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seraient en présence et il se manifesterait d'inintelligentes résistances auxquelles il faudrait tenir tête. Mais l'accomplissement d'une œuvre semblable ne serait pas sans gloire.

Tels étaient les devoirs du cabinet, tels étaient les vœux et l'espérance du pays. Ces espérances furent confirmées par les remarquables paroles que M. Guizot adressa, après sa nomination, aux électeurs de Lizieux. Après avoir montré par le tableau général de la France au dedans et au dehors que l'ordre et et la paix étaient aujourd'hui hors de page, M. le ministre ajoutait :

«L'ordre et la paix une fois bien assurés, la politique conservatrice, en veillant toujours assidûment à leur maintien, pourra, devra se livrer aussi à d'autres soins, à d'autres œuvres. Un gouvernement bien assis a deux grands devoirs. Il doit, avant tout, faire face aux affaires quotidiennes de la société, aux incidents, aux événements qui surviennent dans sa vie, sans aller au devant de ces événements, sans chercher des affaires ; c'est bien assez de suffire à celles que la Providence nous envoie et de les conduire sagement. Ce devoir rempli, le gouvernement doit aussi s'appliquer à développer dans la société tous les germes de prospérité, de perfectionnement, de grandeur. Développement tranquille et régulier, qui ne doit point procéder par secousses, ni poursuivre des chimères, mais qui doit s'adresser à toutes les forces saines que possède la société, et lui faire faire chaque jour un pas dans la carrière de ses espérances légitimes. C'est là, sans nul doute, pour la politique conservatrice, un devoir inpérieux, sacré, et c'est là aussi, soyez-en sûrs, messieurs, un but que cette politique seule peut atteindre. Toutes les politiques vous promettront le progrès; la politique conservatrice seule vous le donnera, comme elle a seule pu réussir à vous donner l'ordre et la paix. »

Selon le vœu de la Charte, les membres de la législature nouvelle devaient se présenter devant le Roi et la Chambre des députés se constituer définitivement en attendant la session ordinaire. Le discours royal prononcé à cette occasion (17 août) ne pouvait renfermer autre chose que l'expression des sentiments personnels de Sa Majesté.

Il en fut de même de l'Adresse présentée en réponse par chacune des deux Chambres. Aucune question politique n'y était abordée, et si le dévouement à la personne royale y était l'objet d'une manifestation plus chaleureuse encore que de coutume, c'est que cette personne chère à tant de titres à la France avait

été deux fois encore menacée dans sa vie par les balles des

assassins.

Le 16 avril, au moment où la voiture du Roi longeait un des murs du parc de Fontainebleau, deux coups de feu partirent, à quelques secondes d'intervalle. Le Roi ne fut pas atteint. Les franges du char-à-bancs avaient été coupées par les balles, et une des bourres était tombée aux pieds de la Reine.

Le misérable qui venait de renouveler ainsi un de ces attentats si communs dans les premiers jours du règne se nommait Lecomte, et avait été autrefois garde général du domaine de la

couronne.

Le premier sentiment du pays fut la stupeur. Au milieu de l'ordre et du calme intérieur, lorsque les passions subversives semblaient avoir fait place aux suites régulières des parties, l'indignation générale ne fut pas sans un mélange d'étonnement. On avait oublié depuis longtemps ces jours de triste mėmoire où la royauté nouvelle recevait son baptême de danger, et où l'assassinat du Roi pouvait à chaque instant mettre la France en deuil et l'Europe en feu.

Pourtant il fallut se souvenir, et derrière l'attentat de Lecomte on ne put s'empêcher de revoir ceux de Fieschi, de Meunier, d'Alibaud, de Darmès, de Quénisset. Était-ce un crime isolé que celui qui venait de menacer cette vie que la mort du prince royal eût dû rendre plus respectable encore? Quelquesuns pensèrent que si le crime n'était pas isolé, au moins il devait être politique. Contre les rois, disaient-ils, il n'y a pas de crimes privés. Si l'attentat n'était pas le résultat d'un complot, mais de la perversité d'un seul homme, ne fallait-il pas remonter, pour en trouver la cause, jusqu'aux inspirations du dehors. En un mot, le bras qui avait voulu frapper le Roi n'avait-il pas servi d'instrument à une de ces pensées funestes qui fermentent dans les bas-fonds de la société.

L'opposition vit dans ces doctrines une machine électorale, et M. Thiers, dont le brillant discours dirigé contre l'abus du gouvernement personnel, avait eu un grand retentissement

dans le pays, fut accusé par quelques-uns d'avoir, par ces attaques imprudentes, discrédité la royauté et soulevé contre elle, sans le vouloir sans doute, des haines dangereuses.

Le procès de Lecomte prouva heureusement, devant la Chambre des pairs, que le régicide ne s'était jamais préoccupé de questions de parti. Cet homme, d'un esprit chagrin, d'uné imagination exaltée, d'un caractère indocile, supportant avee impatience et colère le joug de la subordinatiou hiérarchique, avait eu l'esprit tellement frappé par de prétendues injustices, qu'un aveugle besoin de vengeance l'avait poussé à un meurtre. De ses supérieurs immédiats, il était remonté insensiblement jusqu'au Roi lui-même, et après avoir longtemps menacé les uns, il en était venu jusqu'à attenter aux jours du chef de l'État.

Lecomte fut condamné à la peine des parricides.

A peine trois mois s'étaient écoulés depuis cette déplorable tentative, qu'un attentat nouveau vint épouvanter la France.

Le 29 juillet, au moment où, sur le balcon des Tuileries, le Roi saluait la foule assemblée pour les fêtes commémoratives de la révolutoin de 1830, deux coups de pistolet partirent, tirés à une assez grande distance par un homme caché derrière une des statues du jardin. Cet homme se nommait Joseph Henri, et exerçait la profession de fabricant d'objets en acier poli.

Sans doute ce malheureux, en proie à une sombre folie causée par des malheurs de fortune et de famille, n'avait eu d'autre intention que de recourir par cet acte à une sorte de suicide: mais il n'en est pas moins vrai que le pays, encore plongé dans la stupeur causée par un premier crime, crut un moment voir se renouveler les vieilles traditions du régicide. On attribua cet attentat nouveau aux provocations incessantes des partis, on y vit une renaissance de la pensée révolutionnaire.

La cour des pairs fit justice de ces craintes en flétrissant le coupable par la peine infamante des travaux forcés : la cour suprème de justice, tout en détestant cette pensée odieuse qui choisissait le monarque pour en faire l'instrument d'un acte de

désespoir personnel, avait voulu marquer la différence qui existait entre ce crime et le régicide politique.

On peut donc croire que les tentatives de Lecomte et de Henri n'étaient que des anomalies monstrueuses, des accidents indépendants de toute pensée subversive. Toutefois, l'effet en fut profond, et la terreur générale qu'inspirèrent les dangers courus par la personne du Roi, le bonheur de le voir échapper, comme par un miracle incessant de la Providence, aux coups des assassins, ne contribuèrent pas peu à donner à la manifestation électorale plus d'éclat et plus de force.

Cependant la majorité ministérielle, bien qu'évidente pour tous, était encore contestée par quelques-uns. La constitution des bureaux de la Chambre des députés fut le terrain sur lequel se classèrent les partis. Là devait se révéler la véritable valeur de la majorité parlementaire.

La Chambre commença par s'occuper de la vérification des pouvoirs. Beaucoup de protestations s'élevèrent contre des élections dont on accusait la sincérité; mais peu de faits sérieux furent présentés. Une seule élection fut ajournée, celle du nouveau député de Quimperlé, M. Drouillard : on l'accusait d'avoir répandu 150,000 francs parmi ses électeurs. Ce fut là la seule bataille gagnée par l'opposition, parmi tous les engagements auxquels donnèrent lieu les récriminations du parti vaincu.

L'élection de M. Mater, nommé à Bourges, souleva une discussion sur une question importante, celle du mandat impératif. Suivant une protestation adressée à la Chambre par un certain nombre de votants, M. Mater n'avait été élu que parce qu'il avait pris l'engagement envers une partie des électeurs de donner sa démission dans le cours de la législature.

Un engagement de cette nature suffisait-il pour invalider l'élection? La Chambre le pensa, et l'admission de M. Mater ne fut prononcée qu'après la déclaration formelle faite par ce député, qu'aucun engagement pareil n'avait été pris par lui, et qu'il resterait à la Chambre jusqu'à la fin de la législature.

Mais la seconde question et la plus importante était de savoir si des engagements quelconques de ceux qu'on appelle mandats impératifs sont compatibles avec le caractère du député, et avec la nature de nos institutions constitutionnelles. M. de Morny soutint et démontra, dans un discours plein de raison, que le mandat impératif n'étant autre chose que l'engagement pris par le député de voter de telle ou telle manière, la Chambre aurait beau annuler les élections résultant de ces engagements, elle ne pourrait les empêcher. En acceptant ce mandat, dit l'honorable député, le représentant reste dans l'exercice de son droit constitutionnel; il ne fait que voter comme ses collègues, peut-être d'une façon contraire à ses opinions; mais cela ne regarde que lui : c'est une affaire de morale qui ne concerne que lui seul.

Cette doctrine parut à la Chambre conforme non-seulement à la dignité parlementaire et à celle du corps électoral, mais aussi à l'esprit du gouvernement représentatif.

Après ces opérations préliminaires, la Chambre nomma son président. M. Sauzet, candidat habituel du parti conservateur, réunit 223 voix sur 339, c'est-à-dire une majorité de 120 voix. M. Odilon Barrot, candidat de l'opposition, n'obtint que 98 voix.

Trois des candidats conservateurs à la vice-présidence furent élus au premier tour de scrutin, MM. Bignon, Lepelletierd'Aulnay et Hébert. Au second tour de scrutin, M. F. Delessert fut choisi comme quatrième vice-président.

Désormais la majorité était indiscutable.

Un des événements les plus importants de la prospérité future de la France, mais en même temps une des charges les plus lourdes pour le présent, c'était sans contredit l'établissement du réseau de chemins de fer décidé par la loi du 11 juin 1842. Cette nécessité de la civilisation moderne venant s'ajouter à tous les travaux indispensables que nous imposaient déjà le soin de notre défense ou les besoins du commerce, les routes, les canaux, les fortifications, les ports, il pouvait sembler dangereux

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