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D'autres signalèrent cette émotion comme un symptôme de la résurrection, de l'avénement prochain de la race slave. Peut-être était-il plus vrai de dire que le développement excessif donné par une politique ombrageuse aux satisfactions matérielles, au détriment du sentiment moral et des droits naturels, n'avait que trop préparé les peuples si divers de l'Autriche à une réaction terrible. Sans doute la misère exceptionnelle produite cette année dans les campagnes par une disette de grain, n'avait pas peu contribué à l'explosion. Mais la fatale ignorance entretenue dans les classes inférieures, et l'habitude des appétits grossiers que ne modère aucun sentiment élevé, aucune personnalité intelligente, devaient être considérées comme des causes importantes de cette crise. C'est pour cela surtout qu'elle avait éclaté parmi les populations de la Gallicie, plutôt que parmi les Hongrois et les Italiens, races évidemment supérieures par leur nature et par leur éducation politique.

Le 6 octobre, parut une ordonnance, signée par le comte Stadion, en vertu de laquelle toute la Gallicie, à l'exception de la Bukowine, fut déclarée en état de siége. Le comte de Stadion, après avoir pris connaissance de l'état de choses en Gallicie, retourna à Vienne pour demander des pleins-pouvoirs plus étendus, qui lui furent accordés par l'empereur, en vertu de deux ordonnances. Suivant la première, toute tentative d'insurrection et tout crime de haute trahison devraient être jugés par un conseil de guerre; la seconde contenait des mesures plus sévères relativement à la police des étrangers. Pour appuyer ces instructions nouvelles, les vingt-six régiments répartis dans le royaume furent portés à trente-deux; l'artillerie fut également augmentée. Une garde de sûreté, composée de 5,000 hommes, fut organisée pour être incorporée à la garde des frontières (voyez, pour l'histoire de l'insurrection et de l'annextion, Pologne, Cracovie).

Le gouvernement autrichien crut devoir prendre des mesures contre l'agitation religieuse et contre la secte nouvelle qu'il persistait à regarder comme placée en dehors des communautés reconnues par l'État. Un arrêté, publié dans les premiers jours

de février, déclara que les catholiques dits allemands, ne faisant partie d'aucune communauté religieuse reconnue dans la monarchie autrichienne, seraient considérés à l'avenir comme formant une association illégale, et n'ayant aucun droit au séjour dans l'empire; ceux qui en feraient partie seraient en outre punis comme criminels en cas d'action répréhensible commise par eux. Les ambassades autrichiennes ne devraient viser le passe-port d'aucun étranger faisant partie de cette secte. Lorsque des sujets autrichiens résidant à l'étranger et appartenant à cette secte, voudraient rentrer dans leurs foyers, l'ambassadeur autrichien les inviterait à abandonner la secte en question, et å se mettre en règle en rentrant dans une des communautés légales. Les étrangers habitant la monarchie autrichienne, et faisant partie de la secte, seraient tenus de quitter le pays sans délai. Tout fonctionnaire public qui l'aurait embrassée serait immédiatement destitué.

Une mesure favorable aux chemins de fer autrichiens et qui devait, tout en augmentant leur importance, opposer une digue à l'agiotage, fut la résolution prise, le 18 novembre, par S. M. l'empereur, d'ouvrir près la caisse d'amortissement une caisse spéciale extraordinaire de crédit, destinée à acheter, sur des fonds particulièrement assignés à cet effet, et à des prix représentant leur valeur véritable, des actions de chemins de fer déjà concédés. L'exécution de cette mesure fut confiée au président de la chambre aulique, M. le baron de Kubeck. Elle eut pour premier résultat de relever le cours de ces actions depuis longtemps dépréciées.

Une convention relative à la navigation fut conclue entre l'Autriche et les grands-duchés d'Oldenbourg et de Mecklembourg-Schwerin. Les navires autrichiens seraient désormais, à leur entrée dans les ports d'Oldenbourg et de Mecklembourg, ainsi qu'à leur sortie, traités sur le même pied que les navires nationaux. La parfaite réciprocité était admise.

HONGRIE.

La Hongrie ressentit profondément le contre-coup de l'explosion qui avait éclaté en Gallicie. Déjà, en 1830, une conflagration avait été imminente. Les comitats limitrophes de la Gallicie n'avaient été contenus qu'au moyen des mesures les plus énergiques. Des excès graves avaient eu lieu sur plusieurs points, et les paysans avaient saccagé quelques châteaux et massacré quelques seigneurs; mais l'ordre avait pu être rétabli, et jusqu'à présent il avait été maintenu.

A la première nouvelle des troubles de la Gallicie, les populations des cercles de Sabolesi et d'Arva s'émurent. Une sourde agitation s'établit dans quelques villes, et l'envoi de forces supérieures put seul écarter le danger.

Toutefois, rien ne put empêcher les sympathies les plus vives de se manifester pour la Pologne. Plusieurs comitats convoquèrent leurs conseils généraux dans le but de s'occuper de cette question spéciale. La décision prise par tous fut qu'il fallait demander la convocation de la diète.

PRUSSE.

L'agitation religieuse est toujours en Allemagne comme la forme même de l'agitation politique, et la liberté de conscience est là, plus qu'ailleurs encore, le terrain de la lutte entre l'opposition et le gouvernement. Aussi est-il nécessaire d'étudier les réclamations nombreuses formulées en faveur de l'affranchissement de la pensée. Pour les esprits allemands, c'est la préface naturelle des réformes sociales.

On se rappelle la manifestation antipiétiste des magistrats municipaux de Berlin et l'adresse portée par eux l'année dernière au pied du trône (voyez l'Annuaire de 1845, p. 291). La réponse royale avait été sèche et dédaigneuse, et Sa Majesté s'était étonnée que des bourgmestres s'occupassent de matières

semblables, lorsqu'au roi seul appartient la direction des affaires religieuses.

Cette résistance aux vœux de la municipalité de Berlin n'empêcha pas le magistrat et les députés municipaux de Breslau d'adresser au roi une représentation du même genre. Un ordre de cabinet ayant, depuis l'année dernière, défendu aux journaux l'insertion d'adresses semblables, celle-ci ne put être connue que par la réponse royale, document curieux et qui jette une vive lumière sur cette lutte des villes contre la couronne en faveur de la liberté de conscience; en voici le texte :

« Le magistrat et les députés de la ville de Breslau m’auraient épargné leur adresse malencontreuse (unwillkommene), s'ils avaient mûrement examiné l'ordre du 27 septembre 1817, rendu par feu mon auguste père, ordre qu'ils citent eux-mêmes à l'appui de leur adresse ainsi que l'ordre royal de 1834. Ils auraient acquis cette conviction que l'œuvre de la réunion des deux Églises évangéliques n'est nullement basée sur le rejet de tout dogme traditionnel; que cette œuvre au contraire se fonde sur l'accord et la concordance des symboles des deux Églises; vérités fondamentales dont l'Église chrétienne ne voudrait ni ne saurait se départir.

Le magistrat et les députés le savent très-bien et ils l'avouent d'ailleurs, lorsqu'en parlant des professions de foi des deux confessions, ils disent: ⚫ Ce ne fut plus la différence mais l'accord qui devint le principe d'élection du christianisme.»

Si le magistrat s'était tenu à cette vérité reconnue, toutes les interprétations fausses sur l'esprit de l'union et les besoins de l'Église, dont l'adresse est pleine, auraient été impossibles.

« Si, autrefois, les autorités provinciales de la Silésie ont véritablement négligé d'imposer aux pasteurs réunis les livres symboliques, ils se sont rendus coupables d'une négligence impardonnable. Si, au contraire, les autorités actuelles, s'en rapportant à la loi et au devoir, leur subordonnent même des opinions personnelles, loin d'encourir un blâme, comme le magistrat le réclame de moi, elles mériteraient des louanges. Je regrette infiniment de voir le magistrat à la tête d'une adresse si peu satisfaisante (unerfreuiliche).

Le devoir du magistrat n'est pas de fournir un appui à de vaines agitations (leere Befürchtungen), ce n'est pas d'égarer le peuple; mais c'est de le rassurer, de faire évanouir ses craintes en s'interposant avec l'autorité que la constitution libre et municipale lui a largement conférée.

Le véritable danger, aujourd'hui, c'est que l'Église, oubliant tous ses devoirs, ne reconnaisse comme ses serviteurs tous ceux qui, tout en raillant les principes fondamentaux de la foi chrétienne, osent en appeler à l'Écriture sainte. Sous mon sceptre, ceux-là même auront liberté de conscience com

plète; mais jamais je n'admettrai qu'avec de tels principes ils puissent être serviteurs de l'Église évangélique et nationale.

L'appui que le magistrat de Breslau prête aux menées est inconcevable dans une époque où il ne peut ignorer la nouvelle vie qui se manifeste dans l'Église nationale depuis l'organisation des synodes créés par feu mon auguste père, et qui déjà, à l'heure qu'il est, justifient toutes les espérances salutaires qu'on en a conçues.

Je compte définitivement que le magistrat de Breslau ne me donnera plus l'occasion de le rappeler à son mandat et à ses devoirs.

« FRÉDÉRIC-GUILLAUME. »

La ville de Breslau protesta contre ces interprétations absolues du dogme chrétien, et Konigsberg suivit l'exemple de la Silésie non-seulement par des paroles, mais encore par des actes; il s'y forma une nouvelle commune évangélique sous la direction du docteur-pasteur Rupp. Cette commune, à laquelle se joignit l'Église française qui date de la révocation de l'édit de Nantes et de l'émigration française, compta bientôt dans son sein les hommes les plus notables de la ville. Elle rejetait tout symbole, tout dogme. En même temps, les amis des lumières de Magdebourg et des environs de Leipzig recommencèrent leurs réunions, sortes de meetings en rase campagne à la manière anglaise.

De son côté, le roi, par une ordonnance particulière, recommandait aux différents consistoires et aux magistrats de ne plus employer comme pasteur aucun ecclésiastique qui n'admit les livres symboliques.

Fatiguée de ces luttes personnelles, et reconnaissant le danger qui pourrait en résulter pour sa couronne, Sa Majesté résolut de convoquer un synode et de lui abandonner toutes les discussions religieuses. Les membres de cette assemblée se réunirent à Berlin, au nombre de soixante et seize, sous la présidence de M. le docteur Eichorn, ministre des cultes ; la moitié des membres était composée d'ecclésiastiques, l'autre moitié de laïques.

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Dans une conférence préparatoire, deux partis furent représentés le parti orthodoxe et le parti modéré. Par l'organe du Ann. hist. pour 1816.

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