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conserva longtemps dans l'Eglise chrétienne. Tertullien raconte que le chrétien Proculus guérit avec de l'huile le païen Sévérus, père de l'empereur Antonin (Ad scapul., IV). Au quatrième siècle, on prenait de l'huile dans les lampes des églises pour s'en servir comme d'un préservatif ou comme d'un remède (Chrys., Hom. 32, in Matth., c. 6; cf. Marheineke, Symbol., I, p. 258). On se servait de la même façon de l'eau du baptême. Une source d'huile, qui avait jailli sur le tombeau de saint Félix de Nola, attirait tous les ans, au cinquième siècle, des foules de pèlerins qui venaient y chercher la guérison. On trouve dans la vie des saints, beaucoup de guérisons obtenues par des onctions d'huile consacrée, et Grégoire de Tours raconte qu'un certain Artemius fut ainsi guéri par saint Népotianus (Hist. eccl. Franc., I, 41). Jusqu'au septième siècle, on retrouve des traces de ces onctions dans un but purement médical. Bède le Vénérable dit à propos du passage Jacques V, 14. 15: Hoc et apostolos fecisse in evangelio legimus, et nunc eccl siæ consuetudo tenet ut infirmi oleo consecrato ungantur a presbyteris et oratione comitante « sanentur. » C'est encore l'usage recommandé par Jacques dans toute sa simplicité, et il faut reconnaître qu'il y a loin de cet usage au sacrement de l'extrêmeonction tel qu'il a été défini par le concile de Trente. La transition se fit lentement et ne commença pas de bonne heure: on n'en trouve pas trace avant le cinquième siècle, ni dans l'Eglise d'Orient ni dans celle d'Occident. Origène, énumérant les moyens que les chrétiens ont à leur disposition pour obtenir le pardon de leurs péchés, cite comme septième moyen la pénitence, et y voit l'accomplissement de la promesse apostolique: si quis autem infirmatur, vocet · presbyteros ecclesiæ et imponant ei manus, ungentes eum oleo, in nomine Domini, et si in peccatis fuerit, remittentur ei (In Levit., Hom. II, ch. IV). Origène pense évidemment ici à une maladie morale, et l'onction dont il parle n'est à ses yeux qu'un rite de pénitence. Chrysostome (De Sacerdot., III, 196) cite le passage de Jacques comme une preuve de la puissance du prêtre pour le pardon des péchés: et quand les exégètes grecs parlent des propriétés physiques et spirituelles de l'huile, cela ne s'applique pas nécessairement à l'extrême-onction, car il y avait, comme nous l'avons vu, bien d'autres onctions en usage dans l'Eglise. Tertullien et Cyprien, qui fournissent tant de renseignements sur les usages de l'Eglise d'Occident, n'en disent rien. Denys l'aréopagite, dans son énumération des mystères, cite non un sacrement des mourants, mais un sacrement des morts, venant sans doute de la coutume d'oindre les morts en usage chez les païens et chez les juifs (De hier, eccl., c. 7). Il existait du reste un sacrement des mourants, le seul qui soit cité, l'eucharistie, le viaticum, déjà mentionné comme un ancien usage au concile de Nicée (épódiov, can. 13). La première trace de l'extrême-onction, comme sacrement des mourants, se trouve non dans l'Eglise, mais chez les hérétiques. Irénée raconte que les gnostiques marcosiens oignaient la tête de leurs mourants d'un mélange d'huile et d'eau, et accompagnaient cette onction de prières pour que leurs âmes devinssent

invisibles et inaccessibles aux attaques des puissances ennemies du monde des esprits (I, 21, 5). Epiphane dit la même chose des héracléonites (Hares. XXXVI, 2) et Théodoret des gnostiques en général (Hæret. Fab., I, 2). Les apologistes catholiques, Bellarmin, Benterim, Klée, concluent du passage d'Irénée que l'extrême-onction existait aussi dans les usages de l'Eglise, parce que Irénée ne parle, dit-on. dans ce chapitre, que des usages chrétiens plus ou moins corrompus par les hérétiques. Cet argument a peu de valeur en présence du silence gardé à cet égard par l'Eglise toute entière. D'un autre côté l'usage hérétique mentionné par Irénée s'explique fort bien par le dualisme familier aux sectes gnostiques, sans qu'il soit nécessaire de recourir à un emprunt fait à l'Eglise chrétienne. On pourrait plutôt soupçonner la tradition chrétienne d'avoir subi l'influence des idées gnostiques; on trouve au moyen âge et jusqu'à l'époque de la Réformation la croyance qu'il y a, au chevet des mourants, un ange et un démon, attendant au passage l'àme du défunt; une formule de la Liturgia ambrosiana montre qu'on considérait l'onction comme un moyen d'échapper aux attaques de Satan (ungo te eleo sanctificato, ut, more militis unçti præparatus ad certamen, aëreas possis superare potestates); cette idée passa même dans la doctrine officielle, car, d'après le concile de Trente, un des buts de l'extrême-onction est de fortifier le mourant contre les attaques du diable (session XIV, decr. 2). Il est question de l'extrême-onction pour la première fois dans l'Eglise d'Occident au cinquième siècle, dans une lettre de l'évêque de Rome, Innocent Ier à l'évèque Décentius. C'est ici seulement qu'on saisit la transition de l'usage médicinal de l'huile à son usage sacramentel. Après avoir dit dans cette lettre que le passage Jacq. V, 14, se rapporte à l'usage d'oindre les malades de l'huile sainte préparée par les évêques, mais dont les fidèles peuvent se servir aussi bien que les prêtres, il ajoute: ... pœnitentibus istud infundi non potest, «quia genus est sacramenti. » Nam quibus reliqua sacramenta negantur, quomodo unum genus putatur posse concedi? His igitur, frater carissime, omnibus quæ tua dilectio voluit a nobis exponi, prout potuimus, respondere curavimus, ut ecclesia tua romanam consuetudinem servare valeat atque custodire (Ep. XXV, Ad Decent., ch. 8). Il résulte de ce passage que l'onction était alors en usage dans l'Eglise de Rome, et y était considérée comme un genus sacramenti, c'est-à-dire d'une manière générale, comme quelque chose de mystérieux. Mais on l'administrait encore aux malades et non aux mourants, et le but final paraît avoir encore été la guérison. A partir du huitième siècle, l'extrême-onction est fréquemment mentionnée dans les conciles. Théodulfe d'Orléans en signale pour la première fois (vers 798), l'existence dans l'Eglise d'Orient, dans son 2me capitulaire (imprimé dans le XIIIe vol. de Mansi). Le Synode de Châlons (813, can. 48) y voit un remède qui guérit les maladies du corps et de l'âme (medicina quæ animæ corporisque medetur languoribus; Mansi, XIV, 104). Le deuxième concile d'Aixla-Chapelle (836) en parle encore comme d'un pieux usage ne

reposant que sur une simple croyance (unctio sancti olei, in quo salvatio infirmorum creditur; Mansi, XIV, 678); mais dans le 26 canon du premier concile de Mayence (847) elle est déjà réunie à la pénitence et à l'eucharistie (viaticum), mais précède ces deux sacrements (Mansi, XIII, 4009; XVI, 910); un peu plus.tard; un synode y voit un salutare sacramentum, un magnum et valde appetendum mysterium, qu'il faut recevoir, avec foi, qui procure le pardon des péchés et « par suite (consequenter) rétablit la santé du corps (Syn. Regiaticina, can. 8; Mansi, XIV, 932). La guérison du malade jouait encore, comme on le voit, un grand rôle dans les idées qu'on se faisait de l'extrême-onction, mais on y voyait en même temps un rite sacramentel de pénitence, et on la considérait de plus en plus comme quelque chose d'extrêmement sérieux. Les croyances populaires se développèrent surtout dans ce sens on croyait que le malade rétabli après l'extrême-onction devait vivre désormais. dans des conditions toutes particulières, qu'il ne devait plus toucher la terre avec les pieds nus, qu'il devait s'abstenir de tout rapport conjugal; plusieurs conciles combattirent inutilement ces superstitions, et le résultat fut que peu à peu on n'eut plus recours à l'onction que dans les cas extrêmes, et lorsque la mort paraissait imminente; et comme, dans ces conditions, l'onction était plus fréquemment suivie de la mort que de la guérison, recevoir l'extrêmeonction et être mourant devinrent synonymes dans la langue du peuple. De là les expressions sacramentum exeuntium et erirema unctio, qui deviennent d'un usage général au douzième siècle, et nous montrent le dernier période de la longue transformation qui, de l'usage recommandé par Jacques, fit le sacrement catholique de l'extrême-onction. L'usage s'étant ainsi établi par adjonction successive d'éléments qui y étaient d'abord étrangers, il s'agissait de fixer la doctrine. La théologie ne tarda pas à se mettre à l'œuvre; Hugues de Saint-Victor s'occupa le premier de l'extrême-onction dans son système de théologie (De sacram. fid., lib. II, p. 15; Summa sentent., tractat. VI, c. 15). Pierre Lombard la mit comme cinquième après la pénitence, dans la liste des sept sacrements qu'il a formée le premier (Sentent., lib. IV, dist. 23). Ces premiers rudiments de doctrine furent développés par la scolastique et surtout par Thomas d'Aquin (Summ. suppl., pars III); enfin le pape Eugène IV, au concile de Florence (1439, Mansi, XXXI, p. 1058) et le concile de Trente (1551 sess. XIV, De extrema unciine) l'ont définitivement fixée. Toutefois ce n'est pas sans peine que certains points en furent définitivement arrêtes. C'est sur la nature du rite qu'on hésita le moins. Considérée, dès le cinquième siècle, comme un genus sacramenti, elle fut élevée à la dignité d'un vrai sacrement par les siècles suivants, et le concile de Trente, confirmant cette tradition, déclara dans son premier décret sur la matière que l'extrême-onction est un vrai sacrement, distinct de ce qui est simplement sacramentel, comme l'onction des catéchumènes, par exemple. La question de l'institution fut très débattue. Les textes du Nouveau Testament invoqués ne donnent, en

effet, pas une grande lumière à cet égard. Pierre Lombard en fait remonter l'origine aux apôtres (loc. cit.); Alexandre de Halès, à Jésus-Christ qui l'aurait instituée par l'intermédiaire des apôtres (Summa. pars IV, qu. 8, memb. 2, art. 1); Bonaventure, au SaintEsprit, par l'intermédiaire des apôtres (Summ. th., lib. IV, dist. 23; art. 1, qu. 2). Thomas d'Aquin pense que Jésus-Christ a institué l'extrême-onction, mais a laissé à ses apôtres le soin de la faire connaître, parce qu'elle ne présentait que peu de difficulté pour la foi, et n'était pas absolument nécessaire au salut (loc. cit.).- Le concile de Trente a décidé que ce sacrement, institué par Jésus-Christ, a été insinué dans l'Evangile de saint Marc et publié par Jacques (Instituta est sacra unctio infirmorum, tanquam vere et proprie sacramentum, a Christo apud Marcum insinuatum, per Jacobum autem apostolum..... fidelibus commendatum et promulgatum, sess. XIV, dec. 1). Le décret du concile portait d'abord institutum au lieu de insinuatum; mais un théologien fit observer que les apôtres, au moment où, d'après saint Marc, ils oignaient les malales pour les guérir, n'étaient pas encore prêtres (l'Eglise tenant que le sacerdoce ne leur fùt conféré que lors de la dernière cène), et que, par conséquent, cette onction ne pouvait être un sacrement. Bellarmin dit la même chose, mais il abandonne la théorie de l'insinuation pour ne voir dans l'onction dont parle Marc qu'une préfiguration symbolique de l'extrême-onction (Bellarmin, Disp. de contr., III, lib. I, c. : respondeo non esse eamdem unctionem Marci VI et Jacobi V, nis eo modo quo dicuntur idem figura et figuratum). La matière du sacrement est toujours l'huile d'olives (liquor non ex quavis pinqui et crassa naturá, sed ex olearum baccis tantum modo expressus, Cat. Trid., II, ch. vi, 9; Conc. Trid., sess. XIV, dec. 1). Thomas d'Aquin invoque à ce sujet la puissance adoucissante et pénétrante de l'huile, symbole de consolation, d'espérance et de salut (loc. cit., qu. 29, art. 4). Le catéchisme du concile de Trente emprunte à Théophylacte ses remarques à propos de Marc VI, sur les propriétés de l'huile : Ot oleum ad mitigandos corporis dolores magnopere proficit, ita sacramenti virtus animæ tristitiam ac dolerem minuit; oleum præterea sanitatem restituit, hilaritatem affert, et lumini tanquam pabulum præbet: tum vero ad recreandas defatigati corporis vires maxime accommodatum est (II, VI, 9). L'huile doit être consacrée par l'évêque avec l'exorcisme habituel, en même temps que le saint-chrème, le jeudi saint pendant la messe. On en envoie à chaque doyen, et celui-ci la partage aux desservants des paroisses. S'il y en a de trop, on brûle le reste au bout de l'année; s'il n'y en a pas assez, on peut y ajouter de l'huile non consacrée, mais seulement en petite quantité. La forme déprécative a été adoptée au concile de Florence et au concile de Trente. A l'origine, selon le conseil de Jacques, l'onction était accompagnée d'une prière pour les malades. Mais à mesure que l'onction inclinait à devenir un sacrement, la forme déprécative tendait à disparaître et à être remplacée par la forme indicative. On trouve au moyen âge des formules des deux espèces. Mais Bonaventure (loc. cit., art. 1, qu. 4) et Thomas d'Aquin

(loc. cit., qu. 29, art. 8) se prononcèrent pour la forme déprécative, qui fut désormais seule conservée. Voici la formule donnée par le catéchisme du concile de Trente, et qui doit être employée à chaque onction per istam sanctam unctionem indulgeat tibi Deus quidquid oculorum (sive narium, sive tactus) vitio deliquisti (Cat. Trid., II, ch. vi, 11). La forme déprécative, qu'on retrouve dans ce seul sacrement, vient, d'après le même catéchisme, de ce que l'extrême-onction, outre les grâces spirituelles qu'elle confère, a aussi pour but la guérison du malade; mais comme cette guérison n'arrive pas toujours, la forme déprécative a pour but d'obtenir de la bonté de Dieu ce que la force propre du sacrement ne parvient pas toujours à effectuer (ibid. 14). La question la plus difficile à résoudre fut celle des effets produits par le sacrement. D'après Pierre Lombard, le but de l'extrêmeonction est d'obtenir le pardon des péchés et la guérison des maladies du corps (peccatorum emissio et corporalis infirmitatis alleviatio, loc. cit.). Mais Albert le Grand remarque fort justement que le baptème a déjà effacé le péché originel et la pénitence les péchés actuels. L'extrême-onction ne peut donc avoir à effacer que les restes (reliquiæ) du péché qui empêchent l'âme de trouver la paix (Summ. th., lib. IV, dist. 23, art. 14); mais que sont ces « restes » du péché? Thomas d'Aquin y voit une sorte de faiblesse spirituelle, résultant du péché originel et des péchés actuels. Il fait remarquer que, du reste, l'extrême-onction n'efface les péchés que quand il y en a, car Jacques s'exprime conditionnellement, «s'il a commis des péchés » (V, 15), et il peut arriver que les péchés du malade aient déjà été effacés par la pénitence et l'absolution. La guérison des malades n'est qu'un but secondaire qui n'est pas toujours atteint (loc. cit., qu. 30, art. 1. 2). D'après Bonaventure, l'extrême-onction efface non les restes du péché, mais les péchés véniels. Dans le cours de la vie, ces péchés véniels sont inévitables et reviennent toujours. L'extrême-onction, administrée à la fin de la vie, les efface si parfaitement que leur retour n'est plus possible, et que l'àme délivrée reçoit de nouvelles forces pour s'élever jusqu'à Dieu, ce qui agit sur le corps pour le guérir, mais pas nécessairement (Summ., lib. IV, dist. 23, art. 1., qu. 1). Le concile de Trente ne se prononce pas très explicitement sur cette subtile question. Il déclare que l'extrême-onction efface les restes du péché, soulage l'âme du malade, et quelquefois même lui donne la santé du corps, quand c'est pour le salut de l'âme (unctio delicta, si qua sint adhuc expianda, ac peccati reliquias abstergit, et ægroti animam alleviat et confirmat, sanitatem corporis interdum, ubi saluti animæ expedierit, consequitur. sess. XIV, dec. 2). Le catéchisme du concile de Trente s'écarte un peu de la teneur de ce décret, sans parvenir toutefois à une plus grande clarté. Il distingue cinq effets produits par le sacrement: 1o il efface les péchés légers et véniels (c'est le sacrement de la pénitence qui efface les péchés mortels); 2° il délivre l'âme de la langueur et de la faiblesse qui sont la suite du péché, et de tous les autres restes du péché; 3° il chasse la tristesse et dispose l'âme à

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