Je dirai: Je fus comme vous: C'eft beaucoup me vanter peut-être ; Mais je ne ferai point jaloux : Le plaifir permet-il de l'être ?
ENFIN d'Arnaud, loin de Manon, S'en va, dans fa tendre jeunesse, A Berlin, chercher la fageffe Près de Frédéric - Apollon.
Ah! j'aurais bien plus de raifon D'en faire autant dans ma vieilleffe. Il va donc goûter le bonheur De voir ce brillant phénomène, Ce conquérant légiflateur, Qui fut chaffer de fon domaine
Tout dévot & tout procureur,
(a) C'est ce même d'Arnaud qui, pour avoir chanté le cu de Manon, fe crut un moment le favori du roi de Pruffe.
La vérité eft que Voltaire, qui avait été conftamment fon bienfaiteur, avait infpiré pour lui quelque bienveillance à ce prince, & qu'enfuite le poète ofa être jaloux des honneurs qu'il vit rendre à Voltaire à la cour de Berlin. Il en résulta que le pauvre d'Arnaud fut congédié mais il lui refta la gloire d'avoir été, comme il s'en vante luimême,
Le Virgile & l'Homère Qui chanta le cu de Manon.
Deux fléaux de l'engeance humaine. Il verra couler dans Berlin Les belles eaux de l'Hypocrène ; Non pas comme dans ce jardin, Où l'art avec effort amène Les Naïades de Saint-Germain, Et le fleuve entier de la Seine, Fort étonné de fon chemin; Mais par un art bien plus divin, Par le pouvoir de ce génie
Qui fans effort tient fous fa main Toute la nature embellie.
VERS faits en passant au village de Lawfelt.
RIVAGE teint de fang, ravagé par Bellone, Vafte tombeau de nos guerriers,
J'aime mieux les épis dont Cérès te couronne, Que des moiffons de gloire & des triftes lauriers. Fallait-il, juftes Dieux! pour un maudit village, Répandre plus de fang qu'aux bords du Simoïs ! Ah! ce qui paraît grand aux mortels éblouis, Eft bien petit aux yeux du fage.
Fait à un fouper dans une cour d'Allemagne.
Il faut penser, fans quoi l'homme devient, Malgré fon ame, un vrai cheval de fomme: Il faut aimer, c'est ce qui nous soutient; Sans rien aimer il eft trifte d'être homme.
Il faut avoir douce fociété
De gens favans, inftruits fans fuffifance, Et de plaifirs grande variété,
Sans quoi les jours font plus longs qu'on ne penfe. Il faut avoir un ami qu'en tout temps Pour fon bonheur on écoute, on consulte; Qui puiffe rendre à notre ame en tumulte Les maux moins vifs & les plaifirs plus grands. Il faut, le foir, un fouper délectable, Où l'on foit libre, où l'on goûte à propos Les mets exquis, les bons vins, les bons mots; Et fans être ivre il faut fortir de table.
Il faut, la nuit, tenir entre deux draps Le tendre objet que votre cœur adore, Le careffer, s'endormir dans fes bras, Et le matin recommencer encore.
Mes chers amis, avouez que voilà De quoi paffer une assez douce vie : Or, dès l'inftant que j'aimai ma Sylvie, Sans trop chercher j'ai trouvé tout cela.
BLAISE Pascal a tort, il en faut convenir. Ce pieux Mifantrope, Héraclite fublime, Qui penfe qu'ici bas tout eft misère & crime, Dans les triftes accès ofe nous maintenir Qu'un roi que l'on amufe, & même un roi qu'on aime, Dès qu'il n'eft plus environné,
Dès qu'il eft réduit à lui-même,
Eft de tous les mortels le plus infortuné. Il est le plus heureux, s'il s'occupe & s'il penfe. Vous le prouvez très-bien, car loin de votre cour, En hibou fort fouvent renfermé tout le jour, Vous percez d'un œil d'aigle en cet abîme immense Que la philofophie ouvre à nos faibles yeux; Et votre efprit laborieux,
Qui fait tout obferver, tout orner, tout connaître, Qui fe connaît lui-même, & qui n'en vaut que mieux, Par ce mâle exercice augmente encor fon être. Travailler eft le lot & l'honneur d'un mortel. Le repos eft, dit-on, le partage du ciel.
Je n'en crois rien du tout : quel bien imaginaire D'être les bras croifés pendant l'éternité! Eft-ce dans le néant qu'eft la félicité ?
(*) Cette pièce a été imprimée fouvent avec le titre
DIEU ferait malheureux, s'il n'avait rien à faire; Il eft d'autant plus DIEU, qu'il eft plus agissant. Toujours, ainfi que vous, il produit quelque ouvrage, On prétend qu'il fait plus, on dit qu'il se repent. Il préfide au fcrutin qui dans le Vatican Met fur un front ridé la coiffe à triple étage. Du prifonnier Mahmoud il vous fait un sultan, Il mûrit à Moka, dans le fable arabique, Ce café néceffaire aux pays des frimats. Il met la fièvre en nos climats.
Et le remède en Amérique.
Il a rendu l'humain séjour
De la variété le mobile théâtre ;
Il fe plut à pétrir d'incarnat & d'albâtre Les charmes arrondis du fein de Pompadour, Tandis qu'il vous étend un noir luisant d'ébène, Sur le nez applati d'une dame africaine
Qui reffemble à la nuit, comme l'autre au beau jour, DIEU fe joue à fon gré de la race mortelle ; Il fait vivre cent ans le normand Fontenelle, Et trouffe à trente-neuf mon dévot de Pafcal. Il a deux gros tonneaux, d'où le bien & le mal Descendent en pluie éternelle
Sur cent mondes divers & fur chaque animal : Les fots, les gens d'efprit, & les fous & les fages, Chacun reçoit fa dose, & le tout eft égal.
On prétend que de DIEU les rois font les images; Les Anglais penfent autrement;
Ils difent en plein parlement
Qu'un roi n'eft pas plus dieu que le pape infaillible;
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