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Ou que l'amour vous force en des momens plus doux,
A produire un autre être, à revivre après vous;
Par-tout d'un Dieu clément la bonté falutaire
Attache à vos befoins un plaifir nécessaire.

Les mortels en un mot n'ont point d'autre moteur,
Sans l'attrait du plaisir, fans ce charme vainqueur,
Qui des lois de l'hymen eût subi l'esclavage,
Quelle beauté jamais aurait eu le courage
De porter un enfant dans fon fein renfermé,
Qui déchire en naiffant les flancs qui l'ont formé ?
De conduire avec crainte une enfance imbécile,
Et d'un âge fougueux l'imprudence indocile ?

Ah! dans tous vos états, en tout temps, en tout lieu,
Mortels, à vos plaisirs, reconnaissez un DIEU.
Que dis-je? à vos plaifirs! c'est à la douleur même
Que je connais de DIEU la fageffe fuprême.
Ce fentiment fi prompt dans nos corps répandu,
Parmi tous nos dangers fentinelle affidu,
D'une voix falutaire inceffamment nous crie :
Ménagez, défendez, conservez votre vie.

Chez de fombres dévots l'amour propre eft damné; C'est l'ennemi de l'homme, aux enfers il eft né. Vous vous trompez,ingrats,c'eft un donde DIEU même. Tout amour vient du ciel; DIEU nous chérit, il s'aime. Nous nous aimons dans nous, dans nos biens,dans nos fils, Dans nos concitoyens, fur-tout dans nos amis: Cet amour néceffaire eft l'ame de notre ame; Notre efprit eft porté fur fes ailes de flamme. Qui, pour nous élever aux grandes actions, DIEU nous a par bonté donné les paffions (2).

Tout dangereux qu'il eft, c'eft un présent céleste;
L'usage en eft heureux, fi l'abus eft funefte.

J'admire & ne plains point un cœur maître de foi,
Qui tenant fes défirs enchaînés fous fa loi,
S'arrache au genre humain pourDIEU qui nous fit naître,
Se plaît à l'éviter plutôt qu'à le connaître,
Et brûlant pour fon DIEU d'un amour dévorant,
Fuit les plaifirs permis, par un plaifir plus grand.
Mais que fier de fes croix, vain de ses abstinences,
Et fur-tout en fecret laffé de ses souffrances,
Il condamne dans nous tout ce qu'il a quitté,
L'hymen, le nom de père, & la fociété ;
On voit de cet orgueil la vanité profonde;
C'est moins l'ami de DIEU que l'ennemi du monde ;
On lit dans fes chagrins les regrets des plaifirs,
Le ciel nous fit un cœur, il lui faut des défirs.
Des ftoiques nouveaux le ridicule maître
Prétend m'ôter à moi, me priver de mon étre.
DIEU, fi nous l'en croyons, ferait fervi par nous,
Ainfi qu'en fon férail un mufulman jaloux,
Qui n'admet près de lui que ces monftres d'Afie,
Que le fer a privés des fources de la vie.

Vous qui vous élevez contre l'humanité,
N'avez-vous lu jamais la docte antiquité?
Ne connaissez-vous point les filles de Pélie ?
Dans leur aveuglement voyez votre folie.
Elles croyaient dompter la nature & le temps,
Et rendre leur vieux père à la fleur de ses ans :
Leurs mains par piété dans fon fein se plongèrent;
Croyant le rajeunir, fes filles l'égorgèrent.

Voilà votre portrait, ftoïques abusés; (3)

Vous voulez changer l'homme, & vous le détruisez. (4)
Ufez, n'abusez point; le fage ainfi l'ordonne.
Je fuis également Epictète & Pétrone.
L'abstinence ou l'excès ne fit jamais d'heureux.
Je ne conclus donc pas, orateur dangereux
Qu'il faut lâcher la bride aux passions humaines;
De ce courfier fougueux je veux tenir les rênes;
Je veux que ce torrent par un heureux fecours,
Sans inonder mes champs, les abreuve en fon cours.
Vents, épurez les airs, & foufflez fans tempêtes;
Soleil, fans nous brûler, marche & luis fur nos têtes.
DIEU des êtres penfans, DIEU des cœurs fortunés,
Confervez les défirs que vous m'avez donnés,
Ce goût de l'amitié, cette ardeur pour l'étude,
Cet amour des beaux arts & de la folitude:
Voilà mes paffions; mon âme en tous les temps
Goûta de leurs attraits les plaisirs confolans.
Quand fur les bords du Mein deux écumeurs barbares,
Des lois des nations violateurs avares,
Deux fripons à brevet, brigands accrédités,
Epuifaient contre moi leurs lâches cruautés,
Le travail occupait ma fermeté tranquille;
Des arts qu'ils ignoraient leur antre fut l'afile.
Ainfi le dieu des bois enflait fes chalumeaux,
Quand le voleur Cacus enlevait fes troupeaux:
Il n'interrompit point fa douce mélodie.
Heureux qui jufqu'au temps du terme de fa vie,
Des beaux arts amoureux, peut cultiver leurs fruits!
Il brave l'injuftice, il calme fes ennuis;

Il pardonne aux humains, il rit de leur délire ;
Et de fa main mourante il touche encor fa lyre. (a)

(a) Ce Difcours, dans fa nouveauté, avait été adreffé au roi de Pruffe, alors prince royal mais depuis, ce même prince ayant abufé de fon autorité, & violé envers Voltaire le droit des gens à Francfort, le poète fupprima les éloges, & fe vengea noblement du fouverain en dénonçant à la poftérité cet acte de tyrannie.

FIN DU CINQUIÈME DISCOURS.

DU CINQUIÈME DISCOURS.

(1) CE difcours eft uniquement fondé fur l'impoffibilité où eft l'homme d'avoir des fenfations par lui-même. Tout fentiment prouve un Dieu, & tout fentiment agréable prouve un Dieu bienfaifant.

(2) Comme prefque tous les mots d'une langue peuvent être entendus en plus d'un fens, il eft bon d'avertir ici qu'on entend par le mot paffions des défirs vifs & continus de quelque bien que ce puiffe être. Ce mot vient de pâtir, fouffrir, parce qu'il n'y a aucun défir fans fouffrance, défirer un bien, c'eft fouffrir l'abfence de ce bien, c'eft pâtir; c'eft avoir une paffion; & le premier pas vers le plaifir eft effentiellement un foulagement de cette fouffrance. Les vicieux & les gens de bien ont tous également de ces defirs vifs & continus appellés paffions, qui ne deviennent des vices que par leur objet; le defir de réuflir dans fon art, l'amour conjugal, l'amour paternel, le goût des sciences font des paffions qui n'ont rien de criminel. Il ferait à fouhaiter que les langues euffent des mots pour exprimer les defirs habituels qui en foi font indifférens ceux qui font vertueux, ceux qui font coupables; mais il n'y a aucune langue au monde qui ait des fignes representatifs de chacune de nos idées ; & on eft obligé de fe fervir du même mot dans une acception différente, à-peuprès comme on fe fert quelquefois du même inftrument pour des Ouvrages de différente nature.

(3) Cela ne regarde que les efprits outrés, qui veulent ôter à l'homme tous les fentimens.

(4) Vous voulez changer l'homme, & vous le détruifez.

Après ce vers, on lifait dans plufieurs éditions:

Un monarque de l'Inde, honnête homme, & peu fage,
Vers les rives du Gange, après un long orage,

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