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» du meurtre & du carnage? Vos cœurs abjects ne font pas fenfibles aux attraits » de l'aimable innocence? Sa beauté ne » vous touche pas ?... Mais que lui im» porte que vous la connoiffiez ? Dieu la » connoît; les anges la connoiffent auffi; » elle ne tremblera pas à la vue des perfé

cutions que des tyrans lui préparent. » Tandis que rempants fur cette pouffiere » dans laquelle nous fommes nés, nous »ofons nous élever & dépofer contre elle, » les anges l'admirent du haut des cieux, » & l'Eternel lui fourit. Lorfqu'au jour » du jugement, la voix des féraphins ton» nera fur nos têtes coupables, alors nous » crierons aux collines de nous cacher, » aux montagnes de fe renverfer fur nous, » à l'Océan de nous engloutir, à la def»truction de nous anéantir pour éviter » les regards des élus, & l'afpect redou» table du Juge fuprême! Sublime penfée » du jugement dernier, fortifie-moi! Sers» moi d'afile comme une montagne fur » laquelle je puiffe me réfugier au moment » où le Meffie mourant fermera les yeux » à la lumiere! Je fens déja dans mon cœur

toute l'horreur que ce moment me cau» fera. Il me femble voir un glaive à deux » tranchants fufpendu fur ma tête ! En vain je veux m'élever au-deffus de moi-même,

par la grande penfée du jugement; mon »ame déchirée y eft comme infenfible; » elle n'eft ouverte qu'à la douleur & à » la compaffion. On veut te faire mourir, » Homme divin! toi que mes bras ont fi » fouvent porté dans ton enfance; toi,

que j'ai fi fouvent ferré contre mon fein » palpitant de joie & de tendreffe. Déja les » docteurs fe raffembloient autour de toi, » t'écoutoient & t'admiroient Les im→ » mortels fortoient des régions célestes, » pour affifter à tes leçons, &, pleins » de raviffement, chantoient des hymnes » à ta gloire! Tu reffufcitois les morts; » tu commandois à la tempête, & la > tempête t'obéiffoit; tu calmois d'un coup» d'œil la mer en fureur; tu marchois » fur les flots, & les flots élevés jusques >> aux nuës s'applaniffoient fous tes pas ! » Les cieux te contemploient marchant fur » la furface des eaux!... On veut que » tu meures!... Ah! meurs, meurs donc, » fi c'eft la volonté de ton Pere!... Je » cours te dreffer un tombeau, & l'arrofer » de mes larmes.... je cours à la fource » facrée de Béthléem, où Marie te mit au » monde ; & là je veux mourir, en pleu>> rant le meilleur & le plus parfait de tous » les hommes! Fils de Dieu, Ange de » l'alliance.... que ma fin foit femblable

» à la tienne! Que mon tombeau foit » auprès du tien, près de ces os qui repo» feront en paix, & qui reffufciteront » pour la vie éternelle !... Mais, pourquoi » différé - je de fortir de cette affemblée » impie? J'en fors fain & pur. Dieu m'a » entendu Oui, je fuis pur du fang du ! » Jufte, de l'Innocent! Appelle-moi main» tenant à toi, ô Juge des mondes! car » je n'ai point eu de part au confeil des » méchants. >>

Il dit, & s'arrête; il fe profterne & s'écrie en adorant: » Toi, qui étois avant » Abraham, ô Meffie! tu feras mon té» moin au grand jour du jugement ! Je » t'adore comme mon Dieu! » Après avoir dit ces mots, il fe leve & adreffe la parole à Philon. La douce férénité brilloit fur fon vifage, comme fur celui d'un féraphin:

»Tu m'as maudit, Philon; & moi je » te bénis. Voila ce que me prefcrit celui » que je viens d'adorer comme Dieu. » Ecoute-moi, Philon, & reconnois-le. » Lorfque tu feras au moment de mourir, & que, dans ce moment terrible, le fang de l'Innocent que tu auras im» molé, s'élevera contre toi comme les » vagues d'une mer en fureur; que la » voix de la vengeance retentira à ton

» oreille, comme la tempête du Seigneur; » fi, quand tu entendras réfonner autour » de toi, dans les ténebres, les pas de fer » du Juge prêt à paroître; fi, quand tu » verras briller le glaive qu'il aiguife, & » fon trait enivré du fang des cruels; » quand la terreur de la mort fortira de » la face de Dieu, & te glacera d'effroi; » alors, Philon, alors fi ton ame s'ouvre » à d'autres fentiments que ceux que tu » viens de montrer; fi l'appareil du Juge» ment fe retrace à ton oeil glacé & mou»rant, fi tu t'humilies, fi tu t'anéantis » dans la pouffiere devant le Juge exter»minateur; fi, baigné dans les larmes, fi, déchiré par les remords, tu cries du » fond de ton coeur à l'Eternel d'avoir » pitié de toi; qu'il t'écoute, ô Philon! » qu'il ait pitié de toi! »

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Il dit; & perçant la foule, il fortit de l'affemblée, accompagné de Jofeph.

Ituriel fuivit Nicodême des yeux, lorfqu'il fortit. Plein de raviffement, le féraphin s'éleve dans les airs & plane les bras étendus. Ses regards tournés vers le ciel, exprimoient la fatisfaction; le fentiment d'une joie céleste rayonnoit autour de fon front immortel. Ainfi qu'un jeune habitant des cieux s'arrête au pied du trône éternel, fur des collines fleuries, pour écouter le

fublime Eloa, lorfqu'en préfence de Dieu, il chante fur fa harpe fonore un hymne à l'honneur de la vertu, & qu'il peint les chaftes tranfports de deux amants qui fe retrouvent après avoir été féparés; le jeune féraphin, à la garde de qui ces vertueux amants ont été confiés, eft dans l'enchantement Eloa continue & peint avec des traits de feu la rapidité des penfées, & la pureté des fentiments qui fe fuccedent dans ces ames tendres & naïves; le féraphin horsde lui-même, pouffe involontairement des cris d'alégreffe, & ne peut fuffire à la délicieufe ivreffe qu'il éprouve : tel étoit Ituriel en écoutant Nicodême. « O race » humaine, dit-il, quelle béatitude ne dois» tu pas attendre après la mort du Sau

veur, fi tu as beaucoup d'ames fembla»bles à celle de ce mortel divin?» II prononça ces mots affez haut, pour que Satan les entendit. Il leve les yeux & apperçoit le féraphin dans fon extafe & fon raviffement. Cependant Nicodême pourfuivoit fon chemin, accompagné de Jofeph, & lui dit en le quittant : » Il m'a femblé, » mon cher Jofeph, que tu rougiffois de » lui!» Ce mot lui perça le coeur. Le pieux Jofeph s'étoit déjà reproché intérieu eme nt fon filence, & en avoit verfé des arm es fecretes. Il fe fépara triftement de

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