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QUATRIÈME

DISCOURS

L'HISTOIRE

SUR

ECCLESIASTIQUE.

I. Changemens

Eux qui ont lû avec quelque attention ce que j'ai donné de cette hiftoire, ont remarqué fans doute une grande difference entre la difcipline des dix premiers fiecles & celle des trois fuivans. Elle étoit dans la difcipline

gue

veritablement très-affoiblie dès le dixième fiecle: mais ce n'étoit
res que par ignorauce, & par des tranfgreffions de fait, que l'on con-
dannoit aufli-tôt qu'on ouvroit les yeux pour les reconnoître. Cn
convenoit toûjours qu'il falloit fuivre les canons & l'ancienne tradi-
tion. Ce n'eft que depuis le douzième fiecle, que l'on a bâti sur de nou-
veaux fondemens, & fuivi des maximes inconnues à l'antiquité. Encore
croïoit-on la fuivre lorfqu'on s'en éloignoit : le mal eft venu d'une
erreur de fait, & d'avoir pris pour ancien ce qui ne l'étoit pas. Car
en general on a toûjours enfeigné dans l'églife, qu'il falloit s'en tenir
à la tradition des premiers fiecles, pour la difcipline auffi-bien que

pour la doctrine. J'ai parlé des fauffes decretales attribuées aux papes Hift. liv. XLIT;
des trois premiers fiecles, qui fe trouvent dans le recueil d'Ifidore le " 220.
Marchand, & qui parurent fur la fin du huitiéme fiecle; & j'ai mar-
qué les preuves qui en démontrent la fauffeté. Voila la fource du mal:
l'ignorance de l'hiftoire & de la critique a fait recevoir ces decretales,
& prendre les nouvelles maximes qu'elles contiennent, pour la doc-
trine de la plus pure antiquité. Bernald prêtre de Conftance écrivant
fur la fin de l'onziéme fiecle, dit fur la foi de ces decretales; que fui-
vant la difcipline des apôtres & de leurs fucceffeurs, les évêques ne
devoient jamais être accufez ou très-difficilement reconnoiffant

toutefois que cette difcipline ne s'accorde pas avec le concile de Hift. liv. Lam. Nicée. Et avoüant que ce concile a défendu les tranflations d'évê- ". 53.

ques, il lui oppofe les papes Evaristes, Callifte & Anteros plus Can. 15. Nic, anciens, qui les ont permifes.

Après que l'églife. Romaine eut gémi cent cinquante ans fous plufieurs indignes papes qui profanerent le faint fiege: Dieu jettant un regard favorable fur cette premiere églife, lui donna Leon IX. que fa ver

Tome XVI

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II. Conciles.

Dift. 17.

Max.

epift. Fulii ad Orient.c.2. to. 2.

conc. p. 475

u a fait mettre au nombre des faints, & qui fut fuivi dans le reste de l'onziéme fiecle & dans tout le fuivant, de plufieurs autres papes vertueux & zelez pour le rétablissement de la difcipline, comme Gregoire VII. Urbain II. Pascal II. Eugene III. Alexandre III. Mais les meilleures intentions deftituées de lumiere font faire de grandes fautes; & plus on court vîte dans un chemin tenebreux, plus les chûtes font frequentes & dangereufes. Ces grands papes trouvant l'autorité des fauffes decretales tellement établie, que perfonne ne penfoit plus à la contefter: fe crûrent obligez en confcience à foûtenir let maximes qu'ils y lifoient, perfuadez que c'étoit la plus pure difcipline des tems apoftoliques & de l'âge d'or du Chriftianifme. Mais ils ne s'apperçûrent pas qu'elles contiennent plufieurs maximes contraires à celles de la veritable antiquité.

Il eft dit dans les fauffes decretales, qu'il n'eft pas permis de tenirde concile fans l'ordre ou du moins la permiffion du pape. Vous qui avez lû cette hiftoire, y avez vous rien vu de femblable, je ne dis epift. Marc. ad pas dans les trois premiers fiecles, mais jufqu'au neuvième? Je fay que l'autorité du pape a toûjours été neceffaire pour les conciles generaux ; & c'est ainsi que fe doit entendre ce que dit l'hiftorien Socrate qu'il y a un canon qui défend aux églifes de faire aucune regle fans le confentement de l'évêque de Rome. Et Sozomene dit, que le foin Socr. lib. 11. 8. de toutes les Eglifes lui appartient, à cause de la dignité de fon fiége.. 15. & ibi Valef. Mais quant aux conciles provinciaux & ordinaires, les correcteurs Sozom. lib. 111. Romains du decret de Gratien ont reconnu, que l'autorité du pape n'y est pas necessaire. En effet y a-t'il la moindre trace de permiffion ou de confentement du pape dans tous ces conciles, dont Tertulien, faint Cyprien & Eusebe font mention: foit au fujet de la pâque, de la reconciliation des penitens, ou du baptême des heretiques? Fut-il menHift. liv. 1. 2. tion du pape dans ces trois grands conciles d'Alexandrie, qui furent

c. 8.

Hift. liv. XII 2.

10. n. 21..

43. V. n. 45. VII. N. 7.27,

Conc. Nic. Can.

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tenus fur l'affaire d'Arius avant le concile de Nicée ? En fut-il mention au concile de C. P. convoqué par l'empereur Theodofe en 381? & toutefois le pape S. Damafe & tout l'Occident confentit à fes décifions: en forte qu'il eft compté pour le fecond concile œcumenique. Et je ne parle point de tant de conciles nationaux tenus en France, liv. xv111. n. 1. principalement fous les rois de la feconde race, & en Espagne fous les rois Goths. Quand le concile de Nicée ordonnoit de tenir deux conciles par an en chaque province, fuppofoit-il qu'on envoyeroit à Rome en demander la permiflion? Et comment auroit-on pû y envoïer fi frequemment des extrêmitez de l'Afie ou de l'Affrique ? La tenue des conciles provinciaux étoit comptée entre les pratiques ordinaires de la religion, à proportion comme la celebration du S. facrifice tous les dimanches: il n'y avoit que la violence des perfecutions qui en interrompit le cours, fi-tôt que les évêques fe trouvoient en liberté, y revenoient comme au moïen le plus efficace d'entretenir la difcipline. Cependant en confequence de cette nouvelle maxime, il ne s'eft prefque plus tenu de conciles depuis le douziéme fiecle où

:

ils

n'aïent prefidé des legats du pape ; & on s'eft infenfiblement désacoû

tumé de tenir des conciles.

III.

Hift. liv. VII. n.

Il eft dit dans les faufles decretales, que les évêques ne peuvent Jugemens des être jugez définitivement que par le pape feul, & cettè maxime y eft évêques. fouvent repetée. Toutefois vous avez vû cent exemples du contraire Epid. Eleuther & pour m'arrêter à un des plus illuftres, Paul de Samofite évêque 2. 3. q. 6.. d'Antioche le premier fiege de faint Pierre, & la troifiéme ville de Quamvis. Victor l'empire Romain, fut jugé & depofé par les évêques d'Orient & pift. 1. c 3. des provinces voisines, fans la participation du pape, à qui ils fe ful. ep. 2. c. 1. contenterent d'en donner avis après la chofe faite : comme il fe voit 4. Eufeb. vII. c. par leur lettre fynodale; & le pape ne s'en plaignit point. Rien n'eft 30. to. 1. conc. plus frequent dans les neuf premiers fiecles, que les accufations & P. 896. les depofitions d'évêques : mais leurs procez fe faifoient dans les conciles provinciaux, qui étoient le tribunal ordinaire pour toutes les caufes ecclefiaftiques. Il faut ignorer abfolument l'hiftoire de l'églife, pour s'imaginer qu'en aucun tems ni en aucun païs on n'ait jamais pû juger un évêque fans l'envoïer à Rome ou faire venir une commiffion du pape.

Sans même favoir les faits, il ne faut qu'un peu de bon sens pour voir que la chofe étoit impoffible. Dès le quatrième fiecle il y avoit un nombre prodigieux d'églifes en Grece, en Afie, en Syrie, en Egypte & en Affrique, fans parler du refte de l'Occident; & la plupart des évêques étoient pauvres & hors d'état de faire de grands voïages: auffi les empereurs les défraïoient pour les conciles generaux. Comment auroit-on pû les faire venir à Rome & non feulement eux, mais feurs accufateurs & les témoins encore plus pauvres pour la plûpart ? C'est toutefois ce qu'a dû fuppofer l'auteur des fauffes decretales ; & l'abfurdité de fa fuppofition a paru évidemment, quand les papes ont voulu la réduire en pratique. Gregoire VII. par exemple, perfuadé de bonne-foi, que lui feul étoit le juge competent de tous les évêques les faifoit venir tous les jours du fond de l'Allemagne, de la France ou de l'Angleterre. Il falloit quitter leurs églifes pendant des années entieres pour aller à Rome à grands frais, fe défendre contre des accufateurs qui fouvent ne s'y trouvoient pas : on obtenoit délais fur délais : le pape donnoit des commiffions pour informer fur les lieux & après plufieurs voïages & de longues procedures il donnoit fon jugement définitif, contre lequel on revenoit fous un autre pontificat. Souvent auffi l'évêque cité à Rome n'obéïffoit pas, foit par l'impoffibilité de faire le voïage par maladie, pauvreté ou autre empêchement, foit parce qu'il fe fentoit coupable: il méprifoit les cenfures prononcées contre lui, & fi le pape vouloit lui donner un fucceffeur, il s'en défendoit à main armée. Vous en avez vû des exemples; & voila les inconveniens de vouloir reduire en pratique ce qui n'a jamais été pra tíqué ni praticable,

Il eft vrai qu'en des occafions rares d'une oppreffion manifefte & d'une injuftice criante, les évêques condamnez par leurs conciles,

spift. 67.

Hift. liv. vi. n.

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pouvoient avoir recours au pape comme fuperieur de tous les évêques & confervateur des canons; & c'est la difpofition du concile de Sar c. C. 3. 4. 5. dique. Mais il veut que le pape, foit qu'il envoie un legat ou non,, fafle juger la caufe fur les lieux parce qu'il eft facile d'impofer à un juge éloigné.. C'est ce que releve S. Cyprien en parlant de Bafilide évêque d'Espagne, qui aiant été depofé dans fa province. avoit obtenu du pape S. Etienne, en lui déguifant la verité, des lettres pour fe faire rétablir, aufquelles le concile d'Affrique.n'eut point d'égard. Et quel ques années auparavant le même S. Cyprien écrivant au pape S. Ĉorneille, touchant le fchifmatique Fortunat, dir ces paroles remarqua→ bles: Il est établi entre nous, que chaque coupable foit examiné an lieu où le crime a été commis. Il ne faut donc pas que ceux qui nous font foumis courent çà. & là & mettent la défunion entre les évêques: qu'ils plaident leur caufe au lieu où ils peuvent avoir des accufateurs & des témoins. C'eft ainfi que S. Cyprien parle au pape même à qui Fortunat avoit porté fes plaintes. Après tout, ce recours au pape permis par le concile de Sardique regardoit. principalement les affaires extraordinaires & les évêques des plus grands fieges, comme S.. Athanafe, S. Jean Chryfoftome, S. Flavien de C. P. qui n'avoient point d'autre fuperieur à qui s'adreffer.

Cypr. epift. 39.
Hist. liv. vII. n.

8.

IV.

Erections, &c.

Conc. Sar. Can.

feul

Ce font encore les fauffes decretales qui ont attribué au pape le droit de transferer les évêques d'un fiége à l'autre. Toutefois le Tranflations. concile de Sardique & les autres qui ont défendu & feverement les tranflations, n'ont fait aucune exception en faveur du pape; & quand epift. 2 Evar. dans des cas très-rares on a fait quelque tranflation pour l'utilité évi79. 1. ficut vir. dente de l'Eglife: elle s'eft faite par l'autorité du metropolitain & Callifti ep. 1. to. du concile de la province. Nous en avons un exemple illuftre en la per 5. conc. p. 931. fonne d'Euphrone de Colonie, que S. Bafile transfera au fiege de Nicopolis. Loin que le pape autorifât les tranflations, l'Eglife Romaine Bafil. epift. 193. a été la plus fidelle à obferver les canons qui les défendoient: nous ne trouvons pendant 900. ans aucun évéque transferé au fiege de Rome: Formofe fut le premier ; & ce fut un des pretextes de le deterrer après fa mort. Mais depuis que l'on a fuivi les fauffes decretales, les tranflations ont été frequentes en Occident où elles étoient inconnuës; & les papes ne les ont condamnées que lorsqu'elles étoient Inn. Gefta n. 43. faites fans leur autorité, comme nous voïons dans les lettres d'In ep. lib. 1. 50. Js. &c.

I. 2.

Hift. liv. 2. 33.

XVII.

Hift. liv. LIV. n. 12. 27.

nocent III.

Il en eft de même de l'erection des nouveaux évêchez; fuivant les faullès decretales elle appartient au pape feul; fuivant l'ancienne difcipline c'étoit au concile de la province, & il y en a un canon exprès dans les conciles d'Affrique. Et certainement à ne confiderer que le progrez de la religion & l'utilité des fidelles, il étoit bien plus raifon · Epift. 1. Clem. nable de s'en rapporter aux évêques du païs, pour juger des villes to. 1. conc. p. 91. qui avoient befoin de nouveaux évêques, & pour choisir les fujets God. Eccl. Affr. propres, que d'en renvoïer le jugement au pape, fi éloigné & fi peu à portée de s'en bien inftruire. On a beau nommer des commislaires,

Can. 98.

al. 261.

Hincmar Opus.

&faire des informations de la commodité & incommodité, ces procedures ne valent jamais l'infpection oculaire & la connoiflance qu'on Aug. epift. 209. prend par foi-même. Auffi quand S. Auguftin fit eriger le nouveau Lege de Fuffale, il n'envoïa point à Rome, il ne s'adreffa qu'au pri- Hift. liv. xxiv. mat de Numidie ; & fi le pape en entendit parler, ce ne fut qu'à l'oc-". 34. cafion des fautes perfonnelles de l'évêque Antoine: mais il ne fe plai- Hift. liv. xxx. n. gnit point que l'erection de cet évêché eût été faite fans fa parti- 46. cipation. S. Remi n'eût point non plus recours au pape pour eriger l'évêché de Laon; mais il le fit, dit Hincmar, de l'autorité du concile d'Affrique, c'est-à-dire, du canon que j'ai cité. C'est les decretales qui donnent ce droit au pape, n'étoient pas encore fabriquées. Quant à l'union ou à l'extinction des évêchez, je ne vois autre fondement de les attribuer au pape feul que quelques autoritez de S. Gregoire rapportées par Gratien. Mais il ne prenoit pas garde que S. Gregoire n'en ufoir ainfi, que dans la partie meridionnale d'Italie Hift. liv. xxxv. dont Rome étoit la métropole, ou dans la Sicile & les autres ifles, n. 17. 19. qui dependoient particulierement du S. fiege.

que

Dans les premiers fiecles les métropoles étoient rares à proportion

33. c. 16.

16. q. I. c. 48.

49.

du nombre des évêchez, afin que les conciles fuffent nombreux : car la principale fonction des metropolitains étoit d'y prefider. Mais depuis que les papes ont été en poffeffion de faire les crections, ils ont créé principalement en Italie grand nombre de metropoles fans neceffité, feulement pour honorer certaines villes. Le concile de Nicée, qui fans doute avoit droit d'attribuer aux Eglifes de nouvelles prerogatives, dit fimplement que l'on confervera leurs privileges, fuivant l'ancienne coûtume. Ce qui montre que la diftinction des metropoles & des églifes patriarchales étoit déja confirmée par une longue poffeffion. Les papes depuis l'onziéme fiecle n'ont pas feulement fait des metropolitains, mais encore des patriarches & des primats: le tout fur Clem. ep. 1. dift. le fondement des fauffes decretales, favoir, de la premiere lettre at- 8o. c. I.

Can..69

tribuée à S. Clement, de la feconde & de la troifiéme du pape Anaclet: Anacl. ep. 2. c. 4ï où il eft dit, que les apôtres & leurs fuccefleurs établirent des patriar- ep. 3. c. 3. dift. ches & des primats dans les villes, où fuivant le gouvernement tem- 99. c. I. porel étoient les principaux magiftrats, & où les païens avoient des Archiflamines: nom barbare qui ne fe trouve que dans ces decretales. Or vous avez vû que dans les premiers fiecles; on ne connoiffoit pas même le titre d'archevêque, on difoit l'évêque de Rome ou d'Alexandrie comme de la moindre ville ; & dans leurs lettres il fe traittoient de frere avec une égalitélparfaite, comme on voit par les infcriptions des lettres de S. Cyprien. A mefure que la charité s'eft refroidie, les titres & les ceremonies ont augmenté. L'évêque d'Ale

xandrie fut le premier,comme l'on croit, qui prit le nom d'archevêque: Cange. glof. l'évêque d'Antioche prit celui de patriarche, & le nom de primat Arch. fut particulier à l'Affrique. Mais l'auteur des faufles decretales n'en favoit pas tant; & il ne fait aucune mention du titre d'exarque fi fameux en Afic.

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