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CHAPITRE IV.

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Exposition de la tête d'Ali pacha à la porte du sérail des sultans.-Yaphta ou écriteau qui y était attaché.-Lettre de Mahmoud II à Khourchid pacha et à son armée. - Exécution des fils et des petits-fils d'Ali pacha à Khoutaïéh; -vente de leur harem.-Mécontentement des Schypetars à Janina. - Préparatifs de guerre des Turcs, et des Grecs, discutés. - Voyage d'exploration de l'amiral Tombazis.— État de Psara et de Samos. -Capture importante d'artillerie.—Perfidie du pacha Aboulouboud.—Les Turcs envahissent la presqu'île du mont Athos. — Fuite des réfugiés et d'un grand nombre de religieux. - Prise d'un parc d'artillerie par les Psariens. — Arrivée de l'artillerie du mont Athos à Salonique. - Combats et victoires des Grecs à Zeïtoun et à Patradgik, depuis le 31 mars jusqu'au 6 avril. - Dissensions et affaires de Naxos. — Organisation de Paros. — Situation de la Crète. — Formation de l'aréopage et du ministère du gouvernement hellénique. - Éphores d'Athènes. État de cette ville.

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La tête d'Ali Tébélen, exposée, le 23 février, à l'entrée du Bab Humayoum (1), et la naissance d'un héritier présomptif du trône d'Ottman, annoncée en même temps que la nouvelle de la chute du rebelle de Janina par le canon du sérail, jetèrent la populace militaire de Constantinople' dans un tel accès de frénésie, qu'il est impossible d'en donne une idée affaiblie. Les chasseurs d'hommes demandaient à grands cris la guerre. Ils voulaient marcher contre les Russes, exterminer les Grecs; le Yaphta ou écriteau attaché à la tête du rebelle redoublait leurs transports (2). Mahmoud venait de donner un fils à l'empire. Vainqueur de (1) Porte impériale.

(2)

Traduction du yaphta attaché à la tête d'Ali pacha.

<< Personne n'ignore de combien de faveurs et de graces, depuis trente à quarante ans, a été comblé Tébélenleu Ali pacha par la Porte de félicité, toujours sublime et magnifique; de combien de pays, de territoires, elle augmenta sa domination, et combien de graces lui furent accordées, ainsi qu'à ses fils et à ses adhérents. Sans apprécier tant de faveurs, agissant avec une ingratitude marquée, au lieu de manifester sa gratitude spéciale et sa

Tébélenleu, il était invincible; le destin marquait d'une époque éclatante le sort du prince nouveau-né, qui pouvait désormais résister à son père? Plus de moyen terme, plus de demi-mesures! il ne fallait traiter que le sabre à la main avec la maison de Harb. (1)

servitude reconnaissante envers la Sublime Porte, il n'y a pas d'iniquités qu'il n'ait commises contre les serviteurs de Dieu et du Prophète. Les crimes dont il se rendit coupable n'ont jamais été entendus nulle autre part. Mêlé à toutes les séditions, à toutes les révoltes, il en était, ou ouvertement, ou secrètement, le moteur, par son argent ou par ses intrigues.

» Non content des mansoubs confiés à son administration, il ne cessait d'essayer d'étendre sa domination sur d'autres provinces, en s'environnant de troubles et de désordres. Prenant les biens des uns, ruinant tout le monde, il était devenu le fléau des peuples, qui sont un dépôt précieux, dont la garde a été confiée par l'être suprême au monarque sunnite dès croyants, qui suivent la loi de Mahomet, dont le nom soit mille fois béni. Il a anéanti des familles entières en Albanie, à Iénitcher (Larisse), Monastir, et dans le Sarighiol (Macédoine cisaxienne).

>> Informée de ses déprédations, la Sublime Porte l'a plusieurs fois exhorté à changer de conduite et à réfléchir à sa triste fin. Il refusa de déférer à ses remontrances; et mettant le comble à sa scélératesse, il osa attaquer jusque dans la capitale le Chameau de Salhé, notre esclave Ismaël (auquel Dieu veuille accorder une fin heureuse), en lui faisant tirer deux coups de pistolet par ses émissaires.

» La justice, autant que l'outrage fait à la majesté de notre vicariat, qui s'étend sur les deux mers et les deux continents, ayant rendu la punition de Tébélenleu nécessaire, il fut destitué du visiriat, et le gouvernement de ses provinces fut confié au Chameau de Salhé Ismaël. Alors se déclarant ouvertement rebelle et se flattant de pouvoir exécuter ses perfides desseins, il se fortifia dans le château redoutable de Janina, pensant résister aux foroes toujours invincibles de la Sublime Porte. Il prouva l'intelligence secrète qu'il avait avec les insurgés grecs, ennemis du Prophète, ( que Dieu veuille anéantir!) en expédiant des sommes considérables aux Dgiaours de la Morée et aux Souliotes; il les excita à s'armer contre le peuple musulman. Prouvant ainsi de plus en plus qu'il était un homme sans religion et sans foi, et d'ailleurs la loi et les droits de souveraineté exigeant sa mort, notre bien-aimé romili vali-cy et sérasker Khourchid pacha, s'étant emparé de sa personne, conformément au noble fetfa, ainsi qu'à l'ordre formidable du commandement impérial, lui a fait subir la peine de mort. Le peuple musulman a été ainsi délivré de ses violences; ET CELLE-CI EST LA TÊTE DUDIT TÉBÉLENLEU ALI PACHA, TRAITRE A LA FOI. » (1) C'est une métaphore employée pour désigner la chrétienté.

Le fils d'Abdoulhamid, Mahmoud, partageant le fol enthousiasme de son peuple, répondit courrier par courrier à Khourchid pacha, en lui adressant un diplôme autographe de félicitations hyperboliques, qu'il le chargeait de communiquer à l'armée. Il était de la teneur suivante: << Ton maître.te mande qu'il a daigné abaisser ses regards » sur tes services; sois honoré et favorisé de son salut im» périal. Braves soldats, qui marchez dans le sentier de la » foi et de l'héroïsme, où vous n'avez que la terre pour »sopha, et que la pierre pour appuyer votre tète, triom>> phez sans cesse ; que vos faces aient le poli de vos armes >> victorieuses et l'éclat du jour; que vos sabres soient à » jamais tranchants, rayonnants, et attachés par des nœuds >> redoublés au ceinturon de la valeur. Bénissez le pain et » le sel que vous donnent mes deniers royaux. Je recom>> mande chacun de vous à la garde du Tout-Puissant ; que » ma bénédiction vous accompagne. Salut et paix. »

Ce protocole, usité, de temps immémorial, après des victoires, souvent pareilles à celle de Khourchid, qui se réduisait à avoir fait décapiter un rebelle, était accompagné d'une pelisse d'honneur, et d'un magnifique poignard garni de brillants, que son gracieux maître daignait lui envoyer. Il lui enjoignait en même temps d'exterminer les Souliotes; de passer au fil de l'épée toute la population grecque de l'Épire, sans épargner les femmes et les enfants. Il devait ensuite joindre ses efforts à ceux de sa flotte, qui avait mis en mer, dès le mois de janvier, dans le but d'opérer un débarquement considérable de troupes à Patras, afin d'anéantir les Moralis (Moraïtes), et de ne laisser que des cendres et des ruines dans cette province.

Telles étaient les instructions du sultan à son sérasker; et ce fut à-peu-près en cette forme sanguinaire, qu'elles furent communiquées aux ministres des Krales (rois) Nazaréens, résidants à Péra. Sa Hautesse avait hâte d'étouffer l'insurrection, pour s'expliquer catégoriquement avec

la Russie, à laquelle son cabinet différait de répondre, tantôt sous un prétexte et tantôt sous un autre. Dès lors les lettres des Francs, qui furent toujours plus Turcs que les Turcs, représentèrent les Grecs comme perdus. Khourchid était le héros des temps modernes de l'Orient (1). Les poètes des monts Crapacks n'attendaient, disait-on, que le retour du printemps pour célébrer le nom de Khourchid. Mais déjà le ver rongeur s'était attaché au laurier de l'Épirotique. Tout en le complimentant, le divan le pressait d'envoyer l'état détaillé des trésors et des dépouilles d'Ali. Il fallait compter. L'avide sultan ne se payait pas de têtes et de chapelets d'oreilles; il avait entrepris la guerre pour s'enrichir, et il voulait de l'or afin de combattre les Russes.

En attendant l'héritage de Tébélenleu, Mahmoud II tourna ses regards vers l'Asie-Mineure, où les fils d'Ali auraient sans doute été oubliés dans leur exil, si on n'avait pas supposé qu'ils possédaient de grandes richesses. Un tyran ne s'abaisse point à feindre avec ses esclaves, quand il peut les dépouiller impunément. Sa Hautesse leur envoya l'ordre de mourir. Véli pacha, aussi peu courageux qu'une femme nourrie dans la mollesse du harem, entendit à genoux sa sentence. Le lâche, qui dansait au son des instruments, dans ses salons, à Arta, tandis qu'il faisait mettre à mort l'Étolien Sousmane et son fils (2), reçut au double la punition de ses crimes! Il se jeta vainement aux pieds des bourreaux pour obtenir la grace de mourir dans un lieu écarté : il dut savourer à longs traits le trépas, en voyant étrangler sous ses yeux le beau Méhémet, son fils aîné ; le doux Sélim qui aurait mérité, à lui seul, d'obtenir la grace de sa famille, si le ciel, inexorable dans ses vengeances, n'eût

(1) L'Observateur autrichien, en sa qualité de champion de la légitimité du successeur d'Omar, décerna au vainqueur d'Ali, de sa pleine et entière autorité, le titre de Khan, qui n'appartient qu'à la dynastie d'Ott

man.

(2) Voy. liv. I, ch. 11, de cette Histoire.

pas résolu un pareil châtiment pour épouvanter les illustres scélérats. Enfin, après avoir vu exécuter son frère Salik pacha, le fils bien-aimé d'Ali, qu'une esclave géorgienne lui avait donné aux jours de sa vieillesse; Véli livra, en pleurant, sa tête criminelle aux bourreaux.

On s'empara aussitôt de ses femmes. L'infortunée Zobéïde, dont la scandaleuse aventure avait pénétré jusqu'à Constantinople, cousue dans un sac en cuir, fut précipitée dans le Pursak, rivière qui confond ses eaux avec celles du Sagaris. Katherin, réservée à de plus longues douleurs, fut traînée, avec les jeunes filles de Véli, au bazar, où on les vendit ignominieusement à des bergers turcomans; et les exécuteurs procédèrent immédiatement au recensement des dépouilles de leurs victimes (1).

Ils ne devaient pas recueillir aussi paisiblement celles de Mouctar pacha. Un coup de pistolet renversa sans vie à ses pieds le capidgi bachi qui osa lui présenter le cordon : Téméraire, s'écria-t-il, en mugissant comme un taureau échappé à la hache du victimaire, un Arnaoute ne meurt pas ainsi qu'un eunuque, je suis le fils de Tébélenleu! aux armes,camarades, on veut nous égorger. En achevant ces mots, il se jette, le poignard à la main, sur les Osmanlis qu'il repousse, et parvient à se barricader dans son appartement.

Soudain un orta de janissaires de Khoutaïéh, qui en avait l'ordre, s'avance en traînant du canon. Les faibles retranchements des braves volent en éclats. Le vieux Metché Bono, père d'Elmas bey, resté fidèle au malheur, est emporté par un boulet: et Mouctar, criblé de blessures, après avoir immolé une foule d'ennemis, et vu périr tous les siens, ayant mis le feu aux poudres renfermées dans son palais, expire, en ne laissant pour héritage au sultan, que des cendres et des cadavres à demi consumés par les flammes. Trépas digne d'envie, si on le compare à ce

(1) Elles ont été rachetées et se trouvent maintenant avec Hussein et Mahmoud, fils de Mouctar, à Andrinople.

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