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vahissement d'un corps étranger dans ce qui lui est le plus intime, dans ce qui fait le plus essentiellement partie de ses droits, M. le ministre avait cherché à se rendre compte des motifs qui avaient dirigé la Chambre des pairs dans son vœu de voir destituer le conseil royal de la prérogative dont il était investi jusqu'alors. Il avait compris que l'Université, chargée d'une tache quotidienne immense, appelée de plus en plus à parer à toutes les luttes, à toutes les difficultés, à toutes les résistances, avait besoin d'une organisation forte, éclairée, bien ordonnée. Il lui avait semblé que toutes ces conditions n'étaient pas remplies, et il avait dù demander à la couronne le droit et le moyen de rétablir l'autorité dans le pouvoir responsable, la délibération dans le conseil de l'instruction publique, de restituer en même temps l'indépendance aux personnes, la force et la dignité au corps.

Qu'était-ce que l'Université, que devait-elle être, qu'avait-elle été naguère encore? L'Université est un grand corps qui administre l'instruction publique à toutes les classes de la société en France, par elle-même, quand il s'agit des établissements publics, par la surveillance qu'elle exerce au nom de ses décrets et de ses lois sur les établissements particuliers. Ce n'est pas seulement une administration, c'est une hiérarchie. C'est ce qui fait sa force et sa dignité : cette hiérarchie a ses conditions d'existence de gouvernement qui lui sont propres. A la tète de cette hiérarchie est placé un sénat, composé d'éléments distincts, représentant tous les besoins, tous les services, tous les renseignements, propre à délibérer sur toutes les grandes questions qui peuvent se produire, et assez nombreux pour que ses délibérations soient réelles.

Or, continuait M. le ministre, quel était l'état des choses avant les ordonnances du 7 décembre? Les services de ce conseil et de l'administration proprement dite étaient confondus sur tous les points. Entre le ministre et les bureaux se plaçaient les conseillers, dépositaires chacun d'une des branches du département de l'instruction publique. Que restait-il au ministre?

rien. Qu'avaient les conseillers? tout. Les conseillers restaient quand les ministres passaient. Or, quelle est la dépendance des bureaux d'une administration vis-à-vis du ministre, quand entre ces bureaux et le ministre est placé un personnage élevé, souvent politique, toujours considérable, permanent, inamovible, ou croyant l'être, qui est là toujours, qui a des opinions faites sur toutes les choses, sur toutes les personnes, qui entend avec raison que ces opinions soient appliquées, et qu'elles s'appliquent et aux personnes et aux choses, et qui exerce vis-à-vis du bureau une autorité qui sera nécessairement absolue pendant longtemps quand le ministre est encore nouveau dans le département, qui se perpétuera encore après, parce qu'elle est établie, parce qu'elle est ancienne, parce qu'elle doit durer, parce que le personnage a pu être ministre et le redevenir.

Pouvait-on souffrir plus longtemps un pareil état de choses, un régime mauvais pour l'administration quotidienne des affaires, mauvais malgré les personnes, mauvais malgré leur zèle, leur dévouement, mauvais en principe, car il était contraire à l'ordre de l'administration en France, mauvais en fait, car il était contraire à la prompte exécution des affaires?

Sur quoi reposait l'existence du conseil royal, sinon sur le décret de 1808? Où était le principe de la permanence des membres du conseil, sinon dans ce décret? Était-ce une ordonnance qui avait déclaré ainsi inamovible une commission du gouvernement? Cette inamovibilité, on l'avait défendue, réclamée toujours en l'appuyant sur le décret de 1808, sans réfléchir que les conseillers inamovibles ou titulaires, selon ce décret, supposaient des conseillers amovibles et ordinaires, que le premier ordre n'existait qu'à la condition qu'existât le second ordre.

Le conseil royal ne pouvait donc, ni pour les personnes, ni pour les choses, ni en ce qui touchait les prérogatives, ni en ce qui touchait les attributions, revendiquer un droit qu'il ne s'appuyat sur le décret, qu'il ne l'empruntât au décret; il n'avait Ann. hist. pour 1846.

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force et autorité qu'en vertu du décret, mais il n'en tirait pas son origine.

Ainsi donc, il y avait utilité pour l'Université, droit pour l'ordonnance de modifier l'état de choses existant. Le droit, on ne l'avait pas contesté, et, si on le faisait, la réponse serait facile. Car, de deux choses l'une : ou les ordonnances sur lesquel'es le conseil royal de l'instruction publique se fondait avaient été rendues régulièrement, légalement, sans violer les lois du pays, et alors une ordonnance avait pu défaire ce qu'une ordonnance avait fait, elle avait pu modifier le régime supérieur de l'Université; ou le décret était loi de l'État, les ordonnances qui avaient détruit l'organisation du conseil de l'instruction publique avaient été en ce point irrégulières, excessives, avaient dépassé la limite des pouvoirs de l'ordonnance royale, et alors l'ordonnance avait pu pour ce point, comme il avait été fait pour tous les autres points essentiels, rendre au décret force et vertu.

Certes, ajoutait M. de Salvandy, il était facile de trouver dans le décret que tel article était tombé en désuétude, que tel autre avait reçu dans l'application des modifications considérables, que tel autre avait été établi par ordonnance. Mais ce qui restait au fond, c'est que l'organisation pleine et entière de l'Université reposait sur le décret de 1808; que, si on avait le malheur d'ébranler cette base, l'ordonnance sur laquelle le conseil royal était appuyé, et qui ne tendait à rien moins qu'à abolir toutes les institutions existantes en fait d'enseignement, se trouverait avoir raison aujourd'hui encore; il n'y aurait plus dans le pays un devoir, une autorité en fait d'enseignement public.

Il fallait repousser un principe qui porterait de telles conséquences. Il y avait, il est vrai, des dispositions réglementaires, nullement inhérentes à la constitution même de l'Université et de l'enseignement public, qui étaient tombées en désuétude, et qui aujourd'hui étaient inexécutées. Le malheur de l'ancien régime, son infériorité vis-à-vis du nôtre, c'était que les pouvoirs

n'y étaient pas aussi rigoureusement équilibrés qu'aujourd'hui, que quelques-uns d'entre eux, originairement, réunissaient des pouvoirs aujourd'hui séparés. Il n'y a pas un acte des divers pouvoirs de la Révolution ou de l'Empire qui ne renferme à la fois des dispositions législatives. Depuis, les tribunaux ont consacré et les Chambres ont professé la doctrine que c'est particulièrement aux pouvoirs publics à savoir faire le départ, à modifier réglementairement ce qui est réglementaire, législativement ce qui est législatif, et à conserver par lå à la loi même le caractère auguste et sacré qu'elle doit toujours avoir. C'est là la tâche qu'avait voulu remplir M. le ministre de l'instruction publique en défendant, dans le décret de 1808, tout ce qu'il renferme de constitutif.

M. le comte Beugnot, qui prit ensuite la parole (9 janvier), voyait, dans l'ordonnance du 7 décembre, l'intention de rétablir le pouvoir ministériel dans la situation exigée par la Charte. La responsabilité des ministres, ce n'est pas seulement, disait l'honorable pair, une menace dirigée contre eux, c'est encore la consécration du droit d'un peuple libre de se gouverner luimême. Les ministres n'étant que les agents de la volonté nationale exprimée par la majorité dans les deux Chambres, il est à désirer, pour que les ministres puissent obéir en tout au vœu national dont les Chambres sont les organes, qu'ils soient complétement libres dans leur action. Plus ils seront libres, plus les droits du pays seront garantis, et plus la prérogative des Chambres sera assurée; et ils seront d'autant plus libres, que leur responsabilité sera plus étendue, plus complète. Or, dans un pays où existe la liberté de l'enseignement, qu'arriverait-il si la direction de cet enseignement pouvait être abandonnée à la volonté, au libre arbitre de dix ou trente personnes irresponsables, inamovibles, qui pourraient méconnaître la volonté des ministres, braver le vœu des Chambres, et qui n'auraient à rendre compte de leurs actes qu'à eux-mêmes ? Une telle organisation serait l'organisation mème du désordre.

Rétablir son pouvoir ébranlé et divisé, maintenir intacte sa

responsabilité, c'est ce qu'avait voulu faire M. le ministre. Avaitil réussi ?

Et d'abord, quelle était la situation du conseil royal, tué par l'ordonnance du 7 décembre? Il n'y avait là, véritablement, que des conseillers. Presque aucun de leurs actes n'était exécutoire de plein droit, eux-mêmes n'avaient aucun moyen d'action directe, immédiate, et, en définitive, ils ne pouvaient que proposer ce que le ministère avait toujours le droit de refuser. Quel était, dans cet ordre de choses, l'autorité vraie du ministre? Non-seulement il avait le droit d'opposer un veto absolu aux délibérations du conseil royal, mais il pouvait faire spontanément, librement, sans le conseil de personne, tous les actes de son administration; et lorsqu'un dissentiment grave éclatait entrelui et son conseil, il demandait au Roi une ordonnance contre ou sans l'avis du conseil. L'ordonnance du 7 décembre n'avait pas été assurément délibérée en conseil royal, et cependant on n'en attaquait pas la légalité, on ne faisait qu'en condamner les conséquences.

Toutes les fois qu'un ministre de l'instruction publique avait voulu conquérir sur le conseil royal ses droits envahis, il l'avait pu. Ce n'était donc pas l'organisation qui était vicieuse, et un ministre consciencieux et ferme ne pouvait jamais être gêné par un pouvoir parasite qui tirait toute sa force de la tolérance ou de la faiblesse de quelques ministres. L'ancien conseil avait une base vraiment légale et constitutionnelle. Corps amovible placé près d'un ministre omnipotent, il ne pouvait faire craindre que les vœux de la nation, exprimés par les deux Chambres, vinssent se heurter contre la volonté irresponsable d'un conseil secret et indépendant, c'est-à-dire souverain. Un tel régime n'était donc pas en désaccord avec nos lois, nos institutions, nos mœurs, et n'apportait aucun obstacle à l'action gouvernementale.

L'honorable pair se demandait ensuite quelle était réellement la situation légale du nouveau conseil. Et d'abord était-il bien possible qu'une institution créée à une époque où aucune voix

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