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ASSEMBLÉE

ASSEMBLEE NATIONALE

SEANCE DU JEUDI 21 MAI 1874

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SOMMAIRE. Procès-verbal: M. Flaud. Discussion sur la prise en considération de la proposition de MM. de Lavergne et autres, relative à la nomination d'une commission chargée de faire une enquête sur la situation de l'Algérie et de préparer un projet de loi sur le régime de cette colonie: MM. Alexis Lambert, Vandier, rapporteur, Crémieux. Adoption. = Prise en considération de la proposition de MM. Crémieux, Warnier (Alger), Lucet, Colas, Jacques et Lambert, relative au régime légal de l'Algérie. Présentation, par M. le sous-secrétaire d'Etat, au nom du ministre de l'intérieur, d'un projet de loi relatif au budget revisé des dépenses du gouvernement général civil de l'Algérie pour l'exercice 1875. = 1 délibération sur le projet de loi relatif aux récompenses à décerner à l'occasion de l'Exposition de Vienne en 1873 MM. le ministre de l'agriculture et du commerce, le comte de Melun, rapporteur. Décision prise par l'Assemblée qu'elle passera à une 2o délibération. Discussion de la proposition de M. Delacour et de plusieurs de ses collègues sur les haras et les remontes: M. Delacour. - Renvoi de la discussion à mardi prochain. = 1" délibération sur la proposition de loi de M. des Rotours, ayant pour objet de déclarer Français et d'assujettir à l'obligation du recrutement les individus d'origine étrangère nés en France, qui ne satisfont pas dans leur pays d'origine aux charges du service militaire : MM. Humbert, des Rotours. Renvoi de la proposition au conseil d'Etat. Suite de la discussion du projet de loi tendant à la déclaration d'utilité publique et à la concession d'un canal d'irrigation dérivé de la rivière de la Bourne, dans le département de la Drôme. Article 2 M. Caillaux, rapporteur. Adoption. Adoption de l'ensemble du projet. Suite de la 2 délibération sur les propositions relatives à la magistrature: M. Bigot. Ajournement. 1re délibération sur le projet de loi portant prorogation du privilège des banques coloniales et des statuts desdites banques. Décision prise par l'Assemblée qu'elle passera à une 2o délibération. = Discussion du projet de loi portant ouverture, sur l'exercice 1874, au ministre de l'instruction publique, des cultes et des beaux-arts, d'un crédit supplémentaire de 12,000 fr. pour le rétablissement de la commission d'examen des ouvrages dramatiques. Ajournement. Adoption, au scrutin, du projet de loi portant annulation et ouverture de crédits au ministre des finances sur l'exercice 1874. Présentation, par M. le ministre de la marine et des colonies, d'un projet de loi ayant pour objet de modifier, tant en recettes qu'en dépenses, sans excédant ni déficit, les chiffres du budget de la caisse des invalides de la marine pour 1873 et 1874. = 1e délibération sur le projet de loi relatif à l'achèvement du chemin de fer de Perpignan à Prades: MM. Caillaux, rapporteur, Ducarre. - Déclaration d'urgence. Adoption du projet de loi. = Adoption, au scrutin, du projet de loi portant ouverture au ministre de la marine et des colonies, sur l'exercice 1874, de crédits supplémentaires moutant à la somme de 1,195,106 fr. = Proposition de M. Clapier, relative à l'interprétation de l'article 59 du règlement de l'Assemblée nationale: M. Clapier. Ajournement. 1r délibération sur les propositions de MM. Le Royer, Gatien-Arnoult, Vente, Lallié, Fourcand et Amat, relatives à la création de facultés de médecine à Lyon, Toulouse, Lille, Nantes, Bordeaux et Marseille MM. Bouisson, Emmanuel Arago, Albert Desjardins, sous-secrétaire d'Etat de l'instruction publique et des cultes. Ajournement à quinzaine.

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PRÉSIDENCE de M. buffet,

La séance est ouverte à deux heures et demie.

M. le vicomte Blin de Bourdon, l'un des secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

M. le président. La parole est à M. Flaud sur le procès-verbal.

M. Flaud. J'étais momentanément absent hier, lorsque l'Assemblée a voté la loi sur le service religieux dans l'armée; je tiens à déclarer que, si j'avais été présent, j'aurais voté

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pour la loi, comme je l'ai fait lors des deux premières délibérations.

M. le président. Il n'y a pas d'autres observations sur le procès-verbal?... Le procès-verbal est adopté.

L'ordre du jour appelle la discussion sur la prise en considération de la proposition de M. de Lavergne et de plusieurs de ses collègues, relative à la nomination d'une commission chargée de faire une enquête sur la situation de l'Algérie et de préparer un projet de loi sur le régime de cette colonie.

La commission d'initiative conclut à la prise en considération.

M. Lambert a demandé la parole contre les conclusions de la commission,

M. Alexis Lambert. Messieurs, je ne crois pas que, dans les conditions où se trouve l'Assemblée, le moment soit bien opportun de soulever devant elle les graves problèmes que comporte l'organisation générale de l'Algérie.

Il n'a pas dépendu de nous que cette discussion ne vint dans un moment où, la tête plus réposée, et après avoir accompli des œuvres plus indispensables, vous puissiez vous livrer sincèrement, loyalement, à l'étude de toutes les questions qui intéressent cette portion de la France à laquelle, évidemment, vous portez tous, messieurs, la plus grande sollicitude.

M. Balsan. Il ne s'agit que d'une prise en considération.

M. Alexis Lambert. En effet, il ne s'agit que d'une prise en considération; mais la nature même des propositions qui vous sont soumises implique un ordre de choses tout nou veau, qui intéresse vivement l'Algérie et qui m'oblige à développer ici ma pensée sur la proposition en discussion et sur celle qui la suit.

Il y a sur l'ordre du jour, et par un fait indépendant de la volonté de l'Assemblée, une interversion dans les propositions qui sont en

cause.

elle obtiendrait notre approbation ou notre improbation, nous avons exprimé le vœu que désormais il ne soit plus touché à l'organisation générale du pays que nous représentions, autrement que par des lois délibérées au sein de l'Assemblée nationale, et non plus par des mesures prises dans un bureau ou dans un cabinet, sous forme d'un décret dépourvu de toute autorité, alors, surtout que le conseil d'Etat n'avait pas été rétabli et n'en avait pas élaboré les éléments.

Notre proposition n'a pas été favorablement accueillie par la commission d'initiative; le rapport de M. le comte d'Harcourt nous explique pourquoi. Permettez-moi de vous le rappeler. M. le comte d'Harcourt a cru que les députés de l'Algérie se proposaient de glorifier purement et simplement les décrets de la Défense nationale, qu'ils voulaient, pour ainsi dire, faire un Credo des décrets rendus par l'honorable M. Crémieux, et comme nons n'avions pas d'autre but, tel était le sentiment du rapporteur, il a conclu au rejet de notre proposition.

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Eh bien, M. le comte d'Harcourt a été complétement dans l'erreur; j'ai essayé un moment de la dissiper dans son esprit et dans l'esprit de la commission d'initiative en faisant distribuer une note dans laquelle nous fournissions les explications les plus entières à cet égard.

Et, en effet, est-ce que vous supposez que l'Algérie, que les habitants et les députés de l'Algérie veulent faire croire à l'Assemblée nationale et au pays que l'Algérie est venue au monde le 4 septembre? Est-ce que son exis

La question est née, il y a un an, au momoment où le général Chanzy venait d'être nommé, par un décret du Président de la République, gouverneur général de l'Algérie. Cetence ne remonte pas au delà? décret modifiait assez sensiblement la situation légale du pays et réunissait dans une seule main les attributions civiles et militaires qui précédemment avaient été réparties entre deux fonctionnaires. (Bruit de conversations).

Messieurs, ce n'est pas l'Algérie qui a sollicité cette discussion, ce sont les membres de la majorité qui ont déposé une proposition de constitution que ne demandait pas l'Algérie...

Si vous voulez constituer l'Algérie et si telle est l'intention des membres de la majorité d'où est issue la proposition de MM. le comte d'Harcourt, de Lavergne et plusieurs autres de nos collègues, que les membres de cette majorité veuillent bien écouter l'orateur!

Quelques membres. Où est la majorité?

M. Crémieux. Il n'y a pas de majorité ! (S'adressant à l'orateur.) C'est vous, la majorité !

M. Alexis Lambert. Messieurs, je disais que les deux propositions qui sont à l'ordre du jour ont été interverties, mais qu'elles sont connexes et qu'elles touchent toutes les deux au régime légal de l'Algérie. Bien qu'elles ne soient que l'objet d'une prise en considération, elles doivent être discutées simultané. ment. Je n'ai pas l'intention de vous retenir longtemps; mais je dois vous faire connaître ce que nous pensons de la proposition générale qui a été apportée ici par M. le comte d'Harcourt.

Je rappelais tout à l'heure qu'au moment où M. le général Chanzy a été nommé gouverneur général de l'Algérie, sans vouloir faire opposition à ce choix, sans vouloir d'avance préjuger quelle serait sa politique, si

Nous n'avons pas oublié, messieurs que l'Algérie a été conquise en 1830, par la dynastie des Bourbons; c'est le drapeau blanc qui a flotté sur les cimes de la Casbah, et nous respectons ce drapeau pour le service qu'il a rendu à la France d'avoir purgé de la piraterie la Méditerranée et de nous avoir donné une conquête qui fait aujourd'hui une heureuse compensation aux pertes cruelles subies dans la dernière guerre.

Non, messieurs, nous ne répudions rien du passé. C'est sous la monarchie de Juillet que nous avons été dotés en Algérie des institutions municipales et c'est à M. le duc d'Aumale que nous sommes redevables de la constitution de la propriété communale, de l'organisation des budgets municipaux, de l'autonomie communale, et nous ne l'avons pas oublié ; c'est également à M. de Chasseloup-Laubat, ministre de l'empereur, ainsi qu'au prince Napoléon que nous avons dù l'organisation départementale; c'est au Corps législatif de 1870 que nous avons été redevables de cette déclaration solennelle faite dans la séance du 9 mars, que l'Algérie désormais ne serait plus régie par des décrets, qu'elle cesserait de dépendre de la juridiction du Sénat, qu'elle appartiendrait à la juridiction du Corps législatif et que le régime civil était le trait d'union nécessaire entre les indigènes et les Européens.

Voilà donc des régimes différents dont certains actes nous apparaissent comme la clef de voûte de l'édifice national que la France a élevé en Algérie. Et quand nous avons demandé qu'il ne soit plus fait de décrets contre ces institutions que nous devions à tous les régi

ne

mes depuis 1830, ce n'était pas seulement parce que nous visions les décrets du 4 septembre ni les décrets qui ont été rendus en 1870 et 1871; non, mais nous ne voulions pas qu'on pût démolir, à coups de décrets, l'organisation municipale de 1847, accordée par le gouvernement de Louis-Philippe; nous voulions pas non plus qu'on en fit pour sup primer les conseils généraux qui avaient été institués par le prince Napoléon, en 1859, et par M. de Chasseloup-Laubat en 1860, pas plus que nous ne voulons qu'on touche à la députation algérienne, que nous devons à la République de 1848 et aussi à cette République qui est encore aujourd'hui l'étiquette du Gouvernement que nous aurons peut-être tout à l'heure.

Voilà pourquoi nous demandons qu'il ne soit plus fait de décrets sur les matières organiques. Nous ne sommes pas des sujets, nous sommes des citoyens comme vous, et, si l'on doit légiférer sur l'Algérie, si l'on doit modifier ses institutions, il faut que ce soit l'Assemblée nationale qui discute les modifications à introduire; il faut que la discussion soit publique et que les conseils généraux de l'Algérie puissent vous faire entendre leurs vœux par notre intermédiaire.

Ce n'est donc pas une œuvre de parti que nous avons faite, quand nous vous avons priés de réserver votre droit de légiférer en ce qui concerne les citoyens de l'Algérie, comme en ce qui concerne les autres citoyens français.

Il est si vrai, messieurs, que nous ne faisons pas une œuvre de parti, que M. Beulé est venu déclarer à cette tribune, en juin 1873, qu'il consentait à ne plus faire de décrets sur l'Algérie; cela est si vrai que M. de Broglie, l'honorable vice-président du conseil, dans la commission de permanence de la précédente prorogation, a déclaré à propos du jury algérien qu'il ne voulait pas supprimer ce jury par un décret, qu'il ne voulait pas même le modifier par un décret ». M. Beulé en avait pris l'engagement solennel, et M. le vice-président du conseil tenait à honneur de le respecter; et il l'a respecté en effet.

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Je n'ai pas de Gouvernement devant moi; je ne puis lui demander s'il se conformera à l'engagement pris par M. Beulé et par l'exvice-président du conseil; mais je ne doute pas que les déclarations de ces deux ministres ne soient maintenues par les successeurs qui seront donnés au dernier cabinet. Je n'en doute pas, les déclarations des ministres nouveaux, que nous attendons, seront conformes aux déclarations antérieures et confirmeront à l'Algérie son droit indéniable de se réclamer du pouvoir législatif dans toutes les matières qui sont de son ressort.

Voilà ce que j'avais à dire sur le point qui avait provoqué la première proposition soumise à votre commission par M. le comte d'Harcourt et ses amis, et qui vient la première à l'ordre du jour.

Cette proposition ne me paraît pas aussi facile à soutenir que la précédente. Je erois qu'elle est superflue et inopportune, et je vais le prouver en quelques mots. Je vous prie d'en remarquer les termes : « Une commission de vingt membres, nommée par l'Assemblée nationale au scrutin de liste, sera chargée de

faire une enquête sur la situation de l'Algérie et de préparer un projet de loi sur le régime de cette colonie. »>

Nous sommes une colonie, paraît-il, je n'en savais rien; cela n'a jamais été inscrit dans un acte constitutionnel.

M. le rapporteur Vandier va plus loin. II prononce un mot qui est gros de difficultés. Le voici :

« Les signataires de la proposition poursuivent encore un but, celui de doter enfin l'Algérie d'une constitution adaptée à sa situation particulière et à ses mœurs, d'une organisation politique qui, sans relâcher le lien nécessaire entre l'Algérie et la métropole, ait cependant assez de flexibilité pour répondre aux exigences diverses du gouvernement de populations aussi variées d'habitudes, de religions, d'origine que celles qui vivent en ce moment sur son territoire.

« Certes, une pareille œuvre est de la plus grave difficulté. Elle doit réunir deux conditions qui semblent presque incompatibles : l'unité et la variété. »

Une Assemblée ne peut donner que ce qu'elle a... (Rires à gauche.) Si vous voulez joindre en Algérie l'unité à la variété, vous avez la variété, mais vous serez bien forcés d'attendre que vous ayez l'unité pour nous donner ce qu'on appelle ici une constitution. Nous n'avons pas besoin d'une constitution; ce mot implique un ensemble de lois, de règlements administratifs, une organisation générale, qui nous isolerait peut-être de la nation et qui livrerait carrière à toutes les imaginations des membres de la commission qui serait nommée. Ce n'est pas là qu'en est l'Algérie. Il fallait demander une Constitution pour l'Algérie en 1834 ou 1845, c'est possible; mais aujourd'hui je trouve que le terme est impropre et que la chose pourrait être désas

treuse.

Dans tous les cas, je continue l'examen de ce texte, qui est court, mais qui est plein de dangers pour nous, pour les amis de l'Algérie et pour la portion de cette Assemblée à laquelle j'appartiens. (Bruit de conversations.)

Et en effet, on propose de nommer quoi? Une commission d'enquête. Eh! messieurs, vous avez nommé beaucoup de commissions d'enquête. Que fera-t-elle, cette commission d'enquête de vingt membres? Si elle reste dans le cabinet, elle ne coûtera pas trop cher au pays. J'entends souvent parler d'économies; mais, si cette commission d'enquête, composée de vingt membres, se donne une dizaine de secrétaires et se transporte dans un pays comme l'Algérie, qui est aussi grand que la France, et y circule de ville en ville, de village en village, pour y puiser les informations nécessaires à l'accomplissement de son mandat, je crois qu'on arrivera à une dépense qui ne sera pas plus utile que beaucoup d'autres de ce genre que vous avez faites jusqu'ici. Mais, s'il s'agit d'une enquête sur le terrain, je n'ai qu'un regret c'est que ce ne soit pas l'Assemblée tout entière qui la fasse, et je vous demanderai, à vous, les 728 membres de l'Assemblée, de vous transporter en Algérie. (Rires et interruptions diverses.)

M. Vandier, rapporteur. Ce serait une enquête coûteuse !

M. Alexis Lambert. Elle serait peut-être utile au pays; tandis qu'une commission de vingt membres qui iraient se promener en Algérie, pendant les séances de l'Assemblée à laquelle ils doivent leur temps, me paraîtrait manquer au mandat que ses membres ont reçu de leurs électeurs.

S'ils attendent les prochaines vacances, je crois que les conseils généraux et les soucis des députés qui seront appelés à rendre compte de leur mandat à leurs électeurs les empêcheront d'aller jusque-là. Quoi qu'il en soit de cette commission d'enquête dont je n'entrevois pas précisément l'utilité en ce moment, je me demande pourquoi on nous propose de nommer les membres de cette commission d'enquête au scrutin de liste. Comment! vous demandez encore le scrutin de liste! vous n'avez donc pas assez de l'expérience que vous avez faite pour la dernière commission des Trente! Vous voulez donc rester huit jours à former cette commission.

Mais vous tenez à en écarter d'abord les députés de l'Algérie, parce qu'ils connaissent la question et qu'ils sont républicains. C'est excessivement malheureux, je voudrais bien n'être pas républicain... (On rit) mais je ne puis pas faire autrement; et d'ailleurs, tout autre régime que la République serait fatal à mon pays d'adoption.

Avec le scrutin de liste, non-seulement nous ne ferions pas partie de cette commission, mais les membres de la gauche en seraient exclus. Je maintiens que la proposition d'un scrutin de liste pour la désignation d'une commission chargée de faire une enquête sur la situation de l'Algérie, quelque respectables que soient les intentions qui l'ont inspirée, présente néanmoins une sorte de sous entendu consistant dans l'exclusion des députés républicains algériens et des autres députés républicains de la gauche; si quelques-uns sont nommés, ce sera seulement parce que vous l'aurez voulu, et ce privilége ne sera pas excessivement flatteur pour eux. Il ne pourra pas y avoir dans le sein de cette commission une discussion véritable, sincère, comme elle le serait si les intéressés étaient appelés à débattre tous les jours les questions qui peuvent être agitées.

Si du moins M. le comte d'Harcourt avait bien voulu modifier sa proposition et dire que les six députés de l'Algérie feraient partie de la commission, à titre consultatif, non à titre délibératif, uniquement pour avoir le droit d'assister aux séances! les hérésies les plus grandes qu'on y aurait professées, nous aurions pu les relever avec la connaissance spéciale que nous avons des affaires de notre pays.

Un membre. Proposez un amendement!

M. Alexis Lambert. Je repousse donc entièrement l'idée d'un scrutin de liste, parce qu'elle est exclusive, parce qu'elle n'est pas algérienne, parce qu'elle n'est pas nationale, parce que la dernière nomination de commission au scrutin de liste est la condamnation de cette manière de procéder.

Il n'est plus possible de faire des scrutins de liste dans ce moment, sous peine de vouloir faire œuvre partiale à l'excès, œuvre d'exclusion à l'égard de ceux qui ont reçu le mandat

de défendre l'Algérie, non-seulement dans l'Assemblée, mais dans les commissions.

J'avais réclamé pour nous le droit d'assister à toutes les délibérations et d'y prendre part, à titre consultatif. M. le comte d'Harcourt n'a pas cru devoir accéder à ce vou; je tiens à le déclarer ici, parce que si des injustices sont commises, du moins on saura qu'elles ont été signalées en temps utile.

Je ne voudrais pas vous dire ce qu'il en coûte à une commission de s'occuper de l'Algérie sans appeler dans son sein les députés de P'Algérie. La commission des trente membres, dont je parlais tout à l'heure, a formé pour l'examen de la question électorale une souscommission chargée de décider si l'Algérie at les colonies auraient ou non des députés et si elles conserveraient le nombre de députés qui les représentent aujourd'hui; comme il n'y avait pas de députés algériens dans cette souscommission, comme ils n'y ont été entendus qu'une fois et que leur parole s'est vite effacée de la mémoire des sous-commissaires, il a été fait un questionnaire qui a frappé de stupeur tous ceux qui connaissent l'Algérie.

Vous ne sauriez croire, messieurs, quelles questions étaient contenues dans ce document... (Bruit.)

Je vous prie de vouloir bien m'accorder quelques instants d'attention; la question est assez sérieuse.

M. le président. Je réclame le silence, pour que l'orateur puisse se faire entendre.

M. Alexis Lambert. Je n'ai jamais abusé de votre attention jusqu'ici; je ne monte à cette tribune qu'à mon corps défendant; je ne suis pas avocat, je ne suis pas à mon aise ici. Un membre. On ne s'en aperçoit guère !

M. Alexis Lambert. Je viens vous montrer comment une commission nommée au scrutin de liste, quand elle fait un questionnaire sur l'Algérie, est loin de la question, des faits, de la législation.

Ainsi, messieurs, la première question posée par le questionnaire de la sous-commission des lois électorales est celle-ci : Quel est le chiffre de la population de l'Algérie? Mais il y a des documents qui le disent! il y a des statistiques officielles, un bulletin officiel! On demande ensuite le nombre des électeurs. Mais il n'est pas besoin d'un questionnaire pour répondre à cela! Sur quinze questions, il y en a huit de ce genre. On nous demandé ensuite quelle est notre organisation municipale, notre organisation départementale; combien il y a d'israélites? Est-ce que vous croyez que s'il y avait dans cette commission des gens compétents sur les choses de l'Algérie, on aurait besoin de demander quelle est sa législation? (Très bien ! sur plusieurs bancs à gauche.)

La Bibliothèque possède un Bulletin des lois avec une table des matières très-bien faite.

Je vous cite ceci, messieurs, pour vous démontrer qu'il y a une flagrante incompétence dans cette Assemblée, qu'elle fait œuvre de parti en faisant appel au scrutin de liste, au lieu de renvoyer la question aux bureaux ou nous aurions pu nommer au moins un ou deux de nos amis, capables de défendre nos intérêts. Voi à se rue je voulais dire du scrutin de liste.

Je vais plus loin, messieurs, et j'arrive à une question beaucoup plus grave.

Je disais que les enquêtes coûtent cher; mais je n'ai pas dit encore que l'enquête qu'on demande était faite. Le rapport qu'on vous a distribué ne l'a pas constaté, bien que je me sois rendu au sein de la commission et que le président m'ait déclaré qu'il serait fait mention de la preuve, fournie par moi, que cette enquête existe, qu'elle a été distribuée en 1870 au Corps législatif, qu'elle a été faite par M. le comte Le Hon. J'ajoute qu'elle est un chef-d'œuvre d'impartialité.

Vous ne prendrez pas, j'espère, M. le comte Le Hon pour un radical; c'était un vrai conservateur. Il était, je crois, bonapartiste, mais il aimait l'Algérie; dans tous les cas, il aimait la vérité, et son malheur a été de la dire. C'est pourquoi ceux qui demandent des enquêtes ne parlent jamais de celle-là ; je suis monté à la tribune pour en révéler l'existence. Je suis sûr que si vous voulez être impartiaux vous la ferez demander, vous ordonnerez qu'elle soit distribuée; cela vous dispensera de nommer une commission de vingt membres pour aller voir en 1874, en Algérie, ce que M. le comte Le Hon y a vu en 1868, et fort bien vu.

Les procès-verbaux de cette enquête ont été publiés et imprimés à l'Imprimerie nationale, sous les auspices du ministre de l'agriculture et du commerce. L'enquête a été distribuée à l'ancien Corps législatif dont beaucoup de membres siégent ici. Il en existe encore des exemplaires au ministère de l'agriculture et du commerce. Mais je ne voudrais pas qu'on vint nous dire qu'on en donnera vingt exemplaires aux vingt membres de la commission, car la lumière se répartirait très-inégalement sur l'Assemblée. Les membres de la commission liraient l'enquête, ils en feraient ce qu'ils voudraient; mais les autres membres de l'Assemblée ne pourraient pas en prendre connaissance. C'est une justice que vous devez à M. Le Hon de faire distribuer cette enquête et de la mettre sous les yeux de tous les membres de l'Assemblée. Quand vous l'aurez lue, examinée, beaucoup des préjugés qui hantent encore vos esprits s'évanouiront; vous connaîtrez le pays tel qu'il était au moment où il fallait le connaitre. Vous savez qu'il y a eu une famine en Algérie sous l'administration du dernier gouverneur général de l'empire en 1867 et 1868; il est mort plus de 500,000 indigènes, sujets de la France qui ne devait pas les abandonner; ils ont péri après avoir dévoré les racines et l'herbe des champs.

Le comte Le Hon a fait son enquête après ce désastreux événement qui était une honte pour la France... (Vives réclamations à droite.) Un membre. Ce langage est intolérable! M. de Montgolfier. La France a fait ce qu'elle a pu!

...

M. Alexis Lambert. qui n'aurait jamais dû les laisser périr. On ne lui a fait connaître la vérité qu'un an après; on lui a dit qu'il n'y avait eu que 14,000 morts au lieu de 500,000; on a menti au pays, on a menti au gouverneur général à qui ses agents n'ont pas dit la vérité sans doute.

M. de Montgolfier. C'est une interprétation qui vous est personnelle !

M. Alexis Lambert. L'enquête de M. Le

ANNALES. -T. XXXI.

Hon vous le démontrera; voilà pourquoi je demande qu'on la produise; quand vous l'aurez examinée, vous ne demanderez plus tant d'enquêtes, vous commencerez par statuer sur celle-là. C'est un conseil que je donne à tous mes collègues de se faire communiquer ce document si remarquable, frappé du sceau de la plus stricte impartialité.

M. le comte Le Hon n'a pas tout publié, il a distribué seulement le questionnaire avec les réponses. Mais il avait fait un rapport général que quelques membres de cette Assemblée, ceux qui occupaient les plus hautes situations sous l'Empire, ont dû connaître.

En dehors du questionnaire, qui est un gros volume, et des réponses qui y étaient incluses, il y a eu un rapport spécial, rédigé par M. le comte Le Hon, et qui a été remis aux ministres et à l'empereur Napoléon III. Ce rapport n'a pas vu le jour; il parait qu'il ne contenait pas beaucoup de choses contre l'Algérie, mais il en contenait énormément contre l'administration très-mauvaise qu'elle avait à ce moment-là; et je ne fais pas de distinction entre l'administration civile et l'administration militaire ; vous voyez que je ne cherche pas à créer des conflits. (Exclamations au centre.)

M. le comte Le Hon avait dit la vérité. On s'est opposé à la publication de son mémoire, de ce rapport général dans lequel il résumait toute l'enquête. Je puis vous assurer que ce rapport était tellement remarquable que l'empereur Napoléon l'a conservé par devers lui. Il l'avait emporté dans l'exil après sa défaite; et en Angleterre même, après sa chute, il exprimait à M. Le Hon le regret de ne pas avoir ouvert la porte à la vérité au moment où il en était temps encore, c'est-à-dire avant la guerre.

Voilà donc une enquête qui a été faite et sur laquelle vous devez statuer; et, quand vous aurez statué, et que vous aurez examiné tontes les questions qu'elle soulève, s'il vous faut un supplément d'information, il ne sera pas difficile de vous le procurer.

Depuis 1870, où la question s'est présentée au Corps législatif, il s'est écoulé un long temps; depuis sont venus les tristes jours de la guerre. L'enquête est donc faite pour moi.

Je terminerai par quelques mots. Vous voulez, d'après la proposition que nous discutons, donner une constitution à l'Algérie ! Je trouve là un sympôme nouveau de la maladie constitutionnelle qui vous travaille depuis longtemps, sans que vous puissiez absolument vous en guérir. Si vous voulez constituer en Algérie, je ne demande pas mienx; mais je vous le disais au début, à condition que ce soit dans des circonstances opportunes et à tête reposée.

Vous avez essayé de faire une monarchie, vous avez essayé de faire un septennat, vous essayez même de faire un ministère vous ne l'avez pas pu. Vous avez à faire, parait-il, une constitution pour la France; une loi sur l'organisation judiciaire; une loi sur l'organisation militaire; une loi sur l'instruction primaire et sur l'enseignement supérieur; votre budget de 1874 n'est pas en équilibre; votre budget de 1875 n'est pas fait, nous en attendons le rapport. Et c'est sous le fardeau d'une pareille besogne que vous viendriez tout d'un coup nous dire :

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