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dans un étrange état. Ahi. Je n'ai pas voulu mourir sans venir demander pardon à toutes les personnes que je puis avoir offensées. Ahi. Oui, messieurs, avant que de rendre le dernier soupir, je vous conjure de tout mon cœur de vouloir me pardonner tout ce que je puis avoir fait, ct principalement le seigneur Argante et le seigneur Géronte. Ahi.

ARGANTE.

Pour moi, je te pardonne; va, meurs en repos.

SCAPIN, à Géronte.

C'est vous, monsieur, que j'ai le plus offensé par les coups de bâton que...

GÉRONTE.

Ne parle point davantage, je te pardonne aussi.

SCAPIN.

Ç'a été une témérité bien grande à moi, que les coups de bâton que je...

Laissons cela.

GÉRONTE.

SCAPIN.

J'ai, en mourant, une douleur inconcevable des coups de bâton que...

Mon Dieu! tais-toi.

GÉRONTE.

SCAPIN.

Les malheureux coups de bâton que je vous...

GÉRONTE.

Tais-toi, te dis-je; j'oublie tout.

SCAPIN.

Hélas! quelle bonté ! Mais est-ce de bon cœur, monsieur, que vous me pardonnez ces coups de bâton que...

GÉRONTE.

Hé! oui. Ne parlons plus de rien; je te pardonne tout : voilà qui est fait.

SCAPIN.

Ah! monsieur, je me sens tout soulagé depuis cette parole.

GÉRONTE.

Oui; mais je te pardonne à la charge que tu mourras.

Comment! monsieur?

SCAPIN.

GÉRONTE.

Je me dédis de ma parole, si tu réchappes.

SCAPIN.

Ahi, ahi. Voilà mes foiblesses qui me reprennent.

ARGANTE.

Seigneur Géronte, en faveur de notre joie, il faut lui pardonner sans condition.

Soit.

GÉRONTE.

ARGANTE.

Allons souper ensemble, pour mieux goûter notre plaisir.

SCAPIN

Et moi, qu'on me porte au bout de la table, en attendant que je meure.

FIN LES FOURBERIES DE SCAPIN.

:

COMTESSE D'ESCARBAGNAS.

COMÉDIE.

1671.

NOTICE.

Voici ce qu'on lit à propos de cette pièce dans l'avertissement de l'édition de 1739 :

« Le roi s'étant proposé de donner un divertissement à Madame, à son arrivée à la cour, choisit les plus beaux endroits des ballets qui avoient été représentés devant lui depuis quel ques années, et ordonna à Molière de composer une comédie qui enchaînât tous ces morceaux différents de musique et de danse. Molière composa pour cette fête la Comtesse d'Escarbagnas, comédie en prose, et une pastorale. Ce divertissement parut Saint-Germain-en-Laye, au mois de décembre 1671, sous le titre de Ballet des Ballets. Ces deux pièces composoient sept actes, qui étoient précédés d'un prologue, et qui étoient suivis chacun d'un intermède. La Comtesse d'Escarbagnas ne parut sur le théâtre du Palais-Royal qu'en un acte, au mois de juillet 1672, telle qu'on la joue encore aujourd'hui, et telle qu'elle est imprimée : il y a apparence qu'elle a été divisée d'abord en plusieurs actes. >>

La pastorale, dont il ne reste rien, précédait sans doute la vingt et unième scène; car c'est là que tout le monde est assemblé pour voir le divertissement que la comtesse doit recevoir du vicomte.

dit que

c'est

Voltaire, en parlant de la Comtesse d'Escarbagnas, une farce, mais une farce toute remplie de caractères parfaitement étudiés et qui offre la peinture naïve des ridicules de la province. « Les longues excursions de Molière dans différentes provinces, dit M. Taschereau, avaient fourni à son esprit contemplateur de favorables occasions d'y étudier et d'y saisir mille ridicules divers. Alors plus qu'aujourd'hui, les habitudes des provinciaux contrastaient avec celles des habitants de la

capitale. Des relations plus rares avec Paris, une ignorance complète du luxe et de ses prestiges brillants, peu d'amour des plaisirs, donnaient à la province une grande supériorité sur la métropole sous le rapport des mœurs, mais l'empêchaient absolument de s'initier à ce savoir-vivre aimable que les grandes villes acquièrent presque toujours aux dépens de leur moralité, et de se dépouiller de cette simplicité grossière, source féconde de vertus comme de ridicules. Cependant notre premier comique, se contentant d'esquisser plus d'un de ces travers dans quelques cadres qu'ils ne remplissaient pas seuls, comme dans Georges Dandin, n'y consacra entièrement que la Comtesse dEscarbagnas.»

Le rôle de M. Harpin, dans lequel l'insolence, la galanterie grossière des traitants sont pour la première fois mis en scène, semble avoir inspiré à Lesage l'idée de Turcaret.

PERSONNAGES.

LA COMTESSE D'ESCARBAGNAS '.

LE COMTE, fils de la comtesse d'Escarbagnas".

LE VICOMTE, amant de Julie'.

JULIE, amante du vicomte 1.

MONSIEUR TIBAUDIER, conseiller, amant de la comtesse'.

MONSIEUR HARPIN, receveur des tailles, autre amant de la comtesse.

MONSIEUR BOBINET, précepteur de M. le comte'.

ANDRÉE, suivante de la comtesse *.

JEANNOT, laquais de M. Tibaudier.

CRIQUET, laquais de la comtesse 1.

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Oui. Vous en devriez rougir, Cléante; et il n'est guère honnête à un amant de venir le dernier au rendez-vous.

Acteurs de la troupe de Molière : Mademoiselle MAROTTE. —

LA GRANGE.

Mademoiselle BEAUVAL.

1 BEAUVAL.

- Mademoiselle BONNEAU.

HUBERT.
BOULONNOIS.

* GODON *.

DU CROISY.

10 FINET.

Il est probable que ce jeune acteur n'a jamais rempli d'autre rôle que ce lui-ci. (Voyez les Recherches sur les Théâtres de France, tome III, page 367.)

LE VICOMTE.

Je serois ici il y a une heure, s'il n'y avoit point de fâcheux au monde; et j'ai été arrêté en chemin par un vieux importun de qualité, qui m'a demandé tout exprès des nouvelles de la cour, pour trouver moyen de m'en dire des plus extravagantes qu'on puisse débiter; et c'est là, comme vous savez, le fléau des petites villes, que ces grands nouvellistes qui cherchent partout où répandre les contes qu'ils ramassent. Celui-ci m'a montré d'abord deux feuilles de papier, pleines jusques aux bords d'un grand fatras de balivernes, qui viennent, m'a-t-il dit, de l'endroit le plus sûr du monde. Ensuite, comme d'une chose fort curicuse, il m'a fait avec grand mystère une fatigante lecture de toutes les méchantes plaisanteries de la gazette de Hollande, « dont il épouse les intérêts1. Il tient que la France est battue en ruine par la plume de cet écrivain, et qu'il ne faut que ce bel esprit pour défaire toutes nos troupes; et de là s'est jeté à corps perdu dans le raisonnement du ministère, dont il remarque tous les défauts, et d'où j'ai cru qu'il ne sortiroit point. A l'entendre parler, il sait les secrets du cabinet mieux que ceux qui les font. La politique de l'État lui laisse voir tous ses desseins; et elle ne fait pas un pas dont il ne pénètre les intentions. Il nous apprend les ressorts cachés de tout ce qui se fait, nous découvre les vues de la prudence de nos voisins, et remue, à sa fantaisie, toutes les affaires de l'Europe. Ses intelligences même s'étendent jusques en Afrique et en Asie; et il est informé de tout ce qui s'agite dans le conseil d'en haut du Prêtre-Jean2 et du grand Mogol.

JULIE.

Vous parez votre excuse du mieux que vous pouvez,

afin

Molière semble n'avoir tracé le portrait du nouvelliste que pour se donner le plaisir de châtier le gazetier insolent des Provinces-Unies. Depuis la paix signée à Aix-la-Chapelle en 1668, ce gazetier ne cessait d'imprimer les choses les plus injurieuses pour Louis XIV et pour la nation française. Un an après la repré sentation de la Comtesse d'Escarbagnas, Louis XIV fit la conquête de la Hol lande. (Bret.)

'On lit Prétre-Jean dans les éditions modernes. Nous suivons celles qui ont été données du vivant de Molière.

On appela d'abord Pretre-Jean, un prince tartare qui combattit Gengis. Des religieux envoyés près de lui prétendirent qu'ils l'avaient converti, l'avaient nommé Jean au baptême, et même lui avaient conféré le sacerdoce; de là cette qualification de Prétre-Jean, qui est devenue depuis, on ne sait pourquoi, celle d'un prince nègre, moitié chrétien schismatique, et moitié juif. C'est de ce der nier qu'il est question ici. (Auger.)

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