En achevant ce difcours ingénu, Je vois paraître au bout de ma ruelle, Non un pigeon, non une colombelle, De l'Esprit faint oiseau tendre & fidèle; Mais vingt corbeaux de rapine affamés, Monftres crochus que l'enfer a formés : L'un près de moi s'approche en fycophante; Un maintien doux, une démarche lente, Un ton cafard, un compliment flatteur, Cachent le fiel qui lui ronge le cœur. Mon fils, dit-il, la cour fait vos mérites; On prife fort les bons mots que vous dites, Vos petits vers, & vos galans écrits; Et, comme ici tout travail a fon prix, Le roi, mon fils, plein de reconnaissance, Veut de vos foins vous donner récompense, Et vous accorde, en dépit des rivaux, Un logement dans un de ses châteaux. Les gens de bien qui font à votre porte Avec refpect vous ferviront d'efcorte; Et moi, mon fils, je viens de par le roi, Pour m'acquitter de mon petit emploi. Trigaud, lui dis-je, à moi point ne s'adresse Ce beau début; c'eft me jouer d'un tour; Je ne fuis point rimeur fuivant la cour; Je ne connais roi, prince, ni princeffe ; Et fi tout bas je forme des fouhaits, C'est que d'iceux ne fois connu jamais. Je les refpecte; ils font dieux fur la terre; Mais ne les faut de trop près regarder; Sage mortel doit toujours se garder De ces gens-là qui portent le tonnerre : De fon logis; c'eft trop d'honneur pour moi; Je fuis content de mon bouge, & les dieux J'eus beau prêcher, & j'eus beau m'en défendre, Tous ces Meffieurs, d'un air doux & benin, Obligeamment me prirent par la main : Allons, mon fils, marchons : fallut se rendre, Fallut partir. Je fus bientôt conduit, En coche clos, vers le royal réduit Que près Saint-Paul ont vu bâtir nos pères C'eft, me dit-il, pour votre sûreté. Midi fonnant, un chaudeau l'on m'apporte, De ce beau mets je n'étais point tenté; Ne dormant point, buvant chaud, mangeant froid, O Marc René, (2) que Caton le censeur (1) I NOTES. L parut en 1714 des vers fatyriques, intitulés les Jai vu. M. de Voltaire ayant été foupçonné d'en être l'auteur, fut renfermé à la Bastille. (2) Marc René de Voyer d'Argenfon, alors lieutenant de police. M. de Voltaire ne parle point de M. d'Argenson du même ton que dans le Siècle de Louis XIV, ou dans le petit poëme fur la Police. Mais M. d'Argenfon fut plus haï qu'eftimé tant qu'il vécut. Après fa mort, on lui a rendu justice, & même plus que justice. A UNE DAME UN PEU MONDAINE ET TROP DÉVOTE. 1715. Tu fortais des bras du Sommeil, Et déjà l'œil du jour voyait briller tes charmes, Il te baifait les mains qu'il baignait de fes larmes. Lorsque je te donnai ces traits, cette beauté, Sont l'objet de ma complaifance. Je t'infpirai toujours du goût pour les plaisirs, Voudrais-tu méprifer tant de dons précieux ? N'occuperas-tu tes beaux yeux Qu'à lire Maffillon, Bourdaloue & la Rue? De tes fens combattus ne foit plus la maîtreffe : C'eft ta feule vocation. La nuit s'avance avec vîtelle; Profite de l'éclat du jour : Les plaifirs ont leur temps, la fagesse a fon tour. Dans ta jeuneffe fais l'amour, Et ton falut dans ta vieilleffe. LE JADIS CO CUAG E. 1715. ADIS Jupin, de fa femme jaloux, Et dit: Du moins celle-ci vient de nous. |