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les élections générales avaient été hautement annoncées pour clôture de la session.

La fusion récente des deux fractions les plus importantes de l'opposition donnerait à la lutte électorale une signification toute nouvelle.

Mais les débats de l'Adresse devaient, par cela mème, perdre la gravité qui s'attache d'ordinaire aux questions de cabinet; peut-être, en compensation, allaient-ils y gagner en grandeur réelle, les personnalités s'effaçant devant les intérêts généraux du pays. Aussi les discussions de la Chambre des pairs eurentelles cette année une importance et une étendue peu habituelle.

La discussion de l'Adresse à la Chambre des pairs s'ouvrit, le 8 janvier, par un sérieux débat sur les ordonnances du 7 décembre 1845 et sur la réorganisation du conseil royal de l'Université (voyez le texte de ces ordonnances dans l'Annuaire de 1845, Histoire de France, p. 343, Appendice, p. 30).

M. le vicomte Villiers du Terrage prit le premier la parole. L'honorable orateur se préoccupe surtout, on le sait, des tendances morales et religieuses du gouvernement. Rappelant l'heureuse solution de l'affaire des jésuites, M. Villiers du Terrage accordait que la négociation avec la cour de Rome avait été habilement conduite, quoique peut-être il eût été à désirer qu'elle parût plus au grand jour, qu'elle fût revêtue d'une forme solennelle; mais ce qu'il y avait eu de regrettable, c'était la polémique violente qui avait précédé cette heureuse solution, rendue si facile par la sagesse de cette Rome tant calomniée. On avait trop dit qu'on cédait à l'état de l'opinion publique, à des préventions devenues générales. Cette atteinte, portée aux principes conservateurs, n'avait pas été sans danger pour le parti lui-même et pour la morale publique. En effet, l'affaire du Collège de France n'avait pas tardé à succéder à celle des jésuites, et on avait vu les ennemis du catholicisme mettre leur orgueil à le poursuivre, à l'attaquer sous toutes les formes et par tous les moyens.

Qu'avait-on voulu au fond, continuait l'orateur, dans cette lutte contre les jésuites? Les coups qu'on leur portait ne s'adressaient-ils pas plus haut? C'est ce que sans doute on apprendrait bientôt, lorsque le projet de loi sur l'enseignement serait soumis à une discussion nouvelle.

M. Villiers du Terrage n'entendait pas appeler sur l'enseignement, plus que sur l'exercice d'aucun autre des droits civils, le fol excès d'une licence illimitée. Mais lorsqu'on marchait au renversement du christianisme, le christianisme n'était-il pas en droit d'invoquer, de la part de l'instruction publique, quelques garanties? Ces garanties, l'orateur, confiant dans les lumières et dans le caractère élevé de M. le ministre de l'instruction publique, s'attendait à les trouver incrites dans le nouveau projet; sans doute, M. de Salvandy ne soutiendrait devant les Chambres que des principes qui peuvent servir de base à la fois à la morale religieuse, à la liberté des familles, à la force des études. Une émulation calme, une sage concurrence, pourraient seules parvenir à ce but, qu'en présence du travail redoutable qui agite la société européenne, et qui s'attaque à la politique par la religion, il était si désirable de voir bientôt atteindre.

A ces nobles paroles, M. Cousin répondit par un blâme franchement exprimé contre les ordonnances modificatrices du conseil royal de l'Université.

L'ancien ministre voyait un danger sérieux dans cet acte ministériel préparé dans l'ombre, et qui était venu tout à coup troubler la paix du département de l'instruction publique, remuer ses deux grandes magistratures, les conseils académiques au sein de chaque province, et le conseil royal au sommet de la hiérarchie. Cet acte ébranlait tout, sous le prétexte de tout raffermir; il agitait le présent, il menaçait l'avenir.

L'éloquent orateur faisait, en termes piquants, à M. le ministre de l'intruction publique un reproche au reste assez flatteur, celui d'aimer trop la gloire, «et, ajoutait-il, on ne peut pas acquérir de gloire dans l'Université, surtout en un jour. >>

« A la longue, on peut s'y faire honneur par une administration régulière et

vigilante, par l'esprit d'ordre et de suite; mais ce n'est pas un lieu où l'on se puisse illustrer par des exploits éclatants et inattendus. De trop grands esprits seraient mal à l'aise dans une aussi étroite enceinte. Nous ne comportons que des services obscurs, un mouvement réglé et tempéré. M. le ministre se complaît dans les souvenirs de l'époque impériale; qu'il me permette donc de lui rappeler un grand mot de Napoléon : « L'Université écrivait l'empereur à son premier grand maître, dans des instructions dignes d'être méditées, l'Université doit marcher comme le monde, sans bruit. »

« Aujourd'hui le bruit et l'agitation sont comme à l'ordre du jour de l'Université. Tout est en mouvement, tout est en feu. Des ordonnances, sur lesquelles le conseil n'a pas même été consulté, et qu'il apprend par le Moniteur, tombent chaque jour sur nos têtes, renouvelant tout, bouleversant tout, et cela dans la meilleure intention du monde, pour rétablir l'ordre, troublé, dit-on, depuis trente années. »

N'était-ce pas là un triomphe éclatant remporté par les adversaires de l'Université, et en particulier par M. le comte de Montalembert, M. le comte Beugnot et M. le marquis de Barthélemy? En effet, leur principal argument contre le conseil royal de l'instruction publique avait été une accusation d'illégalité et de tyrannie, accusation étrange cependant en présence des votes consécutifs par lesquels ce comité était maintenu, en présence de la mention qui en est faite dans la grande loi de 1833 sur l'instruction primaire.

Aujourd'hui on voyait revenir à cette opinion sur l'obligation du comité, qui? le grand maître de l'Université lui-même, le ministre de l'instruction publique. M. le ministre, dans le rapport au Roi qui précède les ordonnances, déclarait, en effet, que le comité de l'instruction publique ne repose point sur des bases légales, qu'il n'existe qu'à titre provisoire, à tel point (ce sont les termes même du rapport) qu'encore aujourd'hui toutes ses délibérations en portent nécessairement l'empreinte.

Quoi! s'écriait M. Cousin, toutes les délibérations du comité, depuis 1815, sont illégales! Mais, parmi ses délibérations, il y a des décisions judiciaires. Son illégalité se répand sur tous ses actes et les frappe tous de nullité.

Et non-seulement l'organisation actuelle du comité est illégale et provisoire, mais encore vicieuse en elle-même. Le con

seil, est-il dit dans le rapport, est trop peu nombreux pour qu'il y ait des débats réels. On y réclame des conseillers désintéressés des luttes et des engagements de la politique. N'étaient-ce pas là d'étranges accusations? ajoutait l'orateur.

Mais, au fond, quel était le but, au moins apparent, des ordonnances du 7 décembre? C'était de restituer au conseil de l'instruction publique la légalité qu'il possédait en 1808 et qu'il avait perdue en 1845, d'abroger tout ce qui n'était pas conforme au décret constitutif de 1808, et de déclarer nulles les ordonnances de toutes les époques qui, contrairement aux prescripcriptions du titre IX du décret de 1808, ont modifié la première ordonnance du conseil, et par là lui ont enlevé son autorité légale. La conséquence naturelle de ce raisonnement, c'était que le décret de 1808 fût remis tout entier en vigueur. En effet, il n'y a qu'une loi en vigueur qui puisse communiquer la force légale qui est en elle à quelques-unes de ses parties. Déclarer que nulle ordonnance n'a le droit de toucher au titre IX du décret de 1808, c'était déclarer que nulle ordonnance n'avait eu le droit de toucher aux autres titres, c'était déclarer l'inviolabilité du décret tout entier.

Mais si le décret de 1808 était une loi, le décret de 1811 en était une aussi. Ce second décret était organique comme le premier; le conseil d'Etat les avait placés tous deux au même rang; les tribunaux les appliquaient également. Il n'y avait pas un argument en faveur de la légalité de l'un qui ne fût pour la légalité de l'autre. Pourquoi donc le rapport au Roi et les ordonnances gardaient-ils le silence sur le décret de 1811? Cependant toute la constitution judiciaire du conseil n'était, à vrai dire, que dans ce dernier décret. Là seulement étaient déterminées, avec précision, les formes de l'instruction, celles de la procédure, et toute la marche du conseil en matière disciplinaire. Ou les décrets pouvaient être également modifiés par ordonnance, ou nul des deux ne pouvait l'ètre, et ils devaient avoir tous deux leur plein et entier effet. On ne scinde point des lois connexes, encore bien moins des titres divers d'une mème loi.

Ainsi donc, continuait l'ancien ministre de l'instruction publique, l'Université impériale allait reparaître tout entière. Après la gloire de l'avoir fondée, restait celle de la rétablir. Sans doute, cet enthousiasme était sincère; mais il menaçait en quelque sorte d'accabler l'Université sous elle-même. Sans doute, le décret organique de 1808 avait été une grande chose, mais il fallait savoir y discerner ce qui est excellent et ce qui est défectueux, ce qui est immortel et ce qui est temporaire.

Et d'abord, le décret de 1808 n'était pas une loi au sens que nous attachons aujourd'hui à ce mot, c'est-à-dire une résolution émanée du gouvernement. livrée quelque temps à l'examen universel, soumise à l'épreuve d'une discussion solennelle au sein des pouvoirs publics et revêtue ensuite de la sanction du chef de l'Etat. L'Université n'était-elle donc pas assise sur une loi véritable? L'Université, répondait l'orateur, a sa loi, sa grande loi de 1806, discutée et votée par les deux Chambres de cette époque. Cette loi exprime fidèlement le génie de la Révolution et de l'Empire, et se propose avant tout d'affermir et de perpétuer l'unité nationale par l'unité de l'instruction publique. De plus, elle consacre l'expérience de tous les temps en confiant l'éducation de la jeunesse à la seule administration appropriée à la nature de ce service public. La loi de 1806 n'a que deux articles qui concernent ce qu'il y a d'impérissable dans l'Université. Le premier déclare le droit de l'Etat sur toutes les écoles, privées ou publiques, et remet ce droit entre les mains d'un corps. Le second détermine la nature de ce corps : c'est un corps civil dont tous les membres contractent des obligations spéciales et temporaires. Tel est le fondement ferme et solide sur lequel s'élève l'Université. Quant à l'organisation détaillée du corps enseignant, elle a été procurée par deux décrets impériaux délibérés en conseil d'Etat, comme le sont aujourd'hui les ordonnances portant règlement d'administration publique. Ces décrets ont force de loi, mais on ne peut les mettre et on ne les a jamais mis sur le même rang que la loi de 1806.

Or, continuait M. Cousin, si la France a subi de grands

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