Images de page
PDF
ePub

Ainfi pense le juste, ainsi règne le fage:

Mais il faut au grand homme un plus heureux partage; Confulter la prudence, & fuivre l'équité,

Ce n'eft encor qu'un pas vers l'immortalité.

Qui n'eft que jufte eft dur, qui n'eft que fage est triste;
Dans d'autres fentimens l'héroïlme confifte:
Le conquérant eft craint, le fage eft eftimé;
Mais le bienfaifant charme, & lui feul eft aimé ;
Lui feul eft vraiment roi, fa gloire eft toujours pure;
Son nom parvient fans tache à la race future.
A qui fe fait chérir faut-il d'autres exploits?
Trajan non loin du Gange enchaîna trente rois;
A peine a-t-il un nom fameux par la victoire:
Connu par fes bienfaits, fa bonté fait fa gloire.
Jérufalem conquife, & fes murs abattus,
N'ont point éternifé le grand nom de Titus:
Il fut aimé; voilà sa grandeur véritable.

O vous qui l'imitez, vous fon rival aimable,
Effacez le héros dont vous fuivez les pas.
Titus perdit un jour, & vous n'en perdrez pas.

ES

A UM Ê ME.
M Ê

1740.

Les lauriers d'Apollon fe fanaient fur la terre;
Les beaux arts languiffaient ainfi que les vertus;
La Fraude aux yeux menteurs, & l'aveugle Plutus,
Entre les mains des rois gouvernaient le tonnerre:
La Nature indignée élève alors la voix:

« Je veux former, dit-elle, un règne heureux & jufte;

» Je veux qu'un héros naiffe, & qu'il joigne à la fois » Les talens de Virgile & les vertus d'Auguste, » Pour le bonheur du monde & l'exemple des rois ». Elle dit, & du ciel les Vertus defcendirent, Tout le Nord treffaillit, tout l'Olympe accourut; Les myrtes, les lauriers, les palmes reverdirent, Et Frederic parut.

ODE (a)

SUR LA MORT DE L'EMPEREUR CHARLES VI

1740.

Il tombe pour jamais ce cèdre dont la tête
Défia fi long-temps les vents & la tempête,
Et dont les grands rameaux ombrageaient tant d'Etats.
En un inftant frappée,

Sa racine eft coupée

Par la faulx du trépas.

Voilà ce roi des rois, & fes grandeurs fuprêmes: La mort a déchiré fes trente diadêmes,

D'un front chargé d'ennuis dangereux ornement.
O race augufte & fière!

Un refte de pouffière

Eft ton feul monument.

Son nom même eft détruit; le tombeau le dévore; Et file faible bruit s'en fait entendre encore,

(a) Cette Ode nous paraît une des plus belles que l'auteur ait faites.

On dira quelquefois : il régnait, il n'est plus;
Eloges funéraires.

De tant de rois vulgaires

Dans la foule perdus.

Ah! s'il avait lui-même, en ces plaines fumantes Qu'Eugène enfanglanta de fes mains triomphantes, Conduit de fes Germains les nombreux armemens, Et raffermi l'Empire,

De qui la gloire expire

Sous les fiers Ottomans!

S'il n'avait pas langui dans fa ville alarmée,
Redoutable, en fa cour, aux chefs de fon armée,
Puniffant fes guerriers par lui-même avilis:
S'il eût été terrible

Au fultan invincible

Et non pas à Vallis (*).

(*) L'empereur Charles avait conclu, peu de temps avant fa mort, une paix défavantageuse avec les Turcs; il punit fes généraux qui n'avaient été que malheureux, quelques officiers qui avaient rendu des places qu'ils étaient chargés de défendre, & fit faire le procès aux plénipotentiaires qui avaient figné cette paix. Sa mort les fauva. On a prétendu qu'ils avaient reçu des ordres fecrets de la grande ducheffe, depuis impératrice-reine. Il eft du moins certain qu'ils l'avaient fervie. Il était aifé de prévoir la mort prochaine de l'empereur, l'orage qui allait s'élever contre fa fille & la néceffité de s'affurer de la paix avec les Turcs, beaucoup moins politiques, mais fouvent plus fidèles obfervateurs des traités que les princes chrétiens.

Ou fi plus fage encore, & détournant la guerre, Il eût par fes bienfaits ramené fur la terre Les beaux jours, les vertus, l'abondance & les arts, Et cette paix profonde Que fut donner au monde

Le fecond des Céfars!

La Renommée alors, en étendant fes ailes, Eût répandu fur lui les clartés immortelles Qui de la nuit du temps percent les profondeurs; Et fon nom refpectable

Eût été plus durable

Que ceux de fes vainqueurs.

Je ne profane point les dons de l'harmonie ;
Le févère Apollon défend à mon génie

De verfer, en bravant & les mœurs & les lois,
Le fiel de la fatire

Sur la tombe où refpire

La majefté des rois.

Mais, ô Vérité fainte! ô jufte Renommée ! Amour du genre humain, dont mon ame enflammée Reçoit avidement les ordres éternels,

Dictez à la mémoire

Les leçons de la gloire

Pour le bien des mortels.

Rois, la mort vous appelle au tribunal auguste,

Où vous êtes pefés aux balances du juste.
Votre fiècle eft témoin, le juge eft l'avenir.

Demi-dieux mis en poudre,
Lui feul peut vous abfoudre
Lui feul peut vous punir.

O DE AU ROI DE PRUSSE,

EST-CE

Sur fon avènement au trône.

I740.

ST-CE aujourd'hui le jour le plus beau de ma vie? Ne me trompai-je point dans un espoir fi doux? Vous régnez. Eft-il vrai que la philofophie Va régner avec vous ?

Fuyez loin de fon trône, impofteurs fanatiques, Vils tyrans des efprits, fombres perfécuteurs ; Vous dont l'ame implacable & les mains frénétiques Ont tramé tant d'horreurs.

Quoi ! je t'entends encore, abfurde Calomnie! C'est toi, monftre inhumain, c'eft toi qui poursuivis Et Descartes & Bayle, & ce puiffant génie (*) Succeffeur de Leibnitz.

(*) Volf, chanchelier de l'univerfité de Hall. Il fut chaffé fur la dénonciation d'un théologien, & rétabli enfuite. Voyez la préface de l'hiftoire du Brandebourg, ou il est dit qu'il a noyé le fyftême de Leibnitz dans un fatras de volumes, & dans un déluge de parol.s.

N. B. On avait fait accroire à Frédéric Guillaume que la doctrine de Volf fur le libre arbitre était cause que plusieurs

« PrécédentContinuer »