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En achevant ce difcours ingénu, Je vois paraître au bout de ma ruelle, Non un pigeon, non une colombelle, De l'Esprit faint oiseau tendre & fidèle; Mais vingt corbeaux de rapine affamés, Monftres crochus que l'enfer a formés : L'un près de moi s'approche en fycophante; Un maintien doux, une démarche lente, Un ton cafard, un compliment flatteur, Cachent le fiel qui lui ronge le cœur.

Mon fils, dit-il, la cour fait vos mérites; On prife fort les bons mots que vous dites, Vos petits vers, & vos galans écrits; Et, comme ici tout travail a fon prix, Le roi, mon fils, plein de reconnaissance, Veut de vos foins vous donner récompense, Et vous accorde, en dépit des rivaux, Un logement dans un de ses châteaux. Les gens de bien qui font à votre porte Avec refpect vous ferviront d'efcorte; Et moi, mon fils, je viens de par le roi, Pour m'acquitter de mon petit emploi.

Trigaud, lui dis-je, à moi point ne s'adresse Ce beau début; c'eft me jouer d'un tour; Je ne fuis point rimeur fuivant la cour; Je ne connais roi, prince, ni princeffe ; Et fi tout bas je forme des fouhaits,

C'est que

d'iceux ne fois connu jamais. Je les refpecte; ils font dieux fur la terre; Mais ne les faut de trop près regarder;

Sage mortel doit toujours se garder

De ces gens-là qui portent le tonnerre :
Partant, vilain, retournez vers le roi,
Dites-lui fort que je le remercie

De fon logis; c'eft trop d'honneur pour moi;
Il ne me faut tant de ceremonie :

Je fuis content de mon bouge, & les dieux
Dans mon taudis m'ont fait un fort tranquille :
Mes biens font purs, mon fommeil eft facile,
J'ai le repos, les rois n'ont rien de mieux.

J'eus beau prêcher, & j'eus beau m'en défendre, Tous ces Meffieurs, d'un air doux & benin, Obligeamment me prirent par la main : Allons, mon fils, marchons : fallut se rendre, Fallut partir. Je fus bientôt conduit,

En coche clos, vers le royal réduit

Que près Saint-Paul ont vu bâtir nos pères
Par Charles cinq. O gens de bien, mes frères,
Que Dieu vous gard' d'un pareil logement!
J'arrive enfin dans mon appartement.
Certain croquant, avec douce manière,
Du nouveau gîte exaltait les beautés,
Perfections, aifes, commodités :
Jamais Phébus, dit-il, dans fa carrière,
De fes rayons n'y porta la lumière :
Voyez ces murs de dix pieds d'épaiffeur:
Vous y ferez avec plus de fraîcheur :
Puis me faifant admirer la clôture,
Triple la porte & triple la ferrure,
Grilles, verroux, barreaux de tout côté;

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C'eft, me dit-il, pour votre sûreté.

Midi fonnant, un chaudeau l'on m'apporte,
La chère n'eft délicate, ni forte;

De ce beau mets je n'étais point tenté;
Mais on me dit, c'est pour votre santé,
Mangez en paix, ici rien ne vous presse.
Me voici donc en ce lieu de détreffe,
Embastillé, logé fort à l'étroit,

Ne dormant point, buvant chaud, mangeant froid,
Trahi de tous, même de ma maîtreffe.

O Marc René, (2) que Caton le censeur
Jadis dans Rome eût pris pour fucceffeur,
O Marc René, de qui la faveur grande
Fait ici-bas tant de gens murmurer;
Vos beaux avis m'ont fait claquemurer;
Que quelque jour le bon dieu vous le rende!

(1) I

NOTES.

L parut en 1714 des vers fatyriques, intitulés les Jai vu. M. de Voltaire ayant été foupçonné d'en être l'auteur, fut renfermé à la Bastille.

(2) Marc René de Voyer d'Argenfon, alors lieutenant de police. M. de Voltaire ne parle point de M. d'Argenson du même ton que dans le Siècle de Louis XIV, ou dans le petit poëme fur la Police. Mais M. d'Argenfon fut plus haï qu'eftimé tant qu'il vécut. Après fa mort, on lui a rendu justice, & même plus que justice.

A UNE DAME UN PEU MONDAINE

ET TROP DÉVOTE.

1715.

Tu fortais des bras du Sommeil,

Et déjà l'œil du jour voyait briller tes charmes,
Lorfque le tendre Amour parut à ton réveil;

Il te baifait les mains qu'il baignait de fes larmes.
Ingrate, te dit-il, ne te fouvient-il plus
Des bienfaits que fur toi l'Amour a répandus?
J'avais une autre efpérance,

Lorsque je te donnai ces traits, cette beauté,
Qui malgré ta févérité,

Sont l'objet de ma complaifance.

Je t'infpirai toujours du goût pour les plaisirs,
Le foin de plaire au monde, & même des defirs.
Que dis-je! ces vertus qu'en toi la cour admire,
Ingrate, tu les tiens de moi.
Hélas! je voulais pour toi
Ramener dans mon empire
La candeur, la bonne foi,
L'inébranlable conftance,
Et fur-tout cette bienséance
Qui met l'honneur en sûreté,
Que fuivent le mystère & la délicateffe,
Qui rend la moins fière beauté
Refpectable dans fa faibleffe.

Voudrais-tu méprifer tant de dons précieux ?

N'occuperas-tu tes beaux yeux

Qu'à lire Maffillon, Bourdaloue & la Rue?
Ah! fur d'autres objets daigne arrêter ta vue;
Qu'une auftère dévotion

De tes fens combattus ne foit plus la maîtreffe :
Ton cœur eft né pour la tendreffe,

C'eft ta feule vocation.

La nuit s'avance avec vîtelle;

Profite de l'éclat du jour :

Les plaifirs ont leur temps, la fagesse a fon tour. Dans ta jeuneffe fais l'amour,

Et ton falut dans ta vieilleffe.

LE

JADIS

CO CUAG E.

1715.

ADIS Jupin, de fa femme jaloux,
Par cas plaifant, fait père de famille,
De fon cerveau fit fortir une fille,

Et dit: Du moins celle-ci vient de nous.
Le bon Vulcain, que la cour éthérée.
Fit pour fes maux époux de Cythérée,
Voulait avoir auffi quelque poupon
Dont il fût sûr & dont feul il fût père.
Car de penfer que le beau Cupidon,
Que les Amours, ornemens de Cythère,
Qui, quoiqu'enfans, enseignent l'art de plaire
Fuffent les fils d'un fimple forgeron
Pas ne croyait avoir fait telle affaire..
De fon vacarme il remplit la maison;

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