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des méchants, des régénérés et des non régénérés. Nous avouons facilement qu'un monde dans lequel les choses se passeraient comme le voulait Origène n'est point impossible il peut même en exister de tels; mais ce n'est pas le nôtre. Nous le savons par les phénomènes surnaturels dont il est rempli, et la raison seule suffirait pour en donner de très-forts soupçons.

semble, sans exception inhérente à l'acte rédempteur, mais avec les exceptions qu'entraîneront les lois naturelles et la liberté des individus, volonté première inhérente à l'acte même de la création. Il en est ainsi dans les combinaisons de la nature. Puisque le gland a pour but de reproduire un chêne, on peut dire que Dieu veut que tout gland devienne chêne; et cependant, par la subordination logique de cette loi à d'autres lois, il y a plus de glands qui pourrissent et meurent dans la forêt qu'il n'y en a qui atteignent leur fin. :

Voici maintenant ce que les théologiens répondent sur le mot de saint Paul en particulier On distingue en Dieu deux volontés qui doivent s'harmoniser la volonté de créateur, qu'on pourrait appeler volonté naturelle, laquelle se réalise par le cours ordinaire des lois de la nature; et la volonté de rédempteur, qu'on peut appeler surnaturelle, et qui se réalise par l'application des grâces de la rédemption. Or, par la première, Dieu veut deux choses que les lois naturelles de ce monde se développent régulièrement, avec toutes leurs exceptions, complications, anomalies; et que l'homme, si ces lois lui permettent d'atteindre l'âge de raison, demeure l'arbitre de son sort. Par la seconde, Dieu ne veut qu'une chose, celle qu'implique le but même de son acte réparateur le salut surnaturel de tous. Mais cette seconde volonté est logiquement subordonnée, dans ses effets, aux effets de la première, et, par conséquent, conditionnelle par son essence même d'intervention en second ordre et de suraddition. En Dieu, la suraddition n'est point un changement d'idée tout se décrète ensemble; mais la subordination de raison et de logique n'en reste pas moins. Si donc il arrive que, par la première volonté, c'est-à-dire par l'effet des lois naturelles, ou par l'effet de la libre détermination de l'individu, la seconde ne puisse obtenir sa fin, c'est à celle-ci de céder, pour que l'harmonie demeure. Or, que peut-il arriver par les enchaînements qui suivent la première volonté! Et qu'arrive-t-il en effet? Il arrive, quant aux enfants, que beaucoup doivent mourir sans. qu'il ait été possible que le moyen de régénération, institué pour tous sans préjudice de l'ordre établi primario par la création, leur soit appliqué: d'où il suit qu'ils ne seront pas régénérés, malgré la seconde volonté prise en soi et indépendamment de sa subordination. Il arrive, quant aux adultes, la même chose, à notre avis, pour ceux que le développement régulier de l'éducation chrétienne laisse à l'écart, ou que des obstacles indépendants de leur volonté, soit intérieurs, soit extérieurs, empêchent de tomber sous les conditions de la régénération. Et quant à ceux qui rejettent librement les avantages que leur offre la volonté du Rédempteur, il arrive enfin qu'en vertu de la subordination de la rédemption à la création, ils se trouvent exclus du salut, malgré que la rédemption leur fût offerte par la seconde volonté, comme à tous les autres. En résumé, Dieu veut sauver tous les hommes, signifie: Le but de la rédemption est le salat de tous en général, le salut de l'en

Cette réponse est excellente; elle consiste simplement à préciser le sens que l'Eglise attache à la proposition: Dieu veut sauver tous les hommes. Mais si l'on fait abstraction de cette phrase en tant qu'adoptée par l'Eglise, et qu'on s'en tienne au texte tel qu'on le lit dans saint Paul, il sera plus facile encore de répondre; car l'Apôtre, en recommandant de prier pour tous, même pour les tyrans, et donnant pour raison de sa recommandation que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité, paraît dire simplement qu'il entre dans le plan de la rédemption, que peu à peu tous arrivent au bercail de l'Eglise, et qu'ainsi l'Eglise s'étende universellement sur la terre par l'instruction de chacun, sans exclusion de personne, instruction qui sera l'effet des prières des uns et des efforts des autres. Lorsque le même Apôtre dit, dans l'Epitre à Tite (11, 11): La grâce de Dieu votre Sauveur s'est montrée à tous les hommes, nous instruisant, etc., entend-il parler de tous les individus qui étaient sur la terre? évidemment non, puisqu'il s'agit de la manifestation extérieure et visible du Sauveur, dont si peu furent témoins; il veut dire seulement que le Sauveur s'est montré de manière que tout homme qui se trouva dans les circonstances favorables put le voir et l'entendre, et que sa parole avait retenti de manière que les échos la répéteraient un jour aux oreilles de tous. Le not tous peut avoir le même sens dans l'autre texte, et ce qu'ajoute l'Apôtre, « que tous parviennent à la connaissance de la vérité » favorise beaucoup cette interprétation. Mais comme l'Eglise s'est emparée du mot: Dieu veut que tous soient sauvés, en le prenant dans le sens du salut particulier et éternel de chacun des individus morts, vivants et à naître, sens qui peut très-bien avoir été dans l'idée de saint Paul en même temps que l'autre, il faut garder la première réponse, aussi bien que la seconde.

Cette première réponse est applicable à l'autre proposition également reçue dans l'Eglise comme de foi dans sa généralité, surtout depuis la condamnation des cinq fameuses propositions de Jansénius, dont la dernière est ainsi conçue : « C'est être demipélagien de dire que Jésus-Christ est mort ou a répandu son sang pour tous les hommes absolument. » Saint Prosper entend

que Jésus-Christ a mérité plus qu'il n'était besoin pour la rédemption du genre humain

tout entier en gros et en détail; qu'il a pris, pour mourir, une nature commune à tous, et enfin qu'il est mort pour le péché, soit originel, soit actuel, cause commune à tous. >> (Resp. ad 1 obj. Vincentianam.) Le concile de Trente a déclaré, en propres termes, que, quoique le Sauveur du monde soit mort pour tous, tous néanmoins ne reçoivent pas le bienfait de sa mort, et que ceux-là seuls le reçoivent à qui le mérite de sa passion est communiqué. (Sess. 6, cap. 3.) Ces explications laissent une large place à notre opinion sur les infidèles; celle de saint Prosper détruit totalement l'objection, et celle du concile de Trente ne la favorise point, puisqu'il n'ajoute pas que le mérite de la passion de Jésus-Christ est communiqué à tous ceux qui n'y mettent pas volontairement des obstacles, ce qu'il ne pouvait dire, au reste, à cause des enfants. Mais on peut dire plus que saint Prosper sans inconvénient.

Il y avait dans Jésus-Christ la volonté divine et la volonté humaine; quant à la première, on peut dire que l'acte libre par lequel Dieu se détermine à la rédemption, a pour objet formel tous les individus comme nous l'avons expliqué, sans aucune exception, mais avec subordination aux nécessités de l'ordre antérieurement fondé, ainsi qu'aux exigences de l'harmonie des destinées futures. Quant à la seconde, on distingue la volonté de nature, qui est un mouvement naturel de bonté, et la volonté de raison; or Jésus comme homme parfait n'a pu concevoir que le désir sincère de voir tous les hommes participer un jour à sa félicité et à sa gloire, et a, dans ce sens, fait l'offrande de să mort pour tous sans aucune exception. En a-t-il été de même de la volonté raisonnée, définitive, de réflexion, analogue à celle par la quelle après avoir dit: Mon Père! éloignez de moi ce calice, il ajouta Que votre volonté soit faite et non la mienne. (Matth. XXVI, 39.) Vasquez a soutenu, sans qu'on l'ait taxé d'hérésie, que, par raison, Jésus n'eut pas la volonté de faire, sans restriction des obstacles, l'offrande de sa mort pour les enfants qui meurent sans baptême; nous sommes de son avis; voyez au mot VIE ÉTERNELLE les motifs d'harmonie universelle qui purent peut-être porter Jésus-Christ comme homme, à cette détermination négative de raison froide et réfléchie.

:

En ce qui regarde les infidèles adultes qui meurent dans l'infidélité, l'auteur du Livre des trois épîtres (cap. 20), dit que c'est une pieuse pensée de croire que le Christ a voulu, par décision réfléchie et définitive, au moment de sa mort, leur salut surnaturel à tous, mais que ce n'est point un dogme de foi; non-seulement nous sommes de cet avis, mais nous croyons encore que les mêmes raisons d'harmonie, dont nous venons de parler à l'égard des enfants, ont pu déteriminer la haute sagesse du Christ, en tant qu'homme, à ne point offrir son sacrifice pour ceux-là, bien que l'acte de la rédemption ne fût point restreint, comme nous l'avons dit, à tel ou tel, mais fût décrété en

généralité humanitaire. Il y a peut-être, dans la grande prière du Christ au gethsemani, et ailleurs, des paroles d'où l'on pourrait le déduire. Quant à tous ceux, enfants ou adultes, qui parviennent à la régénération, il est de'foi, comme le décide Bossuet (Justification des réflexions morales sur le Nouv. Test. § 25, p. 99) que Jésus-Christ a fait l'offrande de sa passion et de sa mort pour eux tous, sans aucune exception, sauf les oppositions indépendantes de sa propre volonté humaine.

Nous manifestions, au commencement de l'article sur la grâce et la liberté, dont celuici n'est qu'une suite, la crainte que des esprits inconsidérés ne nous accusent de semipelagianisme, et, en ce moment, peur nous vient que ces mêmes esprits ne nous suspectent de jansénisme; cette accusation ne serait pas mieux fondée que la première. Pour être janséniste; il faut exagérer les ravages de la déchéance, dire que l'homme n'a plus pour partage, de toute nécessité, sans la grâce surnaturelle, que le crime et le malheur; que Dieu refuse cette grâce à beaucoup, ne l'accorde même qu'à un petit nombre de prédestinés, et qu'en conséquence, tous ceux qui ignorent la rédemption sont, par nécessité, des criminels voués à d'éternels tourments. Or c'est précisément pour éviter de pareilles conséquences, et, en même temps, pour ne point incliner au pélagianisme, que nous avons eu recours à notre théorie. Si l'on dit, en effet, que tous les hommes sans exception reçoivent la grâce suffisante pour arriver à la régénération, on se trouve entre deux conséquences, dont l'une est analogue à celle des jansénistes, et l'autre analogue à celle des semi-pélagiens, bien que le principe ne soit ni janséniste ni semi-pélagien; car, il faudra dire, ou que ces multitudes d'infidèles, qui n'arrivent pas à la connaissance de la vérité, sont des criminels qui résistent à la grâce et encourent la vraie damnation, résultat qui ne diffère point de celui qu'entraînent les principes jansenistes; ou qu'on peut se sauver, dans l'infidélité la plus ténébreuse, aussi bien que dans le christianisme, sans le baptême, avec la foi la moins développée et une conduite conforme à la conscience, résultat semblable à celui de la doctrine semi-pélagienne et même pélagienne. Nous évitons ces deux conséquences en disant qu'il y en a beaucoup, dans les ténèbres de l'ignorance, auxquels Dieu n'ac corde pas plus les grâces surnaturelles qu'il ne les accorde aux enfants qui meurent saus baptême; qui, par suite de ce manque de grâces, ne sont point coupables de leur per sistance dans l'infidélité, peuvent agir, d'ail leurs, selon leur conscience, et mériter un ciel naturel dans le dam même, ou privation de la gloire chrétienne, qui incombe, par suite des lois de notre monde, à l'état de dé chéance.

C'est ainsi qu'on arrive facilement à accor der la théologie avec l'étude rationnelle de la nature humaine et l'observation des faits, aussi bien qu'avec l'idée philosophique de

l'Etre infini, qui distribue ses faveurs avec une variété sans mesure, sans cesser d'être bon et juste à l'égard de tous. Voy. PRESCIENCE ET PRÉDESTINATION, etc. INFAILLIBILITE (L') DANS L'ORDRE NATUREL ET DANS L'ORDRE SURNATUREL (11 part., art. 19). Nous en disons assez au mot Eglise. pour justifier, devant la raison, ce que la catholicité croit et enseigne sur son infaillibilité; nous ne faisons cet article que pour émettre une pensée de conciliation, qui nous paraît très-simple, entre les deux écoles ultramontaine et gallicane, sur la question de l'infaillibilité du chef de l'Eglise en particulier. Nous ne voulons pas recourir aux distinctions subtiles de Fénelon sur l'ex cathedra; nous réduisons le problème à des termes beaucoup plus grossiers et qui nous semblent plus raisonnables. Nous disons: Ou la personne individuelle du Pape considérée seule est infaillible en matière de foi, dès qu'elle parle avec l'autorité de chef de l'Eglise, s'adressant à l'Eglise au nom de l'Eglise; et, dans ce cas, ce sont les ultramontains les plus carrés, ceux qui le sont un peu plus encore que ne l'est Bellarmin, qui ont raison. Ou elle ne l'est jamais soit qu'elle parle seule, soit qu'elle parle avec assistance de son conseil, soit qu'elle parle avec assistance de son Eglise particulière, soit qu'elle ait ordonné des prières universellement,soit qu'elle n'en ait pas ordonné à l'occasion de la décision qu'elle doit porter, etc., etc. Et, alors, ce sont les gallicans les plus carrés qui ont raison. Mais nous ajoutons que ces deux extrêmes sont parfaitement conciliables, sans que chacun cède rien à l'autre de ce qu'il présente d'affirmatif; le problème paraît insoluble, que le lecteur en soit juge. Mais avant d'émettre notre idée, il convient de justifier le titre en disant quelques mots des ceux infaillibilités, naturelle et surna turelle.

I. Il y a certainement une infaillibilité naturelle qui se manifeste sans cesse et qui est le nœud de notre monde moral. Elle règne dans l'ordre physique en tant que dé clarative des faits; dans l'ordre intellectuel en tant que déclarative des axiomes et de leurs déductions évidentes; dans l'ordre moral, en tant que déclarative des obligations résultant de la nature ou des contracts libres. Supposez une grande réunion d'hommes sains de corps et d'esprit, voyant, entendant, palpant avec clarté un grand phénomène physique à leur portée, se disant les uns aux autres ce qu'ils voient, entendent, palpent, et se trouvant d'accord sur le résultat de leur observation, il ne viendra dans l'esprit d'aucun d'eux de soupçonner d'erreur une telle unanimité, et ils la regarderont tous comme absolument infaillible. Qu'on leur fasse des arguments pour leur démontrer que le miracle qui tromperait leurs sens est possible; ils ne nieront point, s'ils sont raisonnables, cette possibilité métaphysiquement parlant, mais ils n'en croiront pas moins, quant au fait présent, que leur observation est infaillible et se con

duiront en conséquence, Ils auront raison, c'est une véritable infaillibilité sauf la condition du miracle, et s'il vient s'ajouter des considérations importantes qui obligent Dieu même, au jugement de leur bon sens, à s'abstenir, dans la circonstance, de ce miracle trompeur, sous peine de manquer de véracité, ils jouiront d'une infaillibilité absolue. Qu'on ne fasse point ici la ridicule. objection qui repose sur la distinction de la, certitude dans tel ou tel cas, et de l'infaillibilité qui est une prérogative générale; car d'une certitude particulière on passe immédiatement à la prérogative pour tous les cas semblables, comme d'une démonstration géométrique sur une figure en particulier, on passe à la généralité de la démonstration et de la propriété qui en résulte pour toutes les figures pareilles. Il y a mieux; l'infaillibilité est la cause essentielle de la certitude pour les cas qui tombent sous les conditions constitutives de cette infaillibilité; s'il n'était pas certain a priori que la grande réunion d'hommes que nous avons supposée fût infaillible dans toutes les circonstances semblables à celle où le témoignage de ses yeux et de ses oreilles est marqué du sceau, de la certitude, il y aurait contradiction à affirmer cette certitude dans le cas particulier, comme il y aurait contradiction à affir-. mer une propriété d'un triangle tracé sur un tableau, s'il n'était pas certain auparavant. que toutes les figures semblables à celle-là en sont douées. Certitude implique donc infaillibilité daus tous les cas semblables. On objectera peut-être encore que cette infaillibilité est sous condition, et qu'une telle infaillibilité n'en est pas une; oui, sous condition des cas semblables; mais il n'existe dans les créatures aucune infaillibilité naturelle ou surnaturelle qui ne soit soumise à la même condition, parce que celle qui n'y serait pas soumise ne pourrait être que l'infaillibilité de Dieu même. Nous en ferons l'observation un peu plus loin en prenant. pour point de comparaison l'Ecriture sainte et l'Eglise.

Il en est des vérités métaphysiques comme des vérités physiques. Ce ne sont pas les sens qui les observent, ce sont les yeux de l'âme qui les lisent sur le livre des choses éternelles, qui est l'intelligence même de Dieu, quand il plaît à Dieu d'en ouvrir devant eux quelques pages; mais ces yeux intellectuels les voient et les saisissent comme ceux du corps les images corporelles, et il est des circonstances où leur vision n'est pas moins infaillible. Quand toutes les raisons dont se compose l'humanité aperçoivent clairement quelqu'une de ces vérités, la découvrent dans sa splendeur, et de manière à la juger si simple, si nécessaire, si absolue, si évidente, que toutes déclarent à la fois l'impossibilité qu'elle ne soit pas comme elles la voient, ainsi que cela a lieu pour les axiomes de géométrie, de philosophie, de morale, il y a certitude complète, et par suite, infaillibilité générale dans la vision intellectuelle de toutes les vérités semb.ables et

semblablement perçues. La certitude n'est pas plus grande qu'elle ne l'est dans l'exemple précédent avec l'hypothèse de l'absence de iniracle, mais il n'est pas besoin, dans celleci, de cette hypothèse, parce qu'on voit, en même temps, que le miracle trompeur est impossible, la vision étant immédiate et impliquant la nécessité absolue qu'il en soit ainsi. Quand je conçois qu'il ne se peut pas qu'un être soit sans être, je suis absolument certain qu'il ne peut arriver par aucun miracle que l'objet de mon idée soit autrement que je le vois.

De même encore des obligations naturelles ou contractées. Le genre humain s'accorde tout entier à reconnaître que c'est un désordre intérieur d'agir contre sa conscience, et il est infaillible dans la proclamation de cette vérité morale; il s'accorde à reconnaître que celui qui s'est engagé par une promesse qu'il avait droit de contracter, qu'il peut accomplir, et qu'il n'a aucune raison de ne pas accomplir, est obligé, sous peine de crime, à l'accomplir; et il est également infaillible dans ce jugement, pour les mêmes raisons que nous avons apportées à l'égard des vérités métaphysiques, parce que celles-ci, reposant sur des vérités simples de la même espèce, sont elles-mêmes des vérités de la même espèce.

Ce que nous avons dit de ces infaillibilités naturelles, lorsqu'elles ont pour sujet un grand nombre d'individus, doit se dire de chaque individu en particulier. Il est évident que chacun n'a nullement besoin du témoignagne des autres pour affirmer, sans aucune crainte d'erreur, des vérités comme celles que nous avons citées en exemple, lorsqu'elles se trouvent dans toutes les conditions de l'évidence. Voilà donc l'infaillibilité de la collection qui devient celle de chacun, et qui ne cesse pas d'être aussi complète, aussi absolue, pour tous les cas où sont présentes les conditions qui la constituent dans chacun des cas particuliers.

C'est ainsi qu'il est impossible de ne pas reconnaître des infaillibilités naturelles; ce sont les dons de Dieu, par lesquels nous sommes ses images, et sans lesquels nous ne serions pas des êtres intelligents.

II. Or, si nous trouvons des infaillibilités dans notre nature, pourquoi donc JésusChrist n'en aurait-il pas introduit d'autres dans la société humaine, d'autres ayant pour but de nous donner des certitudes d'un ordre différent auxquelles les premières ne pouvaient nous élever? C'est ce qu'il a fait en nous donnant l'Ecriture sainte et l'Eglise; ce sont deux infaillibilités permanentes destinées à nous guider dans la voie supérieure des vérités religieuses et surnaturelles. Loin d'être établies à l'encontre des infaillibilités naturelles, ce sont celles-ci qui présentent leurs titres de créance, et sont chargées de les conserver, de sorte que s'attaquer à celles de la nature, c'est porter le coup de mort à celles de la grâce. Si les premières sont douteuses, que deviennent les faits historiques sur lesquels est fondée la certitude

des secondes? Que deviennent les axiomes et les déductions par lesquelles on établit leur existence et leur compétence? Si, par exemple, l'infaillibilité des yeux et des oreilles d'une multitude, pour constater un fait matériel, est revoquée en doute, la certitude que nous pouvons avoir des faits divins qui ont servi de preuve à Jésus-Christ pour établir, devant les hommes, sa mission, et à l'Eglise pour montrer qu'elle tenait de lui la sienne, devient absolument nulle, puisqu elle le devient pour ceux-là même qui ont vu et entendu, et de qui nous tenons les faits dont il s'agit; or, cette certitude ébranlée, l'infaillibilité de l'Eglise n'existe plus, puisque sa mission surnaturelle, remontant à Dieu par le Christ et dans le Christ, n'a plus de bases capables de convaincre celui qui raisonne juste.

L'infaillibilité naturelle est donc la condition essentielle de l'infaillibilité surnaturelle relativement à nous, et, d'un autre côté, dès qu'elle est admise, cette seconde infaillibilite s'échafaude avec une solidité à toute épreuve sur la série des certitudes et des déductions logiques que fournit la première, comme on peut le voir en étudiant les Traités de la religion et de l'Eglise de la théologie chrétienne.

Si nous considérons les infaillibilités surnaturelles de l'Ecriture et de l'Eglise, nous trouvons qu'elles sont limitées, comme celles de la nature et toutes les manifestations de Dieu dans l'homme, à ce que nous avons appelé la catégorie des similitudes. Et, d'abord, cela est nécessaire a priori; supposons que Dieu veuille communiquer à un homme ou à un conseil une infaillibilite qui soit la plus étendue possible, il faudra. par nécessité absolue, qu'il la renferme encore dans la nature bornée de cet homme ou de ce conseil, car il ne saurait mettre dans le fini la science infinie, en d'autres termes créer son égal en intelligence. Ce qui pourra faire de plus merveilleux, de jus absolu, sera de dire à son représentant : T seras infaillible dans tout ce qui sortira d ta bouche. Or, quelque générale que soil cette promesse ou collation de priviléges elle est bornée à la catégorie des choses qu seront enseignées par l'autorité dont i s'agit, et celles qui seront en dehors n se rapporteront point à son infaillibilite Mais Dieu n'a concédé à aucune autorile humaine, parole ou écriture, ce privile dans des termes aussi généraux; il ne l' pas fait dans l'ordre naturel, c'est ce qu résulte de ce que nous avons dit; l'infailli bilité naturelle des individus ou des collec tions d'individus, est sujette à des condi tions qui établissent des catégories de cas semblables, et l'impossibilité d'erreur n lieu que dans le cercle circonscrit par ce conditions. Il ne l'a pas fait, non plus, dans l'ordre surnaturel; les deux seules infaillit lités de cet ordre, établies dans le monde d'une manière fixe et durable, sont l'Ec ture sainte et l'Eglise. Or, il serait faux dire que nos livres sacrés, tels que nous l

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DES HARMONIES.

possédons, soient tellement infaillibles qu'il ne puisse s'y trouver la moindre erreur sur aucune matière; il y a à s'assurer de la fidélité des traductions et des copies; il faut distinguer ce qui y est enseigné au nom de Dieu même ou simplement au nom de tel ou tel dont on fait l'histoire, distinction qui n'est pas toujours facile; il y a à s'assurer du vrai sens, chose plus difficile encore; il y a enfin à considérer si telle ou telle pensée entre dans le but de la révélation, ou n'est qu'un accessoire explicatif et utile pour l'époque de la composition, soit par suite du génie de la langue originale, soit par suite des croyances populaires de cette époque (Voy. ECRITURE SAINTE). Quant à l'Eglise, le cercle de l'infaillibilité est tracé par la théologie d'une manière beaucoup plus positive; il n'est entré dans l'esprit d'aucun Chrétien, docte et intelligent, d'avancer que cette infaillibilité s'étende à toutes les matières qui puissent être l'objet de l'enseignement extérieur ecclésiastique, ni à tous les modes de cet enseignement. Il y a des conditions d'infaillibilité sous les deux rapports; tous les théologiens exceptent, par exemple, les sciences naturelles et les faits étrangers au dépôt doctrinal évangélique, des objets de l'infaillibilité de l'Eglise; et, des modes de décision qui emportent infaillibilité, tous ceux qui ne sont point expressifs et représentatifs de la foi universelle. Voy. EGLISE.-Il est donc vrai que les deux infaillibilités surnaturelles ne se dilatent, comme les infaillibilités naturelles, que dans des catégories données de cas semblables qu'il faut connaître et qui

sont connues.

Il suit de ces principes très-clairs, trèsraisonnables et conformes à ce qui se passe devant nous, chaque jour, dans les deux ordres, que toute infaillibilité donnée à la créature a son objet propre au delà duquel cesse sa compétence, et que cet objet est toujours en rapport parfait avec l'institution, la nature, l'essence, le but de l'infaillibilité elle-même. C'est de là que nous allons partir pour concilier l'ultramontanisme et le gallicanisme sur l'infaillibilité particulière du chef de l'Eglise.

III. Toute infaillibilité religieuse surnaturelle a pour objet le dogme; car il ne s'agit point ici de la souveraineté qui porte des lois. Or, qu'est-ce qu'un dogme?

Ce mot, prís comme exprimant une vérité en soi, ne peut signifier quelque chose qui change, qui devient par la suite des temps autre que ce n'était. Nulle puissance ne peut faire des vérités nouvelles; Dieu lui-même n'en fait pas, bien qu'il fasse des créatures qui n'étaient pas avant qu'il les fit; car faire une créature, ce n'est pas réaliser une vérité qui n'existait en aucune manière, uniquement faire une expression, une copie substantielle d'une vérité existant éternellement en Dieu, à l'état d'idée, en sorte, comme l'observe Platon, que, quoique la créature soit réellement existante dans sa limite propre, supporte ses attributs, et se

c'est

INF

distingue de celui qui l'a faite, aussitôt qu'elle est créée, ce n'est cependant pas elle qui est la grande vérité ayant le plus d'être, mais bien l'idée éternelle dont elle est la copie. Une créature n'est donc pas une vérité nouvelle dans la durée divine; la vérité de cette créature était éternelle avant la créature; elle reposait dans la raison de Dieu avec toutes les vérités possibles, à l'état de type et d'original tellement invariable que la copie n'y change rien. Or, si Dieu lui-même ne crée pas des vérités, qui en créera parmi nous ? Aussi est-ce une réflexion que la théologie a toujours soin de présenter à propos des dogmes que l'Eglise déclare; elle dit qu'il ne se fait aucuns dogmes nouveaux.

Mais, si toutes les vérités sont éternellement en Dieu à l'état de pensée ou de Verbe intérieur, il n'en est pas de même de la créature et en particulier du genre humain. Nous ne connaissons qu'un très-petit nombre de vérités, et nous sommes susceptibles de progresser dans cette connaissance. Il est vrai que, si l'on parle de connaissance implicite, nous les connaissons toutes en connaissant une seule d'entre elles; car elles sont toutes impliquées les unes dans les autres par un admirable enchaînement que Dieu voit avec plus de clarté que nous ne voyons les rapports des membres d'une famille composés d'ascendants et de descendants, lorsque cette famille est sous nos yeux. Ainsi, par conséquent, nous pouvons dire, dès que nous avons la connaissance certaine d'une seule vérité, que nous les voyons toutes implicitement par les relations de parenté que toutes les autres ont avec celle-là; de même quand nous croyons en Dieu, nous pouvons dire que nous croyons, implicitement, en tout ce qui est vrai, puisque toute vérité est en lui. Mais il y a loin de cette connaissance implicite à la connaissance explicite qui est la seule dont il s'agit quand nous disons que notre connaissance est limitée, et par là même, susceptible d'accroissement. Revenons au mot dogme; si nous voulons entendre par ce mot non pas la vérité en elle-même, mais la certitude de cette vérité, nous pourrons dire qu'il peut se former chez vous des dogmes nouveaux, en ce sens que des vérités qui n'étaient connues et crues qu'implicitement, c'est-à-dire ignorées, peuvent devenir connues et vues explicitement; ou encore dans ce sens que des vérités qu'on soupçonnait, mais qui étaient douteuses, peuvent devenir certaines, par l'épanouissement, à nos regards, d'une liaison, que nous n'avions pas encore aperçue, avec un principe certain.

Ce phénomène de connaissance, de certitude et de foi explicite se passe dans l'Eglise. Depuis qu'elle existe on voit des points s'éclairer par le temps et la discussion, rester douteux pendant des siècles et finir par passer à l'état de certitude surnaturelle, ou de dogme de foi.

Or, c'est précisément dans ce développe

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