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No 8.

Les nouvelles recherches sur l'empoisonnement par l'acide arsénieux datent de 1835: faits historiques sur ce sujet; premiers essais pour éclaircir cette importante question de médecine légale, par M. le docteur HOMBRON, chirurgien de la marine.

Depuis sept ans on s'occupe de nouvelles recherches sur les empoisonnements par l'acide arsénieux; une petite brochure, que je publiai en 1836, conjointement avec M. Soullié, fut l'occasion et le point de départ des belles expériences qui ont été faites depuis et se font encore dans l'intérêt de l'humanité. Des renseignements m'ont été demandés; on a désiré connaître les circonstances, devenues historiques, qui nous conduisaient à éveiller l'attention des médecins. sur cette question médico-légale, qu'une fausse sécurité supposait suffisamment approfondie; je les donne ici tels qu'ils furent rédigés pour un de nos honorables confrères de Paris1.

Monsieur et très-honorable confrère, dès 1835, commne vous pouvez le voir dans notre opuscule, je fus conduit à remarquer que l'on ne s'était point assez occupé des liquides des animaux, du sang surtout, dans les expériences ou dans les expertises sur les empoisonnements. En effet, la science était alors, à cet égard, entièrement à faire. Voici quelles furent les circonstances qui fixèrent mon attention sur ce sujet.

Vers le commencement de 1835, je reçus l'ordre d'embarquer sur la corvette la Naïade, destinée à porter des ordres à la station française des mers du Sud. Je réunis plusieurs liasses de journaux que je destinais à ceux de nos camarades que le devoir retenait depuis plusieurs années éloignés de la France. Quelques heures avant notre entrée à Rio-Janeiro, lieu de notre première relâche, je parcourais quelques-unes de ces feuilles périodiques; mes yeux rencon

M. le docteur Haracque, chevalier de la Légion d'honneur, etc.

trèrent un article d'empoisonnement par l'arsenic; le journal était l'Armoricain, du 18 avril 1835; l'article était le feuilleton du jour.

On y racontait, fort en détail, le procédé employé par une femme, Marguerite Jæger, pour empoisonner successivement tous les membres de sa famille. Cette femme était allemande, et non bretonne, ainsi que l'ont dit plusieurs journaux. Le corps de Catherine Jaeger, sa dernière fille, avait été exhumé, et les recherches faites par des experts étaient restées sans résultat. On empoisonna plusieurs animaux en suivant exactement le procédé indiqué par Marguerite elle-même, dans les aveux qu'elle avait faits de ses crimes. Ces expériences confirmèrent l'inutilité des tentatives dont le but était de prouver la présence du poison dans l'estomac.

Cette conclusion me frappa d'étonnement; elle était en opposition avec tous les écrits les plus modernes du temps; car l'extrême sensibilité des réactifs employés contre l'arsenic était chose admise dans la science au point d'en être banale; rien ne paraissait facile comme de prouver matériellement un empoisonnement par l'arsenic. Ce feuilleton de l'Armoricain me laissa donc incrédule, et il ne me sembla qu'indiscret, déplacé et erroné.

Cependant j'étais tourmenté du désir de voir et d'expérimenter moi-même. Le silence de M. Orfila dans sa toxicologie, sur ce mode particulier d'empoisonnement adopté par Marguerite, augmentait encore mon impatience de satisfaire ce désir. En arrivant dans la capitale du Brésil, je proposai à M. Soullié 2, pharmacien estimable de cette ville, de réunir nos efforts afin d'éclaircir nos doutes; il y consentit avec empressement.

Nous suivîmes pas à pas les trages de l'infâme Jæger; nous introduisîmes, de temps en temps seulement, le li

Elle habitait les bords du Rhin, près de la frontière de France.

M. Soullié est Français.

quide empoisonné dans l'estomac d'un chien, et toujours en petite quantité; nous lui laissions la liberté de vomir; il succomba après vingt-quatre heures de souffrance.

Dès le premier coup d'œil, le journal avait déjà raison... « L'ouverture de leurs entrailles (en parlant des animaux) n'a présenté aucune trace de poison. » En effet, à peine la muqueuse était-elle injectée, les intestins, le péritoine se trouvaient dans leur état normal; notre animal n'était donc pas mort d'inflammation. Dans cette circonstance, l'arsenic n'était donc plus un corrosif. Enfin ce poison, si facile à déceler, restait obstinément caché. Nous sentîmes que nous avions à notre disposition trop peu de moyens de varier nos expériences et nos recherches pour pouvoir affirmer, sur ce seul résultat négatif, que le poison n'existait ni dans ces liquides que nous venions de soumettre à une première et succincte analyse, ni dans l'épaisseur des parois de l'estomac. Mais la certitude que la mort avait été le résultat de l'absorbtion de la substance vénéneuse, et non l'oeuvre de l'inflammation ou de la destruction des tissus, nous conduisit naturellement à penser que nous serions plus heureux en agissant sur le sang du système veineux abdominal, puis successivement sur les autres fluides. Nous nous mîmes à l'œuvre, toujours dominés par cette fausse persuasion de la facile démonstration de la présence de l'arsenic qui a été introduit dans l'organisme; nous nous flattions encore d'arriver à un résultat clair et satisfaisant.

Cette seconde expérience ne fut point plus heureuse que la première; ni le sang ni la bile de ce second sujet ne nous donnèrent d'arsenic. Mais, comme dans ce cas, ainsi que dans l'autre, la mort ne pouvait être expliquée par l'inflammation ni par la désorganisation des tissus, notre conviction ne fut nullement ébranlée; nous comprîmes que nous devions cesser d'espérer réussir avec des moyens d'analyse aussi imparfaits que ceux dont nous étions entourés. Mais nous persistâmes à penser que, s'il était vrai que le poison

n'existât plus dans les liquides ou les parois de l'estomac, il était bien certainement dans la circulation ou même dans les viscères les plus vasculaires, tels que le foie et la rate.

Il ne nous restait plus que deux devoirs à remplir: 1o signaler aux praticiens que c'était une fausse et fatale sécurité de croire qu'il était toujours aisé de reconnaître la présence de l'arsenic dans l'estomac oules liquides qu'il contient : c'était une erreur du temps; 2° éveiller l'attention des savants, que leur position met à même de traiter à fond les questions les plus importantes, les plus complexes de la science.

Vingt mois après, à mon arrivée à Brest, je m'empressai donc de faire imprimer notre petit, bien petit travail, plus louable, par le motif qui l'inspira, que par son résultat. Je brûlais d'envie de me livrer à quelques nouvelles tentatives; ni les moyens ni les conseils ne m'eussent manqué au sein des écoles de Brest, mais l'approche d'un concours, d'autres devoirs impérieux, me permirent à peine le temps d'en concevoir la velléité; je n'eus même pas le loisir de corriger les épreuves.

Nous devions à M. Orfila, surtout, l'hommage de nos efforts. Je lui écrivis vers la fin du mois d'octobre 1836, en lui envoyant le rapide exposé de notre travail. Il me fit l'honneur de répondre; sa lettre est du 20 avril 1837. Il n'était point encore en mesure de me dire ce qu'il pensait de nos résultats, mais il se proposait de publier un mémoire sur cette matière. Il terminait en disant : « Je me ferai un devoir de rendre justice aux motifs qui ont dicté votre travail, et je ferai ressortir le service qne vous avez rendu dans cette circonstance 1. >>

1 Pages 347, 395 et 396 de sa nouvelle édition de toxicologies (1843), M. Orfila cite nos recherches sur l'empoisonnement par l'acide arsénieux, mais il ne leur rend pas justice, dans ce sens que notre unique but était d'éveiller l'attention des médecins sur une question médico-légale trop superficiellement étudiée.

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De plus, nous avons, les premiers, fixé l'attention des savants sur la né

Deux remarques importantes ressortent de notre travail : 1° l'acide arsénieux, administré en dissolution et à doses faibles, mais répétées, donne la mort, non pas en agissant sur l'estomac, comme le fait un corrosif, mais il est absorbé, et il paralyse le système nerveux; la mort a donc lieu par asphyxie; 2° il était rationnel alors de le rechercher dans la circulation, dans tous les liquides excrémentiels, dans les viscères les plus perméables au système circulatoire. Ce genre d'investigation peut être très-utile lorsque la victime a constamment vomi, et que l'on a cessé de lui donner le poison plusieurs heures avant la mort. Dans ce dernier cas, principalement, le poison est absorbé complétement, et l'estomac peut être trouvé vide.

En résumé, les conclusions de notre opuscule furent que nos expériences étaient imparfaites, et qu'elles devront être reprises d'une manière plus complète, parce qu'elles devaient avoir pour issue de belles et précieuses découvertes. Or, celles qui ont été faites depuis ont procuré des résultats admirables pour la science, utiles pour l'humanité. Nous nous plaignions, dans notre épigraphe, de l'oubli où l'on avait laissé jusqu'alors les liquides des animaux, toutes les fois que l'on s'était livré à des recherches toxicologiques de médecine légale, et, depuis, de très-cstimables travaux n'ont cessé de prouver l'opportunité de nos recherches, et surtout de notre avertissement à cet égard.

cessité de s'occuper, dans les recherches sur les poisons, du sang et des autres liquides des animaux.

Nous avons publié nos résultats quoique négatifs, parce qu'il ne nous était pas possible de continuer ce travail; d'autres occupations réclamaient tout notre temps.

Notre conclusion fut que nos recherches sur le sang et sur la bile n'étaient restées sans résultat, que parce que nos expériences étaient imparfaites, et qu'elles devaient être répétées.

En supposant, ce qui n'est point, que la relation du journal l'Armoricain ne soit qu'une fable, ainsi que le peuse M. Orfila, cela ne changerait rien à nos intentions, et nous n'aurions encore qu'à nous louer d'avoir provoqué les travaux et appelé les lumières de notre ancien maître sur un sujet aussi important.

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