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A SON ALTESSE SÉRÉNISSIME

MADAME LA DUCHESSE DU MAINE,

Sur la victoire remportée par le roi, à Lawfelt.

1747.

AUGUSTE fille & mère de héros,
Vous ranimez ma voix faible & caffée,
Et vous voulez que ma mufe laffée,
Comme LOUIS ignore le repos.

D'un crayon vrai vous m'ordonnez de peindre
Son cœur modefte, & fes brillans exploits,
Et Cumberland que l'on a vu deux fois
Chercher ce roi, l'admirer & le craindre :
Mais des bons vers l'heureux temps est paffé;
L'art des combats eft l'art où l'on excelle:
Notre Alexandre en vain cherche un Apelle;
LOUIS s'élève, & le fiècle eft baiffé.
De Fontenoi le nom plein d'harmonie
Pouvait au moins feconder le génie.
Boileau pâlit au feul nom de Voërden;
Que dirait-il, fi non loin d'Helderen,
Il eût fallu fuivre entre les deux Nèthes
Bathiani fi favant en retraites;
Avec d'Eftrée à Rofmal s'avancer?
La gloire parle, & LOUIS me réveille;
Le nom du roi charme toujours l'oreille;

Mais que Lawfelt eft rude à prononcer!
Et quel befoin de nos panégyriques,
Difcours en vers, épîtres héroïques,
Enregistrés, vifés par Crébillon (*),
Signés Marville (**), & jamais Apollon?
De votre fils je connais l'indulgence;
Il recevra fans courroux mon encens;
Car la bonté, la fœur de la vaillance,
De vos aïeux paffa dans vos enfans;
Mais tout lecteur n'eft pas fi débonnaire ;
Et fi j'avais, peut-être téméraire,
Représenté vos fiers carabiniers

Donnant l'exemple aux plus braves guerriers ;
Si je peignais ce foutien de nos armes,
Ce petit-fils, ce rival de Condé,
Du Dieu des vers fi j'étais fecondé,
Comme il le fut par le Dieu des alarmes ;
Plus d'un cenfeur encore avec dépit,
M'accuferait d'en avoir trop peu dit.
Très-peu de gré, mille traits de fatire,
Sont le loyer de quiconque ofe écrire ;
Mais pour fon prince il faut savoir souffrir;
Il est par-tout des risques à courir ;
Et la cenfure, avec plus d'injustice,
Va tous les jours acharner fa malice

(*) M. de Crébillon, de l'académie française, examinateur des écrits en nne feuille préfentés à la police.

(**) M. Feydeau de Marville, alors lieutenant de police.

Sur des héros dont la fidélité
L'a mieux fervi que je ne l'ai chanté.
Allons, parlez, ma noble académie,
Sur vos lauriers êtes-vous endormie ?
Représentez ce conquérant humain,
Offrant la paix, le tonnerre à la main.
Ne louez point, auteurs, rendez justice;
Et comparant aux fiècles reculés

Le fiècle heureux, les jours dont vous parlez,
Lifez Céfar, vous connaîtrez Maurice (*).
Si de l'Etat vous aimez les vengeurs,

Si la patrie est vivante en vos cœurs,
Voyez ce chef, dont l'active prudence
Venge à la fois Gènes, Parme & la France;
Chantez Belle-Ifle; élevez dans vos vers
Un monument au généreux Boufflers;
Il eft du fang qui fut l'appui du trône :
Il eût pu l'être ; & la faulx du trépas
Tranche fes jours échappés à Bellonne,
Au fein des murs délivrés par fon bras.
Mais quelle voix assez forte, assez tendre,
Saura gémir fur l'héroïque cendre
De ces héros que Mars priva du jour,
Aux yeux d'un roi, leur père & leur amour?
O vous, fur-tout, infortuné Bavière !
Jeune Froulai, fi digne de nos pleurs,
Qui chantera votre vertu guerrière ?
Sur vos tombeaux qui répandra des fleurs?

(*) Maurice, comte de Saxe.

Anges des cieux, puiffances immortelles,
Qui préfidez à nos jours paffagers,
Sauvez Lautrec au milieu des dangers;
Mettez Ségur à l'ombre de vos ailes.
Déjà Rocou vit déchirer fon flanc :
Ayez pitié de cet âge fi tendre;

Ne verfez pas le refte de ce fang

Que pour LOUIS il brûle de répandre (*);
De cent guerriers couronnez les beaux jours:
Ne frappez pas Bonac & d'Aubeterre,
Plus accablés fous de cruels fecours
Que fous les coups des foudres de la guerre.
Mais, me dit-on, faut-il à tout propos
Donner en vers des liftes de héros ?
Sachez qu'en vain l'amour de la patrie
Dicte vos vers au vrai feul confacrés ;
On flatte peu ceux qu'on a célébrés;
On déplaît fort à tous ceux qu'on oublie.
Ainfi toujours le danger fuit mes pas;
Il faut livrer prefqu'autant de combats
Qu'en a caufés fur l'onde & fur la terre
Cette balance utile à l'Angleterre.

Ceffez, ceffez, digne fang de Bourbon,
De ranimer mon timide Apollon,
Et laiffez-moi tout entier à l'hiftoire;

(*) M. le marquis de Ségur, miniftre de la guerre, en 1780: il avait été dangereusement bleffé à Rocou, & perdit un bras à la bataille de Lawfelt.

C'est là qu'on peut, fans génie & fans art,
Suivre LOUIS de l'Escaut jufqu'au Jart :
Je dirai tout, car tout est à sa gloire :
Il fait la mienne, & je me garde bien
De reffembler à ce grand fatirique (*),
De fon héros difcret hiftorien,

Qui, pour écrire un beau panégyrique,
Fut bien payé, mais qui n'écrivit rien.

A M. LE DUC DE RICHELIEU.

DANS V
ANS vos projets étudiés
Joignant la force & l'artifice,
Vous devenez donc un Ulyffe
D'un Achille que vous étiez.
Les intérêts des deux couronnes
Sont foutenus par vos exploits;
Et des fiers tyrans du Génois
On vous a vu prendre à la fois
Et les poftes & les personnes.
L'ennemi, par vous dépofté,
Admire votre habileté

En pareil cas, quelque Voiture
Vous dirait qu'on vous vit toujours
Auprès de Mars & des Amours,
Dans la plus brillante posture.
Ainfi jadis on s'exprimait

(*) Boileau.

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