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LETTRE (*) DE M. DE MELON,

Ci-devant fecrétaire du régent du royaume,

A MADAME LA COMTESSE DE VERRUE,

J'AI

SUR L'APOLOGIE DU LUX E.

AI lu, Madame, l'ingénieufe Apologie du luxe : je regarde ce petit ouvrage comme une excellente leçon de politique, cachée fous un badinage agréable. Je me flatte d'avoir démontré dans mon Effai politique fur le commerce, combien ce goût des beaux arts, & cet emploi des richeffes, cette ame d'un grand Etat, qu'on nomme luxe, font néceffaires pour la circulation de l'efpèce & pour le maintien de l'industrie; je vous regarde, Madame, comme un des grands exemples de cette vérité. Combien de familles de Paris fubfiftent uniquement par la protection que vous donnez aux arts (**)? Que l'on ceffe d'aimer les

(*) Cette lettre fut écrite dans le temps que la pièce du Mondain parut, en 1736.

(**) Madame la comteffe de Verrue, mère de madame la princeffe de Carignan, dépenfait cent mille francs par an en curiofités : elle s'était formé un des beaux

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tableaux les eftampes, les curiofités en toute forte de genre; voilà vingt mille hommes moins, ruinés tout d'un coup dans Paris, & qui font forcés d'aller chercher de l'emploi chez l'étranger. Il eft bon que dans un canton fuiffe on faffe des loix fomptuaires, par la raifon qu'il ne faut pas qu'un pauvre vive comme un riche. Quand les Hollandais ont commencé leur commerce, ils avaient befoin d'une extrême frugalité; mais à préfent que c'eft la nation de l'Europe qui a le plus d'argent, elle a befoin de luxe, &c.

cabinets de l'Europe en raretés & en tableaux. Elle raffemblait chez elle une fociété de philofophes, auxquels elle fit des legs par fon teftament. Elle mourut avec la fermeté & la fimplicité de la philofophie la plus intrépide.

LETTRE A M. LE COMTE DE SAXE,

Depuis Maréchal- Général (*).

Voici, monfieur le Comte

OICI

la Défenfe du Mondain ; j'ai l'honneur de vous l'envoyer, nonfeulement comme à un Mondain très - aimable, mais comme à un guerrier très - philofophe, qui fait coucher au bivouac auffi leftement que dans le lit magnifique de la plus belle de ses maîtreffes, & tantôt faire un fouper de Lucullus, tantôt un fouper de houffard.

Omnis Ariftippum decuit color & ftatus & res.

Je vous cite Horace qui vivait dans le fiècle du plus grand luxe & des plaifirs les plus raffinés; il fe contentait de deux demoifelles ou de l'équivalent, & fouvent il ne fe faifait fervir à table que par trois laquais; cœna miniftratur pueris tribus. Les poètes de ce temps-ci, fous un Mécène tel que le cardinal de Fleuri, font encore plus modeftes.

Oui, je fuis loin de m'en dédire,

Le luxe a des charmes puiffans;
Il encourage les talens,

Il eft la gloire d'un empire.

(*) Cette lettre a été trouvée dans les papiers de M. le Maréchal de Saxe.

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DEFENSE DU MONDAIN,

OU L'APOLOGIE DU LUXE.

A table hier, par un triste hasard,
J'étais affis près d'un maître cafard,
Lequel me dit: Vous avez bien la mine
D'aller un jour échauffer la cuifine
De Lucifer ; & moi, prédestiné,

Je rirai bien quand vous ferez damné.—

-

Damné ! comment ? pourquoi ? Pour vos folies.

Vous avez dit en vos œuvres non pies,
Dans certain conte en rimes barbouillé,
Qu'au paradis Adam était mouillé,
Lorfqu'il pleuvait fur notre premier père,
Qu'Eve avec lui buvait de belle eau claire ;
Qu'ils avaient même, avant d'être déchus,
La peau tannée & les ongles crochus.
Vous avancez dans votre folle ivresse,
Prêchant le luxe, & vantant la molleffe,
Qu'il vaut bien mieux, ô blafphemes maudits!
Vivre à préfent qu'avoir vécu jadis.

Par quoi, mon fils, votre mufe pollue
Sera rôtie, & c'eft chofe conclue.

Difant ces mots, son gosier altéré

Humait un vin qui, d'ambre coloré,
Sentait encor la grappe parfumée,

Dont fut pour nous la liqueur exprimée;

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