la plupart des peuples de l'Europe. A l'époque des premières émigrations, le gouvernement communal, ce germe fécond des institutions libres, était déjà profondément entré dans les habitudes anglaises, et avec lui le dogme de la souveraineté du peuple s'était introduit au sein même de la monarchie des Tudors. On était alors au milieu des querelles religieuses qui ont agité le monde chrétien. L'Angleterre s'était précipitée avec une sorte de fureur dans cette nouvelle carrière. Le caractère des habitants, qui avait toujours été grave et réfléchi, était devenu austère et argumentateur. L'instruction s'était beaucoup accrue dans ces luttes intellectuelles; l'esprit y avait reçu une culture plus profonde. Pendant qu'on était occupé à parler religion, les mœurs étaient devenues plus pures. Tous ces traits généraux de la nation se retrouvaient plus ou moins dans la physionomie de ceux de ses fils qui étaient venus chercher un nouvel avenir sur les bords opposés de l'Océan. Une remarque, d'ailleurs, à laquelle nous aurons occasion de revenir plus tard, est applicable non-seulement aux Anglais, mais encore aux Français, aux Espagnols et à tous les Européens qui sont venus successiment s'établir sur les rivages du nouveau monde. Toutes les nouvelles colonies européennes contenaient, sinon le développement, du moins le germe d'une complète démocratie. Deux causes conduisaient à ce résultat peut dire qu'en général, à leur départ de la mère patrie, les émigrants n'avaient aucune idée de supériorité quelconque les uns sur les autres. Ce ne sont on guère les heureux et les puissants qui s'exilent, et la pauvreté ainsi que le malheur sont les meilleurs garants d'égalité que l'on connaisse parmi les hommes. Il arriva cependant qu'à plusieurs reprises de grands seigneurs passèrent en Amérique à la suite de querelles politiques ou religieuses. On fit des lois pour y établir la hiérarchie des rangs, mais on s'aperçut bientôt que le sol américain repoussait absolument l'aristocratie territoriale. On vit que pour défricher cette terre rebelle il ne fallait rien moins que les efforts constants et intéressés du propriétaire lui-même. Le fonds préparé, il se trouva que ses produits n'étaient point assez grands pour enrichir tout à la fois un maître et un fermier. Le terrain se morcela donc naturellement en petits domaines que le propriétaire seul cultivait. Or, c'est à la terre que se prend l'aristocratie, c'est au sol qu'elle s'attache et qu'elle s'appuie; ce ne sont point les priviléges seuls qui l'établissent, ce n'est pas la naissance qui la constitue, c'est la propriété foncière héréditairement transmise. Une nation peut présenter d'immenses fortunes et de grandes misères; mais si ces fortunes ne sont point territoriales, on voit dans son sein des pauvres et des riches; il n'y a pas, à vrai dire, d'aristocratie. Toutes les colonies anglaises avaient donc entre elles, à l'époque de leur naissance, un grand air de famille. Toutes, dès leur principe, semblaient destinées à offrir le développement de la liberté, non pas la liberté aristocratique de leur mère-patrie, mais la liberté bour geoise et démocratique dont l'histoire du monde ne présentait point encore de complet modèle. Au milieu de cette teinte générale, s'apercevaient cependant de très-fortes nuances, qu'il est nécessaire de montrer. On peut distinguer dans la grande famille anglo-américaine deux rejetons principaux qui, jusqu'à présent, ont grandi sans se confondre entièrement, l'un au sud, l'autre au nord. La Virginie reçut la première colonie anglaise. Les émigrants y arrivèrent en 1607. L'Europe, à cette époque, était encore singulièrement préoccupée de l'idée que les mines d'or et d'argent font la richesse des penples idée funeste qui a plus appauvri les nations européennes qui s'y sont livrées, et détruit plus d'hommes en Amérique, que la guerre et toutes les mauvaises lois ensemble. Ce furent donc des chercheurs d'or que l'on envoya en Virginie1, gens sans ressources et sans conduite, dont l'esprit inquiet et turbulent troubla l'enfance de la colonie2, et en rendit les progrès incertains. Ensuite arrivèrent les industriels et les cultivateurs, 1 La charte accordée par la couronne d'Angleterre, en 1609, portait entre autres clauses que les colons paieraient à la couronne le cinquième du produit des mines d'or et d'argent. Voyez Vie de Washington, par Marshall, vol. I, p. 18-66. Une grande partie des nouveaux colons, dit Stith (History of Virginia), étaient des jeunes gens de famille déréglés, et que leurs parents avaient embarqués pour les soustraire à un sort ignominieux; d'anciens domestiques, des banqueroutiers frauduleux, des débauchés et d'autres gens de cette espèce, plus propres à piller et à détruire qu'à consolider l'établissement, formaient le reste. Des chefs séditieux entraînèrent aisé race plus morale et plus tranquille, mais qui ne s'élevait presque en aucuns points au-dessus du niveau des classes inférieures d'Angleterre1. Aucune noble pensée, aucune combinaison immatérielle ne présida à la fondation des nouveaux établissements. A peine la colonie était-elle créée qu'on y introduisait l'esclavage'; ce fut là le fait capital qui devait exercer un immense influence sur le caractère, les lois et l'avenir tout entier du Sud. L'esclavage, comme nous l'expliquerons plus tard, déshonore le travail; il introduit l'oisiveté dans la société, et avec elle l'ignorance et l'orgueil, la pauvreté et le luxe. Il énerve les forces de l'intelligence et endort l'activité humaine. L'influence de l'esclavage, combinée avec le caractère anglais, explique les mœurs et l'état social du Sud. Sur ce même fond anglais se peignaient au Nord, des nuances toutes contraires. Ici on me permettra quelques détails. C'est dans les colonies anglaises du Nord, plus con ment cette troupe dans toutes sortes d'extravagances et d'excès. Voyez, relativement à l'histoire de la Virginie, les ouvrages qui suivent : History of Virginia from the first Settlements in the year 1624, by Smith. History of Virginia, by William Stith. History of Virginia from the earliest period, by Beverley, traduit en français en 1807. 1 Ce n'est que plus tard qu'un certain nombre de riches propriétaires anglais vinrent se fixer dans la colonie. 2 L'esclavage fut introduit vers l'année 1620 par un vaisseau hollandais qui débarqua vingt nègres sur les rivages de la rivière James. Voyez Chalmer. nues sous le nom d'États de la Nouvelle-Angleterre1, que se sont combinées les deux ou trois idées principales qui aujourd'hui forment les bases de la théorie sociale des États-Unis. Les principes de la Nouvelle-Angleterre se sont d'abord répandus dans les États voisins; ils ont ensuite gagné de proche en proche les plus éloignés, et ont fini, si je puis m'exprimer ainsi, par pénétrer la confédération entière. Ils exercent maintenant leur influence au delà de ses limites sur tout le monde américain. La civilisation de la Nouvelle-Angleterre a été comme ces feux allumés sur les hauteurs qui, après avoir répandu la chaleur autour d'eux, teignent encore de leurs clartés les derniers confins de l'horizon. La fondation de la Nouvelle-Angleterre a offert un spectacle nouveau; tout y était singulier et original. Presque toutes les colonies ont eu pour premiers habitants des hommes sans éducation et sans ressources, que la misère et l'inconduite poussaient hors du pays qui les avait vus naître, ou des spéculateurs avides et des entrepreneurs d'industrie. Il y a des colonies qui ne peuvent pas même réclamer une pareille origine : SaintDomingue a été fondé par des pirates, et de nos jours, les cours de justice d'Angleterre se chargent de peupler l'Australie. Les émigrants qui vinrent s'établir sur les rivages de 1 Les États de la Nouvelle-Angleterre sont ceux situés à l'est de l'Hudson; ils sont aujourd'hui au nombre de six: 1° le Connecticut; 2° Rhodes'and; 3° Massachusetts; 4° Vermont; 5° New-Hampshire; 6° Maine. |