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France.

plus dans cette mer que quelques frégates chargées, sous 1798-an VI, le commandement de Nelson, d'escorter les convois expédiés de Porto-Ferrajo, que l'Angleterre faisait démanteler peu à peu avant de l'évacuer. L'arène des combats de mer semblait done fermée à la France pour quelque temps; aussi ses alliés seuls fournirent cette année l'occasion de nouveaux triomphes aux amiraux de la Grande-Bretagne. Les Espagnols furent les premiers battus, dans un combat où leurs vaisseaux étaient de beaucoup supérieurs en nombre à ceux de l'ennemi. Mais avant de dire deux mots de cet événement, qui eut des conséquences fâcheuses pour la nouvelle coalition maritime, il est à propos de rapporter un fait d'armes antérieur dont la gloire appartient à la France.

Dans un ouvrage destiné à retracer les belles actions des soldats et marins français, les traits de bravoure et d'audace des corsaires doivent naturellement trouver leur place. Nous avons déjà raconté les premiers exploits de Surcouf dans les mers de l'Inde; il est juste d'en faire autant à l'égard des capitaines qui se sont signalés en course dans des parages moins éloignés. Outre les grands corsaires armés par les ports de Bayonne, Bordeaux et Nantes, qui faisaient d'assez longues croisières, une multitude de petits lougres et de péniches sortaient des ports de la Manche et de la mer du Nord, principalement de Dieppe, Boulogne, Calais et Dunkerque. Durant les longues nuits d'hiver, ils coupaient à la côte d'Angleterre, s'emparaient des bâtiments qu'ils trouvaient naviguant le long de cette côte, et regagnaient avec le jour celle de France, où ils conduisaient leurs prises, favorisés par les ténèbres, qui les dérobaient aux nombreux croiseurs anglais. Ce genre de guerre, extrêmement préjudiciable à l'ennemi, n'exigeait d'ordinaire que de la ruse et une connaissance parfaite du gisement des côtes, des vents et des marées. Néanmoins, lorsque les navires qu'ils supposaient richement chargés étaient armés, ou bien lorsqu'ils ne pouvaient espérer se soustraire à un bâtiment de guerre ennemi qu'en le combattant, les capitaines et les matelots qui montaient ces frêles embarcations faisaient souvent des prodiges de valeur. En voici un exemple:

Le corsaire l'Unité, de six canons de 4, commandé

par le

Manche.

Manche.

an vi. capitaine Carry, de Boulogne, et armé à la fin de l'année 1796, avait déjà fait plusieurs prises à l'ennemi, lorsque, dans les premiers jours de janvier 1797, il fut obligé de combattre un bâtiment ennemi, qui, marchant mieux que lui, l'empêchait de trouver son salut dans la fuite. C'était le Swan, cutter de la douane anglaise, armé de quatorze canons et doublé en cuivre. Dès que le capitaine Carry s'était aperçu que le cutter le poursuivait, il avait abandonné un sloop marchand qu'il venait de capturer et qu'il emmenait à la remorque, pour prendre chasse toutes voiles dehors; mais voyant que le Swan le gagnait considérablement, il se décida à revirer pour lui livrer combat, espérant, par quelque coup de canon heureux, le dégréer et le mettre hors d'état de poursuivre l'Unité. Le combat fut opiniâtre, et dura huit heures presque bord à bord. Loin d'avoir pu désemparer le cutter, le corsaire français avait été tellement maltraité par l'artillerie de celui-ci, que tout espoir de se dérober à sa poursuite était perdu. Dans cette extrémité, le capitaine Carry, comptant sur la bravoure des hommes de son équipage, résolut de tenter un effort audacieux : « Mes amis, leur crie-t-il, pas de milieu, il faut aborder le cutter ou aller au ponton! Abordons, abordons! » répondent les matelots d'une voix unanime. D'un coup de barre le capitaine Carry porte son corsaire sur le bâtiment ennemi; les Français s'élancent à bord en hommes décidés à vaincre ou a périr. Le capitaine anglais tombe mort sous leurs coups, cinq ou six de ses gens sont sabrés, les autres demandent quartier a genoux, et le cutter est aux républicains. Après ce brillant exploit, le capitaine Carry répare à la hâte le gréement des deux navires, et fait route pour le Havre, où il entre triomphant avec sa prise. Le Directoire, voulant récompenser le brave Carry, lui décerna une hache d'armes d'honneur '.

Nous allons maintenant raconter brièvement la défaite de Côtes l'armée navale espagnole. Cette armée, forte de vingt-sept d'Espagne. vaisseaux de ligne, dont sept à trois ponts, de dix frégates et une corvette, sous les ordres de don Joseph de Cordova, était

Le capitaine Carry, légionnaire de droit, occupait, lors de l'armement de la flottille à Boulogne, la place de capitaine de port, avec le rang de lieutenant de vaisseau.

Côtes

sortie de Carthagène, dans les premiers jours de février, pour 1798 — an vt. se rendre à Cadix. Le 5, l'amiral avait appris d'un capitaine d'Espagne, américain que l'escadre anglaise croisait sous le cap SaintVincent, et n'était forte que de neuf vaisseaux. Ce rapport était exact, car sir John Jervis n'avait pas encore reçu le renfort de cinq vaisseaux de ligne qui venait de lui être expédié d'Angleterre sous le commandement de l'amiral Parker, et l'un de ses dix vaisseaux, le Culloden, avait été détaché momentanément. L'amiral espagnol, voulant profiter de la circonstance favorable qui se présentait, et comptant prendre ou détruire facilement les neuf vaisseaux anglais, se porta vers le cap SaintVincent, au lieu d'entrer à Cadix comme il en avait d'abord le projet. Nelson, qui sur la frégate la Minerve venait de faire entrer à Gibraltar un convoi parti de l'île d'Elbe, eut connaissance de la flotte espagnole, et fut dans la plus grande diligence donner avis de son arrivée à sir John Jervis. Cet amiral se prépara au combat, et comme le ralliement avait eu lieu, il se trouvait avoir quinze vaisseaux, dont six à trois ponts. Le 14 au matin, les deux armées se trouvèrent en présence; mais l'amiral espagnol, trop confiant dans la supériorité de ses forces, avait laissé ses vaisseaux naviguer sans ordre fixe et trop épars, tandis que sir John Jervis s'avançait avec les siens en ligne bien serrée. Avant que l'armée espagnole ait pu se former de manière à ce que ses vaisseaux puissent s'entre-soutenir, neuf de ceux-ci sont coupés du reste par les Anglais, qui réunissent toutes leurs forces contre eux, les écrasent et en prennent quatre. Nelson, qui avait quitté sa frégate pour monter un vaisseau, comme chef de division, prit à lui seul deux de ces quatre vaisseaux espagnols: il aborda l'un avec son propre vaisseau, et l'autre avec celui qu'il venait d'enlever F'épée à la main. Les Espagnols, quoique avec dix-huit vaisseaux qui avaient peu ou point souffert, ne jugèrent pas à propos de se porter sur les ennemis, qui s'étaient ralliés autour de leurs prises. S'il faut en croire les rapports anglais, don Joseph de Cordova ayant consulté à ce sujet les capitaines de la flotte, deux seuls, ceux du Pelayo et du Conquistador, furent d'avis de combattre. L'armée battue rentra à Cadix.

Cette défaite produisit le plus mauvais effet sur l'esprit public

Côtes de France.

1798 — an vi, en Espagne, et les personnes opposées à l'alliance avec la France en tirèrent avantage pour la représenter comme très-impolitique. Toutefois, le gouvernement se montra décidé à persévérer dans le système qu'il avait adopté. Le commandement de l'armée navale fut ôté à don Joseph de Cordova, et confié à l'amiral Massaredo. Nous verrons par la suite les effets de ce changement. En France, la nouvelle de la déconfiture de l'armée espagnole fit peu de sensation, excepté sur les membres du gouvernement. En Angleterre, elle fut accueillie avec des transports de joie excessifs. Sir John Jervis reçut pour récompense les titres de lord et de comte de Saint-Vincent; et Nelson, qui venait d'être promu au grade de contre-amiral peu de jours avant qu'on connût la victoire à Londres, fut décoré de l'ordre du Bain.

La perte de la bataille de Saint-Vincent ne fut pas le seul échec qu'éprouva l'Espagne au début de la guerre; les Anglais lui enlevaient presque en même temps l'ile de la Trinité. Is y prirent un vaisseau de ligne et une frégate; les Espagnols avaient brûlé eux-mêmes trois autres vaisseaux. Peu de temps après, une attaque eut lieu sur Porto-Rico, mais elle ne fut pas couronnée de succès : les troupes britanniques y furent repoussées avec perte. On assure qu'un corps de Français venu d'une île voisine contribua puissamment à ce résultat; mais nous n'avons pas de détails sur cet exploit des soldats républicains, dont nous savons seulement que le chef se nommait Pâris.

La plus grande difficulté que présentait le rééquipement de l'armée navale française de l'Océan était de faire arriver à Brest, par mer, les munitions et les subsistances nécessaires. Nous avons fait remarquer qu'il était toujours possible de sortir de ce port, mais il n'est pas aussi facile d'y entrer; et, à l'époque dont nous parlons, les ennemis redoublèrent de surveillance pour intercepter tous les bâtiments chargés d'approvisionner ce premier arsenal maritime de la république. Le Directoire ordonna qu'il fût formé une escadre légère chargée de tenir les croiseurs anglais à une telle distance au large, que les convois de vivres et de munitions pussent pénétrer facilement à Brest. On en confia le commandement au chef de division Ganteaume, et on la forma du vaisseau le Mont-Blanc,

Côtes

de 74; du Brave, vaisseau rasé; des frégates la Romaine et 1798 — au vr. Immortalité, de 40, la Précieuse et la Coquille, de 36; de de France, la corvette la Levrette, et de trois lougres. Ganteaume remplit parfaitement la mission dont on l'avait chargé il eut divers engagements avec les escadres légères ennemies, commandées par sir John Borlasse Warren et sir Edward Pellew, sut écarter ces escadres de la côte et favoriser l'entrée des convois, services plus utiles que brillants, et qui toutefois lui valurent des éloges de la part du Directoire, qui en avait apprécié le mérite.

Tandis que la France s'apprêtait à déployer toutes ses forces navales, celles de l'Angleterre semblaient se désorganiser. Une insurrection furieuse avait éclaté presque en même temps sur toutes ses escadres.

Dès les mois de février et de mars, une fermentation sourde régnait parmi les équipages; enfin, au mois d'avril, l'explosion eut lieu à peu près simultanément à Portsmouth et à Plymouth. Lord Bridport se préparait à prendre la mer avec la flotte de la Manche; les matelots refusèrent, à bord de tous les vaisseaux, de lever l'ancre, et ils déclarèrent qu'ils ne quitteraient le port que lorsqu'on aurait fait droit à leurs demandes : une augmentation de paye était l'une des principales.

Le gouvernement britannique fut très-alarmé. Le conseil de l'Amirauté quitta Londres pour venir s'établir à Portsmouth. On fit des concessions aux matelots, et l'ordre se rétablit. A peine la sédition parut-elle apaisée sur un point qu'elle se manifesta d'une manière bien plus alarmante sur un autre. Le port de Sheerness courut les plus grands dangers. Toute la flotte stationnée près de cette ville, au Nore, s'insurgea à la fois; des vaisseaux même de la flotte de l'amiral Duncan, qui croisait devant le Texel, pour surveiller celle des Hollandais, vinrent se rallier à la flotte révoltée.

Les rebelles menacèrent de bombarder Sheerness et placerent leurs vaisseaux de manière à bloquer l'entrée de la Tamise et intercepter la communication entre Londres et la mer, espérant par là amener promptement le gouvernement à obtempérer à leurs demandes. Déjà ils avaient arrêté plusieurs bâtiments chargés de vivres pour la capitale. L'Amirauté, qui s'était transportée à Sheerness, avait échoué dans ses tentatives

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