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litique. Du moment qu'on commençait à procéder en ce sens, et surtout par ordonnance, il n'y avait plus inconvénient, il y avait nécessité à discuter franchement, complétement. Quand on parlait, d'une part, des droits de l'État, d'autre part, des droits de la famille, il y avait obscurité et danger. L'heure était venue, et le projet était mûr.

Tout en remerciant l'illustre orateur d'avoir établi que les questions si graves que soulève tout projet de loi sur la liberté de l'enseignement devaient être mises au-dessus des questions de partis, M. de Salvandy fit observer que, ce que l'honorable M. Thiers disait, le gouvernement s'attachait à le pratiquer. C'est parce que le gouvernement pensait et agissait dans ce sens, qu'il lui avait paru que des intérêts de cette nature ne sauraient être mêles à des combinaisons accidentelles de partis. C'est pour cela que M. le ministre n'acceptait pas aujourd'hui une discussion qui, dans tout le cours de l'année dernière, avait pu être ouverte et ne l'avait été par personne. On parlait de convenance et d'un sentiment de réserve naturel après une modification du ministère; mais si, à cette époque, on avait interpellé le nouveau ministre de l'instruction publique sur la question de savoir s'il était prêt à accepter le débat, le ministre aurait pris alors, avec le Cabinet tout entier, la responsabilité de la discusssion ou de l'ajournement.

L'ordonnance du 7 décembre pouvait-elle être considérée comme un motif déterminant de la résolution à laquelle les deux chefs de l'opposition venaient de s'arrêter? Cela paraissait peu probable, puisque, dans la longue et solennelle discussion de l'Adresse, il ne s'était mêlé à aucun discours la pensée que la discussion de la loi qui était pendante dût être la conséquence de l'ordonnance nouvelle. On avait, au contraire, généralement vu là un motif pour la présentation d'une nouvelle loi.

L'honorable M. Barrot avait paru confondre deux questions distinctes, la question de la liberté d'enseignement, les formes, conditions et garanties sous lesquelles vivraient les institutions

privées et les institutions dirigées par l'État. La loi pendante devant la Chambre ne touchait pas à ce dernier ordre d'idées. La commission avait soigneusement évité, dans son rapport, toute confusion entre ces deux prineipes, entre ces deux législations. M. de Salvandy ne voulait pas consentir à les laisser confondre. Cette question de l'organisation du conseil royal de l'Université, il ne la laisserait pas résoudre par une loi spéciale, au moins avant qu'une expérience suffisante n'eut consacré ou démenti la pensée qui l'avait instituée.

On avait parlé du calme des esprits : c'est pour ne pas réveiller les passions endormies, pour ne pas troubler d'une façon inopportune et improductive une bonne situation, que le gouvernement refusait le débat.

M. Odilon Barrot s'étant plaint qu'on fît à la Chambre l'injure de déclarer par anticipation son impuissance et son décès, et ayant paru croire qu'il y avait derrière les motifs apparents la pensée peu loyale de transporter la question de la Chambre dans les colléges électoraux, M. Guizot répondit que la manière la plus respectueuse de décliner un débat inutile et dangereux était sans doute d'appeler la Chambre à délibérer sur le projet, au lieu de le retirer soi-même. Ce n'était pas une injure pour la Chambre que de lui rappeler la fin de la législature, la sagesse d'un parlement étant de ne pas commencer, vers la fin de sa carrière, des entreprises qui ne doivent être essayées que pour être résolues. Agir autrement, c'eût été faire de cette question le drapeau momentané d'un parti.

Le motif le plus grave pour l'ajournement, c'était, ajouta M. le ministre des affaires étrangères, l'ordonnance du 7 décembre, qu'on invoquait comme raison déterminante d'une reprise. A côté de la question de la liberté d'enseignement et de l'instruction secondaire, s'était produite celle du gouvernement central et suprème de l'instruction publique. On s'était aperçu qu'il y avait là aussi d'importantes modifications à apporter pour mettre ce gouvernement en rapport avec la liberté d'enseignement qui devait être le résultat de la promesse de la

Charte, et qui était l'objet du projet de loi sur l'instruction secondaire.

La question s'était étendue et compliquée en même temps; cette complication avait amené la modification du gouvernement central, expérience nouvelle qui avait besoin d'être suivie pendant quelque temps pour qu'on pût apprécier les modifications qui devraient être apportées par la loi au gouvernement central de l'instruction publique.

Le gouvernement voyait donc une inopportunité flagrante à la discussion de questions semblables, ce qui ne lui faisait, au reste, récuser en aucune façon la nécessité d'une loi.

M. Thiers se récria contre l'obscurité des paroles du ministre: c'étaient là des généralités exprimées dans le plus noble langage, mais ce n'étaient que des généralités. On reconnaissait, d'une part, le droit de l'État; de l'autre, on reconnaissait aussi le droit des familles, et cela de manière à s'attirer des approbabations auxquelles, selon M. Thiers, le gouvernement de Juillet n'aurait pas dû tendre: c'était là flatter les partis, mais non répondre.

En résumé, le Cabinet fuyait-il la discussion, et ne croyait-il la Chambre bonne qu'à voter le budget?

M. Berryer déclara, à son tour, avoir voulu d'abord s'opposer à tout ajournement de la question. Adversaire décidé du système établi dans le rapport, il n'eût pas reculé devant la discussion: mais il lui paraissait, à cette heure, que le rejet de la reprise dût étre une forme de retrait d'une loi qu'il regardait comme mauvaise, et, en même temps, la promesse d'une loi nouvelle basée sur des doctrines plus libérales. M. Berryer s'associait donc aux partisans du rejet de la reprise.

Malgré les efforts de M. Thiers, qui cherchait à arracher à M. le ministre des affaires étrangères une parole d'approbation ou d'improbation pour ou contre le projet en état de rapport, la discussion dut être close, et le scrutin de division sur la proposition donna pour résultat une majorité de 67 suffrages pour le rejet; 211 contre 144 (21 février).

Proposition relative aux incompatibilités. M. de Rémusat présenta, le 16 mars, aux discussions de la Chambre. des députés, une proposition relative aux incompatibilités. Cette proposition était ainsi conçue :

Art. 1er. Les membres de la Chambre des députés qui ne sont pas fonctionnaires publics salariés au jour de leur élection ne peuvent le devenir pendant qu'ils font partie de la Chambre, ni pendant l'année qui suit l'expiration de leur mandat.

Art. 2. Cette disposition ne s'applique pas aux fonctions:

1° De ministre ;

2o D'ambassadeur et de ministre plénipotentiaire ;

3o De sous-secrétaire d'Etat ;

4o De procureur général pres la Cour de cassation;

5o De procureur général près la cour royale de Paris;

6o De commandant en chef de la garde nationale de Paris.
7° De gouverneur des possessions françaises en Algérie;
8° De grand chancelier de la Légion d'Honneur;

9o De gouverneur de la Banque ;

Art. 3. L'interdiction prononcée par l'article 1er n'est pas applicable aux députés qui rentreraient dans les fonctions publiques après en être sortis pendant la durée de leur mandat législatif.

Art. 4. Les députés qui exercent des fonctions publiques salariées au moment de leur élection ne peuvent être promus, sauf les cas prévus en l'art. 2, qu'à des fonctions d'un degré immédiatement supérieur, et dans l'ordre hiérarchique et régulier des divers services publics auxquels ils appartiennent. Art. 5. Il y a incompatibilité entre les fonctions de député et celles :

1° De procureur général, d'avocat général et de substitit du proc reur général près les cours autres que la Cour de cassation, la Cour des comptes et la cour royale de Paris;

2o De procureur du Roi et de substitut du procureur du Roi près les tribunaux de premiere instance;

3o D'ingénieur en chef et ordinaire des départements,

4o De secrétaire général, directeur général, direc eur, chef de division et employé des ministères.

Art. 6. Les présidents et juges des tribunaux de première instance ne pourront être élus députés par le collége electoral de l'arrondissement dans lequel ils exercent leurs fonctions.

Art. 7. Ces dispositions seront mises en vigueur à l'époque des prochaine élections générales. ›

Cette proposition n'était pas nouvelle. Patronée successivement par MM. Gauguier, Remilly, Ganneron (voyez les précédents Annuaires), elle avait, sous toutes ses formes, échoué devant la Chambre.

M. Hébert, rapporteur, concluait, au nom de la commission, au rejet pur et simple de la proposition.

M. Corne voyait dans les destitutions récentes de fonctionnaires publics (M. Drouyn de Lhuys) un argument irrésistible pour les incompatibilités. Il y avait donc dans la Chambre des subordonnés pouvant être punis par leur chef, des fonctionnaires dépendants; cela était incompatible avec la dignité parlementaire.

M. de Bussières pensait, au contraire, qu'en croyant donner de la liberté au corps législatif, on n'arriverait qu'à affaiblir le corps électoral. Il y avait, selon l'honorable député, d'étranges contradictions dans la proposition. Ainsi, d'une part, on reconnaissait que certains fonctionnaires ne peuvent être, sans inconvénient, détournés de leurs fonctions, des procureurs du Roi, des juges, par exemple; tandis que, d'un autre côté, certains autres fonctionnaires étaient reconnus pouvoir, sans inconvénient, se dispenser de remplir leurs fonctions, comme un ambassadeur, un gouverneur général de l'Algérie. Pourquoi ces injustices, ces inégalités ?

On parlait de destitutions; mais il n'y avait, dans un fait isolé, rien qui pùt compromettre l'indépendance de la Chambre, lorsque tant de fonctionnaires faisaient impunément au Cabinet une opposition systématique. Il n'était pas rare d'ailleurs de voir des démissions spontanées plus honorables, sans doute, que celles qui résulteraient d'une coaction légale.

Au fond, M. de Bussières cherchait quelle pourrait être la nécessité d'une disposition légale, lorsque déjà, à l'égard des députés nommés à des fonctions publiques, il existait la garantie résultant de la loi qui les soumet à la réélection.

M. de Lafarelle se séparait de la majorité, dans cette circonstance; sans approuver pleinement et sans adopter la proposition, l'honorable député en trouvait le principe salutaire. A ses yeux, l'affaiblissement graduel, incontestable de quelques-uns des ressorts parlementaires, pouvait faire craindre pour l'influence morale de la Chambre sur le pays, pour l'action con

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