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vrage, ne la ramenerait pas au sentiment

dignité. Quoi qu'il en soit, Bonaparte avait trop de perspicacité pour ne pas reconnaître, que si le véritable principe de cet assentiment général était la propension de la nation aux idées monarchiques, elle n'en était pas moins jalouse de ses droits et de sa liberté. Mais ce sentiment national n'était à ses yeux qu'une chimère, un délire, ou une hypocrisie; il ne voyait dans ses effets qu'un obstacle à l'exercice du pouvoir, et n'admettait pas qu'il pût concourir à l'établissement d'un gouvernement stable : cette erreur le jeta dans de grands embarras. Au lieu de rechercher les secours qu'il aurait trouvés dans une représentation nationale divisée en deux chambres, et qui à cette époque eût été formée des hommes les plus éclairés et des meilleurs citoyens, il s'attacha à neutraliser l'influence du Corps législatif, à le flétrir dans l'opinion par la ridicule interdiction de la parole à la Chambre des communes, et par la servilité à la Chambre haute : la conserva

tion des noms et des formes quand il n'y avait plus aucune réalité de représentation, acheva de déconsidérer ces premières autorités qui ne furent bientôt plus que des superfétations. Le Tribunat auquel on avait laissé la discussion vaine des lois, ne tarda pas à montrer un esprit d'opposition et d'indépendance qui réveilla les partis mécon tens; et cette institution bizarre devint incompatible avec la concentration du pouvoir dans les mains du dictateur.

Ainsi, la France à cette époque n'existait que par ses armées et pour ses armées; elle n'avait aucune véritable existence civile et politique, tout était provisoire dans son économie; elle était administrée, commandée par un habile généralissime, souverain et législateur de fait au palais des Tuileries, comme au quartier-général en pays conquis; heureuse encore d'être à ce prix affranchie du joug de l'usurpation républicaine, et d'avoir été reconquise par des armes toutes françaises. S'il est vrai que Bonaparte, comme on assure

qu'il l'a dit depuis, se crut seul assez fort pour terminer la révolution, en arrêter les principes, en consolider la législation et en détruire les excès, il faut admirer son audace: toutefois, bien que ses travaux et ses efforts pour l'établissement d'une monarchie absolue et illimitée, aient été, comme nous le verrons par la suite, long-temps couronnés. du succès, nous persistons à penser que s'il eût mieux connu la révolution de 1789, ses principes, et les impressions ineffaçables. qu'elle a laissées dans les trois générations de notre âge, il aurait eu plus de confiance dans la masse de la nation, et lui en aurait inspiré davantage; il aurait éprouvé qu'il est plus sûr de convaincre et d'attirer par la raison et par l'affection un peuple éclairé, que de l'entraîner en séduisant l'imagination. Malgré la similitude des passions des hommes de pays et de siècles différens, les maximes politiques de Machiavel ne sont pas toutes également applicables à la conduite des hommes du siècle présent.

Par cela même que le nouveau chef de

l'État s'isolait de la nation, et pour ainsi dire l'individualisait, la concentrait en lui seul; tout s'appuya sur lui, tout lui fut rapporté, la louange et le blâme, tout le bien et tout le mal. Tant de passions avaient été mises en jeu, que l'énergie de son caractère, son adresse, et sa vigilance, ne pouvaient suffire à les refréner : il était seul en butte au mécontentement des républicains trompés et des royalistes, dont les dernières espérances étaient déçues; ceux-ci voyaient s'élever par le rétablissement d'une administration vigoureuse, et par la paix intérieure et extérieure, un obstacle plus fort à la restauration de l'ancienne dynastie, que ne l'avaient été les excès et la licence, et les persécutions dont ils avaient le plus souffert.

L'exaspération du parti de la Convention qu'il avait dispersé et n'avait pu détruire, était le moindre des obstacles à l'exécution de ses desseins; mais c'était › aussi le plus imminent de ses dangers personnels. Les hommes qui avaient à la fois

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bu à la coupe de sang et à la coupe du pouvoir, n'avaient plus d'autre égide contre l'animadversion publique que la terreur de leur domination: ils pouvaient la rétablir en tuant le premier Consul. Comme il n'y avait aucun ordre légal, tout l'artifice du gouvernement disparaissait avec le souffle de sa vie la France retombait dans le désordre des dissensions civiles. Les factieux, excités par des motifs si puissans, loin d'être découragés par l'issue d'une première conjuration avortée, n'en devinrent que plus ardens. La surveillance des nombreux agens de police sur leurs complots, les rendit plus prudens, c'est-à-dire plus cruellement ingénieux à cacher leurs trames. Trois mois après la tentative faite pour poignarder le général Bonaparte pendant l'incendie de la salle de l'Opéra, ceux des conjurés qu'on n'avait pu découvrir, attentèrent à sa vie de la manière la plus inattendue, et qu'ils avaient pu croire infaillible. Le 24 décembre 1800 (3 nivose an 9), à huit heures du soir, il se rendait du palais des Tuileries au concert

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