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moins plus sage que pour les droits d'amirauté. Une puissance qui possède une immense supériorité navale peut avoir intérêt, ou supposer avoir intérêt à prendre le droit de confisquer la propriété d'un ennemi saisie avant une déclaration de guerre ; mais une nation qui, par l'étendue de ses capitaux, doit généralement être la créancière de tous les pays commerçants, ne peut, certes, avoir aucun intérêt à confisquer les dettes dues à un ennemi, puisque cet ennemi est en position dans presque tous les cas de lui rendre la pareille avec un effet bien plus préjudiciable. C'est pourquoi, bien que la prérogative de confisquer ces dettes existe en théorie, il est rare qu'on l'exerce dans la pratique. Le droit du créancier originaire de suivre le recouvrement de sa dette n'est pas éteint, il n'est que suspendu la guerre, et renaît en pleine vigueur au retour de la paix. MASSE, le Droit commercial dans ses rapports avec le droit des gens, 2o édit., t. I, p. 139, en examinant l'opinion de VATTEL, le Droit des gens, liv. III, chap. v, § 77, et de BYNKERSHOEK, Quæst. jur. publ., lib. I, cap. vii, établit des distinctions en faveur des droits du créancier.

On lit à ce sujet, dans une biographie du comte Mollien par M. Michel Chevalier, insérée dans la Revue des Deux-Mondes, année 1856, que pendant son séjour à Posen, l'empereur Napoléon Ier, supposant au cabinet de Londres l'intention de confisquer les fonds de la dette publique anglaise appartenant à des Français, ordonna à son ministre du trésor d'examiner si, dans le cas où il en agirait ainsi, il ne faudrait pas recourir à la même rigueur. « La matière est très-délicate, disait-il, je ne veux pas donner l'exemple; mais si les Anglais le font, je dois user de représailles. » M. Mollien répondit qu'un pareil acte lui paraissait trop contraire à la politique anglaise pour qu'il pût y croire, qu'il souhaitait que le cabinet de Londres commît une telle faute, mais qu'on la lui rendrait plus funeste en ne l'imitant pas. A cette occasion, il envoya à l'empereur le mémoire de Hamilton, l'ami, le conseiller et le ministre de Washington, sur la question de savoir si la règle de la politique, plus encore que celle de la morale, n'interdisait pas à tout gouvernement, non-seulement de confisquer les capitaux qui lui avaient été prêtés par les sujets d'une puissance avec laquelle il serait en guerre, mais même de suspendre à leur égard le service des intérêts. Napoléon n'insista plus sur cet objet.

Pinheiro-Ferreira ajoute, avec raison, que la guerre n'étant, dans ses principes, que de gouvernement à gouvernement, et jamais de nation à nation, il ne saurait admettre de représailles ou rétorsions que sur ce qui appartient aux gouvernements belligérants, c'est-à-dire sur tout ce qui constitue les moyens de force à la disposition du gouvernement, et par conséquent destiné à nous porter dommage. CH. V.]

2 259. Des différents genres de Représailles.

Le genre le plus usité de représailles, c'est la saisie des personnes ou des biens qui se trouvent soit sur notre territoire (a), soit en pleine mer, soit sur le territoire de la puissance contre laquelle on use de ce moyen. Mais ce genre n'est pas le seul, et toute violation d'un droit parfait de l'autre, soit primitif ou acquis, soit affirmatif ou négatif, peut, d'après les circonstances, se changer en représailles.

[Les représailles sont ou négatives ou positives. Elles sont négatives dans le cas où l'État qui les exerce se refuse à remplir l'obligation qu'il a contractée, ou à laisser une autre nation jouir du droit qu'elle réclame; elles sont positives dans le cas où l'État qui les exerce saisit les personnes et les biens d'une autre nation pour obtenir satisfaction.

Les représailles sont aussi générales ou spéciales. Elles sont générales dans le cas où l'État offensé ou qui se croit offensé, enjoint à ses sujets de s'emparer des personnes et des biens d'une autre nation dans tous les lieux où ils pourront les trouver. Un pareil ordre équivaut à une déclaration d'hostilités, ou plutôt à la guerre elle-même. Les représailles ne sont que spéciales, lorsque, en temps de paix, un gouvernement accorde des lettres de repré

(a) Quelquefois les traités s'opposent à la saisie de ces biens qui, sous la foi du droit des gens, ont été reçus chez nous. V. mon Essai concernant les armateurs, 8 4.

sailles à des personnes qui ont été lésées par un gouvernement étranger ou par des sujets de ce gouvernement, Elles ne s'accordent que dans le cas d'un déni de justice évident.

260.

CH. V.]

A qui appartient le Droit d'user de Représailles.

Comme, dans la relation réciproque entre les sujets de deux États, l'état naturel continue à subsister, le droit rigoureux des nations n'empêcherait pas qu'ils ne pussent de leur chef exercer des représailles légitimes contre l'individu qui leur manque, après avoir vainement tenté les voies de la douceur et de la justice. A défaut de traités, le droit public seul s'y oppose. Aussi, dans le moyen âge, où cette dernière considération était souvent négligée, rien n'était plus fréquent que ces représailles privées. Cependant l'expérience ayant fait voir jusqu'à quel point il est dangereux pour le repos et le bien-être de chaque État, et pour la conservation des traités avec les étrangers, d'abandonner l'usage de ce droit à l'arbitraire des particuliers, on trouve déjà des lois et des traités du quatorzième siècle qui bornent ces représailles à une permission particulière que le sujet doit obtenir de son souverain, moyennant des lettres de marque ou de représailles par lesquelles celui-ci l'autorise à ces voies de fait (a). Et le nombre de ces lois et de ces traités s'est tellement accru, qu'aujourd'hui, dans la règle (b), toute représaille exercée sans permission est

(a) BOUCHAUD, Théorie des traités de commerce, p. 483 et suiv., De RÉAL, t. V, p. 401; mon Essai concernant les armateurs, chap. 1, % 4. Le droit de les accorder est un droit du gouvernement, et non des tribunaux de justice.

(b) Cependant quelques voies de fait de peu de conséquence sont tolérées quelquefois entre des voisins, pour se maintenir dans la possession de leurs droits; on en rencontre de fréquents exemples, surtout en Alle

taxée de brigandage ou de piraterie, et punie comme tel.

Il est même rare aujourd'hui qu'un État accorde de telles lettres de représailles en temps de paix (c), parce que, d'un côté, les traités mêmes limitent les cas où l'on pourrait user de ce moyen, et que, de l'autre, si ces cas ont lieu, l'État préfère user lui-même de représailles en faveur de ses sujets (d).

261. S'il est permis d'user de Représailles en faveur ou au préjudice de tierces puissances.

C'est pour l'avantage de notre propre État et de ses membres qu'il est permis d'user de représailles, mais non en faveur de tierces puissances, ou de leurs sujets, qui les sollicitent (a) à l'égard de personnes ou de biens appartenant à la nation ou aux sujets de la nation contre laquelle ils forment des prétentions. Et s'il est des cas où, à leur instance, on peut décerner une saisie sur des biens que leurs débiteurs privés possèdent chez nous, cette saisie de

magne, où les lois et les usages les autorisent, bien qu'elles aient souvent la nature des représailles.

(c) Exemples de telles lettres dans Laws of the admiralty, t. I, p. 220; et de 1778, en France dans le Code des prises, t. II, p. 657; et de 1794, dans VAN STECK, Essais, p. 42.

(d) V. mon Erzählungen merkwürdiger Fälle, t. I, p. 31.

(a). Exemple de 1662, où l'Angleterre voulait user de représailles sur des vaisseaux hollandais à l'avantage de l'ordre de Malte. V. Vattel, p. I, liv. II, 2 348; GROTIUS, lib. III, cap. п; BARBEYRAC, dans ses Notes sur BYNKERSHOECK, Du juge compétent des ambassadeurs. chap. xxII, 2 5, n. 1, 3: VOET, ad D., tit. De judiciis, n. 31. Si les cantons suisses ont établi le principe d'user de représailles même en faveur d'un autre canton, c'est qu'ils forment un système commun d'États confédérés, et peuvent se considérer comme un tout vis-à-vis des étrangers. Le principe n'a pas été expressément confirmé par le traité d'alliance du 8 septembre 1814 et du 7 août 1815, mais il semble pourtant en découler.

droit, qui est un acte de juridiction, n'a point lieu au sujet de différends élevés immédiatement entre de tierces nations, à l'égard desquelles nous ne sommes pas en droit de nous ériger en juges; d'ailleurs elle est essentiellement à distinguer de la saisie de fait que renferment les représailles, et dont la foi du droit des gens, sous laquelle ces biens ont été reçus chez nous, doit nous empêcher d'user.

D'un autre côté, ce n'est que contre la nation dont on se plaint qu'on peut être autorisé à des représailles, et les moyens choisis à cette fin devraient ne jamais porter atteinte aux droits d'une tierce puissance amie (b).

[Les puissances tierces ne sont pas tenues, en principe, de donner suite aux réclamations qui leur seraient adressées par les parties intéressées. Elles ne peuvent même faire usage d'actes de représailles, suivant la juste remarque de HEFFTER, le Droit international public de l'Europe, traduction de M. Bergson, § 110 in fine, dans l'intérêt de l'une des parties qu'autant que les traités leur imposent un devoir d'intervention. Ce devoir se manifeste surtout avec une certaine force dans le sein des États fédératifs, et l'art. 37 de l'acte final de Vienne l'a formellement consacré au profit de la diète germanique. Pour la Suisse, il a été également reconnu qu'un canton pouvait exercer des représailles dans l'intérêt d'un autre canton. V. cependant en sens contraire BYNKERSHOECK, De for. legat., cap. XXII.

CH. V.]

(b) C'est cependant ce que malheureusement on ne voit que trop souvent arriver en temps de guerre touchant la navigation des puissances neutres; et la guerre de la révolution n'est pas la seule dans laquelle on · a vu des puissances belligérantes violer les droits les plus manifestes et les plus clairement fondés dans leurs traités avec des puissances neutres, sous le prétexte d'user de représailles contre l'ennemi; mais jamais ces excès n'ont été portés plus loin que dans ces guerres de la France, surtout depuis 1806. V. plus bas, 2 326 b,

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