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des siècles passés ; pour tout dire, en un mot, c'est la raison humaine perfectionnée.

Il faut le dire pour l'instruction de la jeunesse : tout écrivain qui s'écartera de cette philosophie salutaire ne vivra point dans l'estime des hommes; il obtiendra des faveurs, il pourra s'enivrer d'éloges mendiés; mais il descendra tout entier dans le tombeau, heureux encore que son nom soit oublié, et sa mémoire anéantie; on ne le comptera pas du moins parmi les apôtres de l'erreur et les ennemis de l'humanité.

Telle ne sera point la destinée de M. Lacretelle aîné : il ne s'est jamais traîné à la suite du pouvoir dominant; il n'a jamais insulté au pouvoir déchu; ce ne sont ni les pensions, ni les places, ni l'espoir de la faveur qui ont inspiré ses ouvrages; il les publie aujourd'hui tels qu'il les a composés, sans avoir besoin d'y changer une phrase, d'y ajouter une ligne expiatoire. Plein de savoir, de candeur et de modestie, il n'a déserté aucune bannière, parce qu'il n'a jamais marché que sous les drapeaux de la saine philosophie, et qu'il n'a jamais obéi qu'aux inspirations de la vertu. Lui aussi sera compté parmi les sages et les bons écrivains du dernier siècle. Les contemporains de ses premiers écrits l'ont ainsi jugé, et je m'appuie avec confiance sur le témoignage d'un homme illustre, du panégyriste de Marc-Aurèle, de l'éloquent auteur de l'Essai sur les éloges.

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« Je regarde, écrivait Thomas à M. Lacretelle aîné, je regarde l'ensemble de vos discours comme un des » meilleurs ouvrages que nous ayons, et par son utilité, » et en même temps par l'exécution. Vous vous êtes dé» fendu partout de cette exagération qui ressemble elle» même à un préjugé, et qui par-là même est moins

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» propre à le combattre. Vous avez partout cette mesure qui ne met jamais en défiance celui qui écoute contre celui qui parle. Je vous remercie, et pour moi, et pour , les malheureux à qui un si bon ouvrage ne peut man» quer d'être utile. Il doit fixer les regards du public, » et réveiller ceux du gouvernement sur l'effet d'une opinion (le préjugé sur les peines infamantes) qui, » comme vous le remarquez fort bien, doit être modifiée » et conduite par la justice. »

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J'ai d'abord voulu fixer le degré d'estime due au caractère de M. Lacretelle aîné comme écrivain. Dans un nouvel article, je ferai connaître le caractère de ses ouvrages et le mérite de leur composition.

A. J.

LA VENDÉE, poëme en six chants, dédié à l'armée française, libératrice de l'Espagne; par M. le vicomte LE PRÉVOST D'IRAY, membre de l'Institut royal de France (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), chevalier de l'ordre de Malte, inspecteur-général émérite de l'Université, gentilhomme ordinaire du Roi (1).

VOILA un poëme et un écrivain qui se présentent au public avec un imposant cortège de titres et de dignités. Si les qualifications honorifiques et les distinctions littéraires étaient une preuve certaine de génie, M. Le Prévost d'Iray n'aurait rien à envier aux Homère et aux Milton; mais, malheureusement, il ne suffit pas d'être gentilhomme ordinaire pour être poëte; et l'influence secrète ne descend pas de préférence sur les chevaliers de Malte. On peut être membre de l'université, et faire très-mal les vers; le titre d'académicien lui-même n'a pas toujours fléchi les Muses; et ce n'est point assez de dédier ses chants à l'armée d'Espagne pour mériter l'héritage de Tyrtée.

Les prétentions de M. Le Prévost d'Iray ne sont pas, au reste, égales au faste de ses titres. Quoique noble et académicien, il doute de lui-même; il craint d'être accusé de témérité : il se défend d'avoir conçu l'audacieuse pensée de composer un poëme épique; entreprise qui

(1) Un vol. in-8. Chez Arthus Bertrand; libraire, rue Hautefeuille, n. 23.

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n'appartient, dit-il, qu'aux génies du premier ordre. Voilà donc un fait bien établi M. Le Prévost d'Iray, jugé par ses propres aveux, n'est point un génie du premier ordre; et si, dans un autre passage de sa préface, il rapproche son nom de celui du Tasse, s'il place son poëme en regard de la Jérusalem, il déclare avec une profonde humilité qu'il ne mesure qu'avec un religieux respect la distance qui le sépare du poëte immortel de Ferrare.

C'est une belle et bonne chose que la modestie. Cette vertu, bien calculée, exercée à propos, rapporte de gros bénéfices; néanmoins il faut craindre de se mettre trop bas, parce qu'il se rencontre quelquefois dans le monde de singuliers esprits qui ont la malice désobligeante de vous prendre au mot. M. Le Prévost d'Iray, après avoir fait la part de l'humilité, passe bientôt à l'exacte supputation des caractères variés et nombreux de son talent. Vous apprendrez, en lisant sa préface, qu'il a de la chaleur dans l'ame, de la vivacité dans l'imagination. La poésie a signalé ses premiers pas dans la carrière des lettres, et sa première jeunesse fut pleine d'ardeur et de feux (1). M. Le Prévost d'Iray est en outre pénétré d'un pur amour pour sa patrie. Ce n'est pas qu'il soit ce qu'on appelle patriote; à ses yeux ce titre est une injure. « Il repousse, dit-il, ce dégoûtant patriotisme qu'on a vu se traîner dans la fange, dont il ne lui a pas méme

(1) Les premiers ouvrages de M. Le Prévost d'Iray sont une tragédie républicaine de Manlius Torquatus, quelques vaudevilles, et un assez grand nombre de chansons.

été donné de sortir » (1). Ainsi jadis un autre poëte, non moins distingué, M. le chevalier de Fonvielle, proscrivait les idées libérales, devenues depuis long-temps, selon lui, le synonyme de libertinage (2). M. Le Prévost d'Iray a puisé son amour de la patrie dans la Vendée, dont il n'a fait, il est vrai, aucune campagne, mais à la gloire de laquelle il s'associe, sans péril, en la chantant. M. Le Prévost possède enfin une qualité non moins précieuse que celles que nous avons soigneusement énumérées, un excellent cœur. C'est avec son cœur qu'il a composé le poëme de la Vendée. Toutes les fois que M. Le Prévost prend la plume, son cœur dicte, et il écrit.

D'après l'exposé qui précède, on a pu juger que, bien qu'il se donne pour un écrivain du second ordre, et qu'il ne cite le Tasse que pour mesurer avec respect la distance qui le sépare du poëte italien, M. Le Prévost d'Iray ne doit toutefois être mécontent de son parpas tage. Accuser la nature, serait, de sa part, pure ingratitude; mais ce qui doit faire le plus grand honneur à sa modestie, c'est que, pouvant déployer dans son poëme toute la chaleur de son ame, toute la vivacité de son imagination, pouvant ranimer les feux de sa première jeunesse, il a cependant, par une réserve presque sans exemple, cru devoir ne se montrer qu'à demi. Tandis que tant d'écrivains s'efforcent de se grandir, et regardent effrontément le public en face, M. Le Prévost s'est, pour ainsi dire, rapetissé; il ne s'est fait voir que

(1) Préface, page 1.

(2) Préface de l'ode à la Patrie par le chevalier de Fonvielle,

de

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