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d'une exactitude mathématique, j'ai laissé de côté les dépenses du matériel des bâtiments à vapeur, me bornant à faire observer que les bâtiments à voiles ont aussi un matériel qui s'use vite et en tout temps, tandis que celui des bâtiments à vapeur ne s'use que lorsque la machine marche et rend des services'.

Puis j'ai pris la solde et l'habillement des équipages, la consommation du charbon, seules données appréciables, et de ces données j'ai tiré cette conclusion, qu'un vaisseau de deuxième rang entraîne une dépense équivalente à celle de quatre navires de 220 chevaux;

Qu'ensuite notre escadre actuelle de Toulon coûte ce que coûterait une escadre de

5 frégates à vapeur de 450 chevaux, 22 corvettes à vapeur de 220 chevaux, 11 bateaux à vapeur de 160 chevaux.

38 navires pouvant porter 20,000 hommes de troupes.

Je demande maintenant que l'on compare les services que pourraient rendre, d'une part, 8 vaisseaux, 1 frégate et 2 bâtiments à vapeur, lents et incertains dans leurs mouvements, absorbant un effectif de 7,767 matelots; de l'autre, 38 navires à vapeur montés par 4,529 matelots et pouvant porter tout un corps d'armée de 20,000 hommes. Vienne la guerre, et il faudra désarmer la première de ces escadres, tandis que la seconde est bonne en tout temps 2.

J'aurais pu étendre bien davantage ces considérations relatives à la marine à vapeur, mais je me borne à de simples aperçus, laissant à d'autres le soin de presser mes conclusions et d'en faire sortir tout ce qu'elles renferment. Je crois toutefois avoir démontré d'une manière suffisante qu'une

1 Voir, pages 375 et 387 du tome 2 de la partie Sciences et arts des Annales maritimes de 1840, l'article intitulé: Progrès comparés de la navigation à vapeur el de la navigation à voiles en France, en Angleterre et aux États-Unis, suivi d'un Tableau comparatif des prix, en Angleterre et en France, des matières employeess dans la construction d'une machine de 450 chevaux. (Note du rédacteur des Annales maritimes.)

2 Voir annexe B.

flotte à vapeur est seule bonne aujourd'hui pour la guerre offensive et défensive, seule bonne pour protéger nos côtes ou agir contre celles de l'ennemi, et seconder efficacement les opérations de nos armées de terre. Il me reste maintenant à parler d'un autre moyen d'action que nous aurions à employer, au cas d'une guerre à soutenir contre l'Angleterre.

Sans avoir pris part aux longues luttes de la marine française contre la marine britannique dans les temps de la révolution et de l'empire, on peut en avoir étudié l'histoire et en avoir recueilli l'expérience. C'est un fait bien reconnu aujourd'hui que, si, pendant ces vingt années, la guerre d'escadre contre escadre nous a presque toujours été funeste, presque toujours aussi les croisières de nos corsaires ont été heureuses. Vers la fin de l'empire, des divisions de frégates, sorties de nos ports avec mission d'écumer la mer sans se compromettre inutilement contre un ennemi supérieur en nombre, ont infligé au commerce anglais des pertes considérables. Or, toucher à ce commerce, c'est toucher au principe vital de l'Angleterre, c'est la frapper au cœur.

Jusqu'à l'époque dont je viens de parler, nos coups n'avaient point porté là, et nous avions laissé l'esprit de spéculation britannique accroître par la guerre ses prodigieux bénéfices. La leçon ne doit pas être perdue aujourd'hui pour nous, et nous devons nous mettre en état, au premier coup de canon qui serait tiré, d'agir assez puissamment contre le commerce anglais pour ébranler sa confiance. Or ce but, la France l'atteindra en établissant sur tous les points du globe des croisières habilement distribuées. Dans la Manche et la Méditerranée, ce rôle pourra être confié très-bien à des navires à vapeur. Ceux qui font l'office de paquebots pendant la paix feraient, par leur grande vitesse, d'excellents corsaires en temps de guerre. Ils pourraient atteindre un navire marchand, le piller, le brûler, et échapper aux navires à vapeur de guerre eux-mêmes, dont la marche serait retardée par leur lourde construction.

Il n'en saurait être ainsi sur les mers lointaines: là ce sont des frégates qu'il faut spécialement destiner aux croisières, et quoiqu'en apparence il n'y ait rien de fort nouveau dans ce que je vais dire, je voudrais pourtant appeler sur ce point l'attention.

Mon opinion sur les frégates n'est point du tout la même que sur les vaisseaux. Loin d'en réduire le nombre, je voudrais l'accroître; pour la paix comme pour la guerre, il у a à leur demander d'excellents services, et on les obtiendrait sans surcroît de dépense, en distribuant seulement nos stations d'une manière mieux entendue.

La frégate seule me paraît propre à aller représenter la France au loin, et encore, la frégate de la plus puissante dimension. Seule, en effet, elle peut, avec une force efficace et un nombreux équipage, porter les vivres nécessaires pour tenir la mer longtemps de suite; seule elle peut, comme je l'indiquerai tout à l'heure, s'approprier également aux besoins de la paix et à ceux de la guerre. A mille ou deux mille lieues des côtes de France, je n'admets plus de distinction entre ces deux états; les stations lointaines, qui peuvent apprendre une guerre plusieurs mois après qu'elle a été déclarée, doivent toujours être constituées sur le pied le plus formidable. Les motifs d'économie doivent ici disparaître devant des idées plus grandes et plus élevées. Il ne faut pas que jamais, par une ruineuse parcimonie, les forces de la France puissent être sacrifiées ou même compromises.

D

Jusqu'à présent nos stations lointaines ont été composées d'une frégate portant le pavillon de l'officier général commandant la station, et de plusieurs corvettes ou bricks. Deux motifs ont amené cet état de choses: les demandes des consuls, toujours désireux d'avoir un bâtiment de guerre a portée de leur résidence; et, en second lieu, la grande raison de l'économie, si souvent invoquée, qui a fait réduire la force et l'espèce des bâtiments, dont on ne pouvait réduire le nombre.

Il en est résulté que, voulant être partout, nous avons été partout faibles et impuissants.

C'est ainsi que nous envoyons que nous envoyons des frégates de 40 canons 1 et de 300 hommes d'équipage là où l'Angleterre et les ÉtatsUnis d'Amérique ont des frégates de 50 canons et plus, avec 500 hommes à bord. Les unes et les autres ne sont pourtant que des frégates, et, s'il fallait qu'elles se rencontrassent un jour de combat, on dirait partout qu'une frégate française a été prisé ou coulée par une frégate anglaise ou américaine; et, quoique les forces n'eussent pas été égales, notre pavillon n'en resterait pas moins humilié par une défaite.

En principe, j'établirais que les stations ne se composent chacune que de deux ou trois frégates de la plus forte dimension. Ces frégates marcheraient ensemble sous les ordres d'un amiral, et profiteraient ainsi de tous les avantages de la navigation en escadre. Constamment à la mer, chefs et

Ainsi, pour la station du Brésil et de la Plata, nous avons une frégate portant le pavillon de l'amiral commandant la station. Les gouvernements an glais et américain ont aussi une frégate; mais voici la force respective de ces navires :

France, Africaine, 40 canons, 311 hommes.

Angleterre, Alfred, 50

Amérique, Raritan, 60

445

470

Le reste de la station est composé de petits navires, et là encore nous sommes en infériorité de nombre et d'espèce.

Autre exemple: Notre station de Bourbon et Madagascar, destinée à protéger notre établissement naissant de Mayotte, et à soutenir les catholiques d'Abyssinie, dont l'amitié conserve à la France une des clefs de la mer Rouge, se composera de :

Tandis que

1 corvette de 22 canons;

1 brick de 20;

1 gabare (transport);

1

vapeur de 100 chevaux.

la station anglaise du Cap comptera:

1 frégate de 50 cauons;

1 frégate de 44;

2 corvettes de 26;

2 bricks de 16;

1 vapeur de 320 chevaux.

matelots apprendraient à se connaître et à s'apprécier, et l'on ne reprocherait pas à nos amiraux cette paresseuse immobilité qui semble les clouer au chef-lieu de leur station. Partout où cette division navale se montrerait, et elle devrait être continuellement employée à parcourir toute l'étendue de sa circonscription, on la verrait forte et respectable, ayant les moyens de réprimer sur-le-champ les écarts des gouvernements étrangers, sans ces coûteux appels à la mère patrie, dont le Mexique et la Plata nous ont donné de si tristes exemples.

Nous n'aurions plus ces petits navires disséminés sur les points où résident nos agents diplomatiques, et si propres, par leur faiblesse même, à nous attirer des insultes que notre pavillon doit savoir éviter, mais ne jamais souffrir.

Nous ne serions plus exposés à voir, au début d'une guerre, la plupart de ces navires d'un si faible échantillon ramassés sans coup férir par les frégates ennemies.

Loin de là, nous aurions sur tous les points du globe des divisions de frégates, toutes prêtes à suivre les traces de ces glorieuses escadrilles qui ont si noblement lutté pour la patrie sur les mers de l'Inde. Elles croiseraient autour de nos colonies, autour de ces nouveaux points saisis sur des mers lointaines par une politique prévoyante, et destinés à servir de base à leurs opérations, aussi bien qu'à devenir l'asile de

nos corsaires.

J'ajoute que cette manière de représenter au loin le pays serait bien plus avantageuse à notre commerce, que la manière dont nous le faisons aujourd'hui. En effet, on craindrait bien autrement la venue d'une division pourvue de tous les moyens de se faire respecter, que la présence permanente d'un petit navire que l'on s'habitue à voir et que bientôt on oublie. Ou je me trompe, ou cette visite toujours. attendue, toujours imminente, serait pour les intérêts français une très-puissante protection, et nos navires marchands. se trouveraient beaucoup mieux de l'influence de notre pa

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