Images de page
PDF
ePub

vif éclat; jamais de si belles et de si utiles con quêtes ne dûrent paraître mieux assurées, si pour conserver ces riches possessions et sa domination sur tant de peuples divers, il eût suffi de la force des armes qui avaient soumis et incorporé leur territoire. L'histoire générale nous apprend, et celle de notre pays nous démontre plus particulièrement, que ces vastes acquisitions ne se consolident, que les parties hétérogènes ne s'agglomèrent, que les mœurs des vaincus ne s'assimilent que par le temps à celles des vainqueurs; ce sont des fruits de la sagesse qui mûrissent lentement et rarement sous les mains avides des conquérans. Plus les institutions d'un état sont fortes, comme à Rome dans les beaux temps de la république, par leur accord avec les mœurs, et plus il tire avantage de ses conquêtes qui ne sont bientôt plus que des associations. Tout au contraire, si l'état qui acquiert par la fortune des armes une grande extension de territoire, n'est pas lui-même bien assis sur ses propres fondemens, ses

conquêtes pourront accroître momentanément ses moyens et augmenter ses jouissances, mais elles ajouteront peu à sa force intrinsèque; l'amalgame des populations, la fusion des intérêts ne s'opéreront point : l'opinion même de l'unité ne pourra s'établir, tant que durera celle de l'instabilité des institutions politiques, et que la fortune pourra détruire son ouvrage.

Ces réflexions nous conduisent à examiner quelle fut à cette époque la véritable situation intérieure de la France. Nous croyons utile de la déterminer, 1°. afin de prémunir nos lecteurs contre les erreurs dans lesquelles divers actes du gouvernement consulaire pourront un jour entraîner les historiens; et 2°. parce que nous devons trouver dans la suite de ces Essais, d'autres occasions de faire discerner à cet égard, la vérité d'avec les fausses apparences.

Le général Bonaparte avait détruit par un coup d'état le gouvernement républicain. Ce gouvernement, établi trois ans auparavant

contre le vœu de la nation et par une suite d'illégalités, et de violences faites à l'opinion publique, ne doit cependant pas être confondu avec l'anarchie sanguinaire de la prétendue Convention nationale, dans laquelle les forfaits du 10 août et du 2 septembre 1792, et l'exécrable attentat du 21 janvier 1793, précipitèrent la France.

Si l'on veut toujours remonter aux causes premières de la révolution, il n'est aucun parti qui n'y trouve sa propre condamnation: en confondant tout, on n'explique rien. Il n'y avait dans la démocratie absolue de la Convention aucune base de gouvernement, aucun régulateur : il n'y avait de point fixe et d'intérêt commun que dans l'opposition aux efforts de l'étranger, pour envahir le territoire; et l'on a dit avec raison, qu'on ne retrouvait la nation que dans les camps. Il n'en fut pas de même en 1795 : l'anarchie des pouvoirs avait consumé la démocratie la République était constituée; les pouvoirs étaient régulièrement divi

sés et balancés. C'était un très-mauvais

[ocr errors]

gouvernement, et certainement celui qui convenait le moins à la France: il faut le répéter, pour se faire bien comprendre; il portait en lui-même, et l'épreuve l'a fait voir, des germes de mort et de dissolution plus ou moins actifs, comme tous les ouvrages des hommes passionnés : l'exécution des lois, la conduite des affaires extérieures et intérieures livrées aux fluctuations d'une pentarchie élective, n'offraient aucune garantie de stabilité, mais enfin c'était un gouvernement. Il faut pardonner aux hommes honnêtes et de bonne foi qui croient que les formes républicaines peuvent convenir à un grand état, d'avoir espéré qu'elles s'établiraient chez les Français, et que l'esprit d'indépendance et de liberté inhérent à leur caractère, l'emporterait sur les mœurs et les anciennes habitudes monarchiques. Les excès de pouvoir produits par la crainte de l'inévitable réaction de l'opinion publique, usèrent plus rapidement qu'on ne devait le croire les ressorts du pouvoir exécutif ;

[ocr errors]

l'impéritie des Directeurs leur fit méconnaître les moyens de le conserver; ils tombèrent dans le mépris, et la République avec eux. Le chef de l'armée qui les renversa facilement, abattit du même coup les institutions qui pour avoir été altérées, corrompues; qui, pour avoir servi d'instrument à la tyrannie démagogique, n'en étaient pas moins les bases fondamentales du gouvernement représentatif. Il n'osa point appeler la nation au juste partage de l'autorité, et la faire rentrer dans ses droits; il ne sentit ni le besoin qu'il avait de son appui, ni la nécessité de remplacer ce qu'il venait de détruire. Entraîné par les témoignages de la reconnaissance publique, il se persuada qu'il ne pouvait contenir les factions qu'en concentrant en lui seul tous les pouvoirs; peut-être feignit-il de croire que la nation, fatiguée de tant de convulsions, oubliant le passé, indifférente sur l'avenir, se reposerait sans inquiétude sous son protectorat, et que ce repos même, et le rétablissement de l'ordre social qui fut entièrement son ou

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »