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DORIN E.

Le foir elle eut un grand dégoût,

Et ne put au foupé toucher à rien du tout,
Tant fa douleur de tefte étoit encor cruelle.

Et Tartuffe ?

ORGON.

DORIN E.

Il foupa lui tout feul devant elle,

Et fort devotement il mangea deux perdrix,
Avec une moitié de gigot en hachis.

ORGON.

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DORINE.

La nuit fe paffa toute entiere, Sans qu'elle pût fermer un moment la paupiere; Des chaleurs l'empêchoient de pouvoir fommeiller, Et jufqu'au jour prés d'elle il nous fallut veiller.

Et Tartuffe ?

ORGON.

DORINE.

Preffé d'un fommeil agreable, Il paffa dans fa chambre au fortir de la table; Et dans fon lit bien chaud il fe mit tout foudain, Où fans trouble il dormit jusques au lendemain. ORGON.

Le pauvre homme !

DORINE.

A la fin par nos raisons gagnée,

Elle fe refolut à fouffrir la faignée,

Et le foulagement fuivit tout auffi-toft.

Et Tartuffe ?

ORGON.

DORINE.

Il reprit courage comme il faut ;

Et contre tous les maux fortifiant fon ame,
Pour reparer le fang qu'avoit perdu Madame,

Bút à fon déjeuné quatre grands coups de vin.

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DORIN E.

Tous deux fe portent bien enfin,

Et je vais à Madame annoncer par avance,
La part que vous prenez à fa convalescence.

SCENE V.

ORGON, CLEANT E.

CLEANT E.

A Votre nez, mon frère, elle le rit de vous;

Et fans avoir deffein de vous mettre en courroux,

Je vous dirai tout franc que c'eft avec justice.
A-t-on jamais parlé d'un semblable caprice?
Et fe peut-il qu'un homme ait un charme aujour-
d’huy

A vous faire oublier toutes chofes pour luy?
Qu'après avoir chez vous reparé fa mifere,
Vous en veniez au point...

Vous ne connoiffez

ORGON.

Alte-là, mon beau frere pas celui dont vous parlez.

CLEANTE.

7

Je ne le connois pas, puis que vous le voulez ;
Mais enfin pour fçavoir quel homme ce peut eftre........
ORGON.

Mon frere, vous feriez charmé de le connoiftre,
Et vos raviffemens ne prendroient point de fin.
C'est un homme... qui... ha... un homme..
un homme enfin

Qui fuit bien ses leçons, goûte une paix profonde,
Et comme du fumier regarde tout le monde.
Oui, je deviens tout autre avec fon entretien.
Il m'enseigne à n'avoir affection pour rien.
De toutes amitiez il détache mon ame;
Et je verrois mourir frere, enfans, mere & femme,
Que je m'en foucîrois autant que de cela.

CLEANT E.

Les fentimens humains, mon frere, que voilà !
OR GO N.

Ha, fi vous aviez vû comme j'en fis rencontre,
Vous auriez pris pour luy l'amitié que je montre.
Chaque jour à l'Eglife il venoit d'un air doux,
Tout vis-à-vis de moy fe mettre à deux genoux.
Il attiroit les yeux de l'affemblée entiere,
Par l'ardeur dont au Ciel il pouffoit la priere;
Il faifoit des foupirs, de grands élancemens,
Et baifoit humblement la terre à tous momens ;
Et lors que je fortois, il me devançoit vifte,
Pour m'aller à la porte offrir de l'eau benifte.
Inftruit de fon garçon, qui dans tout l'imitoit,
Et de fon indigence, & de ce qu'il étoit,
Je lui faifois des dons ; mais avec modeftie
Il me vouloit toûjours en rendre une partie.
C'est trop, me difoit-il, c'est trop de là moitié,
Je ne merite pas de vous faire pitié.

Et quand je refufois de le vouloir reprendre,
Aux pauvres, à mes yeux, il alloit le répandre.
Enfin le Ciel chez moy me le fit retirer

Et depuis ce temps-là tout femble y profperer.
Je vois qu'il reprend tout, & qu'à ma femme même,
Il prend pour mon honneur un intereft extrême.
Il m'avertit des gens qui lui font les yeux doux,
Et plus que moy fix fois il s'en montre jaloux.
Mais vous ne croiriez point jufqu'où monte fon zele,
Il s'impute à peché la moindre bagatelle;

Un rien prefque fuffit pour le fcandaliser,
Jufques-là qu'il fe vint l'autre jour accufer
D'avoir pris une puce en faifant fa Priere,
Et de l'avoir tuée avec trop de colere.

CLEANTE.

Parbleu vous eftes fou, mon Frere, que je croy,
Avec Je tels difcours vous mocquez vous de moy?
Et que prétendez-vous que tout ce badinage...
ORGON.

Mon Frere, ce difcours fent le libertinage.
Vous en eftes un peu dans voftre ame entiché;
Et comme je vous l'ai plus de dix fois prêché,
Vous vous attirerez quelque méchante affaire.
CLEANT E.

Voila de vos pareils le difcours ordinaire.
Ils veulent que chacun foit aveugle comme eux.
C'eft eftre libertin que d'avoir de bons yeux.
Et qui n'adore pas de vaines fimagrées,

N'a ni refpect ny foy pour les chofes facrées.
Allez, tous vos difcours ne me font point de peur;
Je fçai comme je parle, & le Ciel voit mon cœur.
De tous vos Façonniers on n'eft point les esclaves,
Il est de faux Devots ainfi que de faux Braves;
Et comme on ne voit pas qu'où l'honneur les con-
duit,

Les vrais Braves font ceux qui font beaucoup de bruit;

Les bons & vrais Devots qu'on doit fuivre à la

trace,

Ne font pas ceux auffi qui font tant de grimace.
Hé quoy! vous ne ferez nulle diftinction
Entre l'Hypocrifie & la Devotion?

Vous les voulez traiter d'un femblable langage,
Et rendre même honneur au mafque qu'au vifage?
Egaler l'artifice à la fincerité ;

Confondre l'apparence avec la verité;

Eftimer le fantôme autant que la perfonne,
Et la fauffe monnoye à l'égal de la bonne ?
Les hommes la plufpart font étrangement faits!
Dans la jufte nature on ne les voit jamais,
La raison a pour eux des bornes trop petites.
En chaque caractere ils paffent les limites;
Et la plus noble chose ils la gâtent souvent,
Pour la vouloir outrer & pouffer trop avant.
Que cela vous foit dit en paffant, mon Beau-frere.
ORGON.

Oui, vous eftes fans doute un Docteur qu'on revere;

Tout le fçavoir du monde eft chez vous retiré;
Vous eftes le feul Sage & le feul éclairé,

Un Oracle, un Caton dans le Siecle où nous fom

mes,

Et prés de vous ce font des fots que tous les hom

mes.

CLEAN T E.

Je ne fuis point, mon frere, un Docteur reveré,
Et le fçavoir chez moy n'eft pas tout retiré.
Mais en un mot je fçai pour toute ma science
Du faux avec le vrai faire la difference:
Et comme je ne vois nul genre de Heros
Qui foient plus à prifer que les parfaits Devots;
Aucune chose au monde & plus noble & plus belle,
Que la fainte ferveur d'un veritable zele;
Auffi ne vois-je rien qui foit plus odieux
Que le dehors plâtré d'un zele fpecieux;
Que ces francs Charlatans, que ces Devots de place,
De qui la facrilege & trompeufe grimace
Abufe impunément, & fe joue à leur gré,
De ce qu'ont les Mortels de plus faint & facré.
Ces gens, qui par une ame à l'intereft foumife,
Font de devotion métier & marchandise.

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