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AURO I.

Préfentée à fa majefté, au camp devant Fribourg.

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Novembre 1744.

Vous, dont l'Europe entière aime ou craint la justice,
Brave & doux à la fois, prudent fans artifice,
Roi néceffaire au monde, où portez-vous vos pas?
De la fièvre échappé, vous courez aux combats!
Vous volez à Fribourg! en vain la Peyronie (*)
Vous difait : « Arrêtez, ménagez votre vie ;
» Il vous faut du régime & non des foins guerriers;
Un héros peut dormir couronné de lauriers ».
Le zèle a beau parler, vous n'avez pu le croire.
Rebelle aux médecins, & fidèle à la gloire,
Vous bravez l'ennemi, les affauts, les faifons,
Le poids de la fatigue & le feu des canons.
Tout l'Etat en frémit, & craint votre courage.
Vos ennemis, grand Roi, le craignent davantage :
Ah! n'effrayez que Vienne, & raffurez Paris:
Rendez, rendez la joie à vos peuples chéris:
Rendez-nous ce héros qu'on admire & qu'on aime.
Un fage nous a dit que le feul bien fuprême,
Le feul bien qui du moins reffemble au vrai bonheur,
Le feul digne de l'homme, eft de toucher un cœur.
Si ce fage eut raifon, fi la philofophie

Plaça dans l'amitié le charme de la vie,

(*) Premier chirurgien du roi.

Quel est donc, juftes Dieux! le deftin d'un bon roi,
Qui dit, fans fe flatter, tous les cœurs font à moi?
A cet empire heureux qu'il eft beau de prétendre !
Vous qui le poffédez, venez, daignez entendre,
Des bornes de l'Alface aux remparts de Paris,
Ce cri que l'amour feul forme de tant de cris.
Accourez, contemplez ce peuple dans la joie,
Béniffant le héros que le ciel lui renvoie.

Ne le voyez-vous pas tout ce peuple à genoux,
Tous ces avides yeux qui ne cherchent que vous,
Tous nos cœurs enflammés volant fur notre bouche?
C'est-là le vrai triomphe, & le feul qui vous touche.

Cent rois au capitole en efclaves traînés,

Leurs villes, leurs tréfors & leurs Dieux enchaînés,
Ces chars étincelans, ces prêtres, cette armée,
Ce fénat infultant à la terre opprimée,

Ces vaincus envoyés du fpectacle au cercueil
Ces triomphes de Rome étaient ceux de l'orgueil:
Le vôtre eft de l'amour, & la gloire en eft pure;
Un jour les effaçait, le vôtre à jamais dure;
Ils effrayaient le monde, & vous le raffurez:
Vous, l'image des Dieux fur la terre adorés !
Vous, que dans l'âge d'or elle eût choisi pour maître!
Goûtez les jours heureux que vos foins font renaître.
Que la paix floriffante embelliffe leur cours :
Mars fait des jours brillans, la paix fait les beaux jours,
Qu'elle vole à la voix du vainqueur qui l'appelle,
Et qui n'a combattu que pour nous & pour elle.

SUR LES ÉVÈNE MENS

DE L'ANNÉE 1744.

1745.

Quor, verrai-je toujours des sottises en France?

Difait l'hiver dernier, d'un ton plein d'importance,
Timon, qui, du paffé profond admirateur,
Du préfent qu'il ignore eft l'éternel frondeur.
Pourquoi, s'écria-t-il, le roi va-t-il en Flandre?
Quelle étrange vertu, qui s'obstine à défendre
Les débris dangereux du trône des Céfars,
Contre l'or des Anglais & le fer des houfards!
Dans le jeune Conti, quel excès de folie,
D'escalader les monts qui gardent l'Italie,
Et d'attaquer vers Nice un roi victorieux,
Sur ces fommets glacés dont le front touche au cieux!
Pour franchir ces amas de neiges éternelles ;
Dédale à cet Icare a-t-il prêté fes ailes ?
A-t-il reçu du moins dans fon deffein fatal,
Pour brifer les rochers, le fecret d'Annibal ?

Il parle & Conti vole. Une ardente jeunesse
Voyant peu les dangers que voir trop la vieilleffe
Se précipite en foule autour de son héros :
Du Var qui s'épouvante on traverse les flots;
De torrens en rochers, de montagne en abîme,
Des Alpes en courroux on affiège la cime;
On y brave la foudre; on voit de tous côtés,
Et la nature & l'art, & l'ennemi domptés,

Conti qu'on cenfurait, & que l'univers loue
Eft un autre Annibal qui n'a point de Capoue.
Critiques orgueilleux, frondeurs, en eft-ce affez?
Avec Nice & Démont vous voilà terraffés.

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Mais tandis que fous lui les Alpes s'applaniffent, Que fur les flots voifins les Anglais en frémiffent, Vers les bords de l'Escaut LOUIS fait tout trembler; Le Batave s'arrête, & craint de le troubler. Miniftres, généraux, fuivent d'un même zèle, Du confeil au danger, leur prince & leur modèle. L'ombre du grand Condé, l'ombre du grand Louis, Dans les champs de la Flandre ont reconnu leur fils; L'envie alors fe tait, la médifance admire. Zoïle, un jour du moins, renonce à la fatire, Et le vieux nouvelliste, une canne à la main, Trace au palais royal Ypre, Furne & Menin. Ainfi lorsqu'à Paris la tendre Melpomène De quelque ouvrage heureux vient embellir la scène, En dépit des fifflets de cent auteurs malins, Le fpectateur fenfible applaudit des deux mains: Ainfi, malgré Buffi, fes chansons & sa haine, Nos aïeux admiraient Luxembourg & Turenne. Le Français quelquefois eft léger & moqueur; Mais toujours le mérite eut des droits fur fon cœur: Son œil perçant & jufte eft prompt à le connaître; Il l'aime en fon égal, il l'adore en fon maître. La vertu fur le trône est dans son plus beau jour, Et l'exemple du monde en eft auffi l'amour.

Nous l'avons bien prouvé, quand la fiévre fatale, A l'œil creux, au teint fombre, à la marche inégale.

De fes tremblantes mains, miniftres du trépas,
Vint attaquer LOUIS au fortir des combats :
Jadis Germanicus fit verfer moins de larmes ;
L'univers éploré reffentit moins d'alarmes ;
Et goûta moins l'excès de fa félicité,
Lorsqu'Antonin mourant reparut en fanté.
Dans nos emportemens de douleur & de joie,
Le cœur feul a parlé, l'amour feul fe déploie.
Paris n'a jamais vu de transports fi divers,
Tant de feux d'artifice, & tant de mauvais vers.

Autrefois, ô grand Roi! les filles de mémoire,
Chantant au pied du trône, en égalaient la gloire.
Que nous dégénérons de ce temps fi chéri!
L'éclat du trône augmente, & le nôtre est flétri.
O ma profe & mes vers! gardez-vous de paraître ;
Il eft dur d'ennuyer fon héros & fon maître:
Cependant nous avons la noble vanité

De mener les héros à l'immortalité.

Nous nous trompons beaucoup, un roi jufte & qu'on aime,
Va fans nous à la gloire, & doit tout à lui-même.
Chaque âge le bénit; le vieillard expirant

De ce prince, à fon fils, fait l'éloge en pleurant ;
Le fils éternifant des images fi chères,
Raconte à fes neveux le bonheur de leurs pères;
Et ce nom dont la terre aime à s'entretenir,
Eft porté par l'amour aux fiècles à venir.

Si pourtant, ô grand roi quelqu'efprit moins vulgaire, Des vœux de tout un peuple interprète fincère, S'élevant jufqu'à vous par le grand art des vers, Ofait, fans vous flatter, vous peindre à l'univers,

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