservation aura fait ses preuves et donné la mesure de son efficacité. » (1) J. Off. du 15 avril 1906. TRAVAUX PRÉPARATOIRES.

man,

Chambre 13 décembre 1900, proposition Mirdoc. 1900 (sess. extraord.), no 2027, p. 160; 2 déc. 1901, rapport, doc. 1901, (sess. extraord.), n° 2799, p. 185; 10 juin 1902, nouvelle propos. Mirman, doc. 1902, no 9, p. 454; 2 juillet 1903, rapport, doe. 1903, no 1136, p. 1041; 22 mars 1904, rapport supplémentaire, doc. 1904, n° 1625, p. 272; discussion, urgence déclarée, 2, 7 juin 1904; adoption, 9 juin 1904. Sénat transmission, 10 juin 1904, doc. 1901, no 157, p. 235; 26 février 1906, rapport Cordellet, doc. 1906, no 60, p. 158; discussion, urgence déclarée et adoption, 27 mars 1906. Chambre transmission, 3 avril 1906, no 3129, p. 382; 5 avril 1906, rapport Puech, doc. 1906, no 3177, p. 410; adoption, 10 avril 1906.

« PrécédentContinuer »