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bien dont ils préviennent la bonne foy, & qui par la chaleur qu'ils ont pour les interefts du Ciel, font faciles à recevoir les impressions qu'on veut leur donner. Voilà ce qui m'oblige à me défendre. C'eft aux vrais Devots que je veux par tout me juftifier fur la conduite de ma Comedie ; & je les conjure de tout mon cœur de ne point condamner les chofes avant que de les voir; de Se défaire de toute prévention, & de ne point fervir la paffion de ceux dont les grimaces les des-honorent.

Si l'on prend la peine d'examiner de bonne foy ma Comedie, on verra fans doute que mes intentions y font par-tout innocentes, & qu'elle re tend nullement à jouer les chofes que l'on doit reverer; que je l'ai traitée avec toutes les précautions que demandoit la délicateffe de la matiere; & que j'ai mis tout l'art & tous les foins qu'il m'a efté poffible, pour bien diftinguer le perfonnage de l'Hypocrite d'avec celuy du vray Devot. Fay employé pour cela deux Actes entiers à préparer la venue de mon Scelerat. Il ne tient pas un feul moment l'Auditeur en balance, on le connoift d'abord aux marques que je luy donne, & d'un bout à l'autre il ne dit pas un mot, il ne fait pas une action qui ne peigne aux Spectateurs le caractere d'un méchant homme, & ne faffe éclater celuy du veritable Homme de bien, que je luy oppofe.

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Fe Scay bien que pour réponse, ces Mef fieurs tachent d'infinuer que ce n'est point an Theatre à parler de ces matieres : mais je leur demande, avec leur permiffion, furquy ils fondent cette belle maxime. C'est une propofition qu'ils ne font que fuppofer, & qu'i's ne prouvent en aucune façon ; & fans doute il ne feroit pas difficile de leur faire voir que la Comedie chez les Anciens a pris fon origi ne de la Religion, & faifoit partie de leurs mysteres ; que les Espagnols nos voisins ne celebrent guéres de Fiftes où la Comedie ne foit m flée ; & que mesme parmy nous elle doit fa naiffance aux foins d'une Confrairie, à qui appartient encore aujourd'huy Hoftel de Bourgognes que c'est un lieu qui fut donné pour y reprefenter les plus importans Myfteres de noftre Foy qu'on en voit encore des Comedies imprimées en lettres Gothiques, fons le nom d'un Docteur de Sorbonne ; & fans aller chercher si loin, que l'on a joué de nostre temps des Pieces faintes de Monfieur de Corneille, qui ont efté l'admiration de toute la France.

Si l'employ de la Comedie eft de corriger les vices des hommes, je ne vois pas par quelle raifon il y aura des privilegiez. Celuy-cy cft dans l'eftat d'une confequence bien plus dangerenfe que tous les autres ; & nous avons vers

que le Theatre a une grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d'une ferieufe Morale font moins puiffans le plus fouvent, que ceux de la Satyre; & rien ne reprend mieux la plupart des hommes, que la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices › que de les expofer à la rifée de tout le monde. On fouffre aisément des reprehenfions, mais on ne fouffre point la raillerie. On vent bien eftre méchant, mais on ne veut point eftre ridicule.

On me reproche d'avoir mis des termes de pieté dans la bouche de mon Impofteur : Et pouvois-je m'en empêcher, pour bien repre fenter le caractere d'un Hypocrite? Il fuffit, ce me femble, que je faffe connoistre les motifs criminels qui luy font dire les chefes, & que j'en aye retranché les termes confacrez, dont on auroit eu peine à luy entendre faire un manvais ufage. Mais il debite au quatrième Alle une Morale pernicienfe. Mais cette Morale eft-elle quelque chofe dont tout le monde n'eust les oreilles rebattues? dit-elle rien de nouveau dans ma Comedie? & peut-on craindre que des chofes fi generalement détestées, faffent quelque impreffion dans les efprits? que je les rende dangereuses, en les faifant monter fur le Theatre ? qu'elles reçoivent quelque autorité de la bouche d'un Scelerat ? Il n'y a nulle appa

rence à cela; & l'on doit approuver la Comedie du Tartuffe, ou condamner generalement toutes les Comedies.

C'est à quoy l'on s'attache furieufement depuis un temps; & jamais on ne s'eftoit fi fort déchaîné contre le Theatre. Je ne puis pas nier qu'il n'y ait eu des Peres de l'Eglife, qui ont condamné la Comedie; mais on ne peut pas me nier auffi qu'il n'y en ait eu quelques-uns qui l'ont traitée un peu plus doucement. Ainfi l'autorité dont on prétend appuyer la Cenfure, eft détruite par ce partage; & toute la confequence qu'on peut tirer de cette diverfité d'opinions en des efprits éclairez des mefmes lumieres, c'est qu'ils ont pris la Comedie_differemment ; & uns l'ont confiderée dans fa pureté, lors autres l'ont regardée dans fa corruption, & confondue avec tous ces vilains Spectacles qu'on a eu raifon de nommer des Spectacles de turpitude.

que

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Et en effet, puis qu'on doit difcourir des chofes, & non pas des mots, & que la pluspart des contrarietez viennent de ne se pas entendre, & d'envelopper dans un mefme mot des chofes opposées, il ne faut qu'ofter le voile de l'équivoque, & regarder ce qu'est la Comedie en foy, pour voir fi elle est condamnable. On connoiftra fans doute, que n'eftant autre chofe qu'un Poëme ingenieux, qui par des le

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que

çons agreables reprend les défauts des hommes, on ne sçauroit la cenfurer fans injustice. Et fi nous voulons ouir là-deffus le témoignage de l'Antiquité, elle nous dira que fes plus celebres Philofophes ont donné des louanges à la Comedie, eux qui faifoient profession d'une fageffe fi austere, & qui crioient fans ceffe aprés les vices de leur Siecle. Elle nous fera voir qu' Ariftote a confacré des veilles au Theatre; & s'est donné le foin de reduire en preceptes Part de faire des Comedies. Elle nous apprende fes plus grands Hommes, & des premiers en dignité, ont fait gloire d'en compofer eux-mefmes; & qu'il y en a d'autres, qui n'ont pas dédaigné de reciter en public celles qu'ils avoient compofees; que la Grece a fait pour cet Art éclater fon eftime par les prix glorieux, & par les fuperbes Theatres dont elle a voulu l'honorer; & que dans Rome enfin ce mesme Art a receu auffi des honneurs extraordinaires: Je ne dis pas dans Rome débauchée, & fous la licence des Empereurs, mais dans Rome difciplinée, fous la fageffe des Confuls, & dans le temps de la vigueur de la vertu

Romaine.

Favouë qu'il y a eu des temps où la Comedie s'eft corrompue. Et qu'est-ce que dans le monde on ne corrompt point tous les jours? Il n'y a chofe fi innocente, où les hommes ne

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