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qu'alors, d'être pris pour dupe, et s'était tenu sur la réserve. 1798 – an vi, L'arrivée du général Provera à Rome força le ministre français à rompre enfin le silence. Il s'adressa directement au souverain pontife, en lui demandant une explication franche et positive de ses procédés, et l'obligea une quatrième fois de s'humilier devant la république. Le renvoi du général Provera fut la condition qu'exigea Joseph Bonaparte pour ne point appeler sur ce qui s'était passé à Rome l'attention trop sévère du gouvernement français.

La confiance paraissait rétablie entre les deux puissances; toutefois, la conduite irrésolue du souverain de Rome avait indisposé une grande partie de ses sujets. Ces préparatifs hostiles, renouvelés tant de fois en pure perte, avaient entraîné des dépenses énormes auxquelles on n'avait pu faire face que par une augmentation d'impôts. Le mécontentement du peuple lui avait inspiré des idées d'indépendance, auxquelles le spectacle de ce qui se passait autour de lui donnait encore une plus grande force. La formation de la république cisalpine, les cris de liberté qui s'élevaient sur plusieurs points de la domination papale provoquaient une fermentation presque inévitable. D'un autre côté, ceux des habitants de Rome qui étaient intéressés au maintien de l'ancien ordre de choses ne dissimulaient point leur haine contre les hommes qu'ils regardaient comme les oppresseurs de la puissance spirituelle, et appelaient de leurs vœux une rupture décidée avec la France. Cette dissidence d'opinions donnait lieu à une foule d'intrigues qui tendaient toutes à exaspérer la classe inférieure du peuple et à en faire un instrument de révolution. Témoin passif de tout ce qui se passait autour de lui, l'ambassadeur français cherchait en vain à concilier les esprits pour le maintien de la tranquillité dans la capitale de l'État ecclésiastique : une catastrophe terrible, à laquelle il était loin de s'attendre, vint le contraindre à renoncer au rôle de pacificateur, et à quitter une ville où le sang français venait d'être répandu encore une fois, au mépris du droit le plus sacré.

Le 26 décembre 1797, quelques individus se présentèrent chez Joseph Bonaparte pour l'avertir qu'une révolution devait éclater dans la nuit, et qu'elle serait effectuée par un grand

1798 — an vi. nombre de citoyens romains qui ne pouvaient plus supporter

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le joug du despotisme papal. L'ambassadeur leur fit observer que le caractère dont il était revêtu ne lui permettait pas d'aocueillir une semblable communication, et leur donna l'assurance que le Directoire ne verrait point favorablement un complot dirigé contre un souverain allié de la république. Il ajouta qu'il rendrait compte, comme ambassadeur, à son gouvernement de ce qui se passait, et qu'en sa qualité d'homme, par l'intérêt même qu'il portait aux Romains, il les engageait à se désister de toute entreprise insurrectionnelle. Les conjurés quittèrent le palais de l'ambassade fort mécontents de la réception du ministre français, auquel ils promirent, toutefois, d'abandonner leur projet pour le moment.

Le lendemain au soir, le chevalier Azara, ambassadeur d'Espagne, qui exerçait à Rome une grande influence, et qui avait constamment donné des preuves sincères d'amitié à Joseph Bonaparte, vint trouver ce dernier, et lui dit qu'il venait d'apprendre, chez le cardinal secrétaire d'État, qu'un mouvement insurrectionnel se préparait, mais qu'il n'inspirait que fort peu d'inquiétude au gouvernement romain. Diverses autres informations convainquirent bientôt l'ambassadeur français que deux trames s'ourdissaient dans le même temps et pourraient éclater ensemble: l'une contre les Français, sourdement autorisée par quelques ministres du pape, et l'autre ayant pour but le renversement de ce gouvernement pour établir la république.

11 parait que les chefs de la première conspiration, bien plus sûrs de leurs propres moyens, avaient connaissance de la seconde. Cherchant à persuader au pontife que son intérêt était de se déclarer contre les Français, ils résolurent de diriger leur mouvement de manière à ce que les excès commis par leurs agents pussent être attribués aux partisans du système républicain. Dans ce dernier cas, ils parvenaient à exciter davantage la fureur de la populace, et mettaient le pape dans l'impossibilité de se réconcilier avec le gouvernement français. Le 27 décembre, un rassemblement eut lieu à la Villa Médicis; la plupart des hommes qui le composaient avaient la cocarde tricolore. Mais ce mouvement n'était qu'un essai pour

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connaître les dispositions du peuple: il suffit de quelques sol- 1798 — an vi dats du pape pour le dissiper; toutefois, quelques séditieux firent résistance et tuèrent même deux dragons. On trouva sur le terrain un sac rempli de cocardes françaises.

Instruit de cette particularité, Joseph Bonaparte se transporta chez le secrétaire d'État pour lui dire que le gouvernement français était étranger à tous ces mouvements, et que lui, ambassadeur, loin de s'opposer à ce qu'on arrêtât tous ceux qui avaient pris la cocarde nationale, venait faire la demande qu'on s'assurât de tous les individus qui ne seraient pas compris dans la liste des Français ou des Romains attachés à la légation. Ces derniers étaient à peine au nombre de huit. Il prévint également le cardinal secrétaire que, six hommes s'étant réfugiés dans la juridiction française, ils seraient livrés aux sbires, s'il demeurait prouvé qu'ils fissent partie des révoltés.

Cependant un nouveau rassemblement se forma devant le palais de France, peu de temps après le retour de l'ambassadeur, qui avait quitté le secrétaire d'État paraissant dans une sécurité parfaite. Ces hommes attroupés faisaient entendre les cris vive la république! Vive le peuple romain! Un d'eux demanda à parler à Joseph Bonaparte : c'était un artiste qu'il connaissait, et qui lui avait été recommandé à Paris par le ministre des relations extérieures. Cet homme se présenta comme un frénétique, en disant avec véhémence : « Nous sommes libres, nous demandons l'appui de la France! » On lui enjoignit, ainsi qu'à tous ceux qui l'accompagnaient, de sortir sur-le-champ de la juridiction de France, en les menaçant de les repousser par la force, s'ils s'obstinaient à rester ainsi devant le palais. Mais déjà l'attroupement était devenu considérable; et parmi les plus animés on reconnaissait plusieurs individus connus pour être attachés à la police du gouvernement. Ils étaient les premiers à vociférer : « Vive la république! vive le peuple romain! » Cette remarque éclaira l'ambassadeur sur le véritable but du mouvement opéré. H résolut de se conduire de manière à ne donner aucun prétexte de récrimination de la part du pape ou de ses ministres, et se prépara à déployer toute la dignité du caractère de représentant d'une grande nation.

1798-an VI.

Quelques officiers français qui se trouvaient avec Joseph Italic. Bonaparte lui demandèrent l'autorisation de dissiper l'attroupement. Cette proposition n'attestait que leur dévouement trop généreux.

Le ministre français se revêtit de son costume officiel et sortit du palais pour haranguer lui-même les séditieux et leur ordonner de se retirer. Au moment où, suivi des officiers et des gens de l'ambassade, il paraissait à la porte du palais. une violente décharge de mousqueterie se fit entendre : c'était un piquet de cavalerie qui, étant entré dans la juridiction française sans en prévenir l'ambassadeur, l'avait traversé au galop, et faisait feu par les trois portiques du palais à la fois. La foule s'était alors précipitée dans les cours et sur les escaliers. Joseph Bonaparte rencontra sur son passage des blcssés, des fuyards intimidés et des frénétiques audacieux, des gens gagés pour exciter et dénoncer les mouvements. Une compagnie d'infanterie avait suivi de près la cavalerie papale. A l'aspect de l'ambassadeur, elle s'arrêta dans sa marche vers le palais. Le capitaine refusa de paraître à la demande de Joseph, et resta caché dans les rangs. Cependant les soldats reculèrent quelques pas; quelques-uns des séditieux, enhardis par cette retraite, s'avançaient déjà contre la troupe. Le ministre leur défendit de sortir de la juridiction jusqu'à nouvel ordre. En même temps, pour se faire mieux obéir, il tire son épée, ainsi que le général Duphot, l'adjudant général Sherlock, et deux autres officiers, afin de contenir ceux qui scraient tentés de transgresser l'ordre de rester tranquilles. Tandis que les séditieux se trouvaient ainsi contenus de ce côté, les soldats, qui n'avaient rétrogradé que de quelques pas, firent une décharge générale. Quelques balles perdues allèrent tuer les hommes des derniers rangs, aucune n'atteignit l'ambassadeur et ceux qui l'accompagnaient. La compagnie papale recula encore pour charger ses armes une seconde fois. Joseph profita de ce moment, et donnant au jeune Beauharnais', aide de camp de son frère, et à l'adjoint Arrighi',

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Prince de l'empire, vice-roi d'Italie en 1805, gendre du roi de Bavière en 1806, depuis duc de Leuchtenberg; mort à Munich en 1824.

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l'ordre de retenir les séditieux, qui faisaient mine de se pré- 1798 — an VI. cipiter de nouveau sur les soldats du pape; il s'avança luimême vers ces derniers, accompagné du général Duphot et de l'adjudant général Sherlock, pour engager la troupe à cesser son feu. Le brave Duphot, accoutumé aux dangers, s'élance jusque sur les baïonnettes, et veut empêcher les uns de charger et les autres de tirer. Les soldats l'entraînent, par un mouvement difficile à concevoir, jusque vers une porte de Rome que l'on nomme Septiminiana. Là, Joseph et Sherlock, qui l'avaient suivi, voient tomber l'infortuné général sous un coup de fusil reçu au milieu de la poitrine. Il se relève néanmoins, cherche à se soutenir avec son épée, et fait quelques pas pour rejoindre l'ambassadeur, qui l'appelle; mais un second coup le renverse, et, dans un instant, plus de cinquante fusils sont dirigés sur son corps inanimé..... Tous les coups vont se diriger désormais sur Joseph Bonaparte et son compagnon; mais ce dernier (l'adjudant général Sherlock) entraine le ministre de France par un chemin détourné qui conduit aux jardins du palais, et tous deux parviennent ainsi à se soustraire aux coups des assassins de Duphot et à ceux d'une autre compagnie d'infanterie qui arrivait et faisait feu sur un autre point. Beauharnais et Arrighi, pressés par ces nouveaux ennemis, se réunissent à Joseph et à Sherlock.

Dans cette situation critique, le ministre et les officiers qui sont avec lui pensent que les furieux peuvent insulter madame Joseph Bonaparte et sa sœur, qui devait, le lendemain même, unir son sort à celui du général qui venait de périr si misérablement. Secourir ces dames était à ce moment le soin le plus urgent. Il fallut que l'ambassadeur rentrât dans son palais par les jardins, car les cours étaient encombrées par cette foule de brigands qui, sous prétexte de réclamer la liberté, avaient commencé cette horrible journée. Une vingtaine d'entre eux et quelques citoyens étaient étendus morts sur ce champ de carnage; les marches du palais étaient teintes de sang; les cris des mourants et des blessés remplissaient le palais d'une horrible épouvante: cependant on parvint à fermer les trois portes de la façade de la rue.

Le plus grand désordre régnait dans l'intérieur au moment.

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