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militaire que politique, ayant pour objet la direction, la mutuelle direction des troupes autrichiennes et françaises qui pouvaient se trouver en Italie, dans l'éventualité d'une déclaration de guerre de l'Autriche contre la Russie, et l'Autriche n'ayant jamais fait cette déclaration de guerre, cette convention, quoique signée, est restée une lettre morte et n'a jamais eu aucun effet ni reçu aucune application. » M. Disraéli trouva l'aveu incomplet: « J'affirme encore, dit-il, que ce n'est point une convention, mais un traité; qu'on l'a non-seulement signé, mais exécuté.... J'affirme de nouveau, qu'il existe un traité, un traité secret, entre la France et l'Autriche, dont l'objet est de garantir à l'Autriche la sécurité de ses possessions italiennes; que, selon ma ferme conviction, ce traité n'est aucunement limité dans ses effets, et que le caractère que le noble lord lui a attribué l'autre soir, est entièrement inexact. >>

On voit quel chemin avait fait l'interpellation de l'éloquent adversaire du cabinet, et quel chemin aussi avaient fait les explications de celui-ci. Mais M. Disraéli, à ce que prétendait l'organe du ministère, — aurait ajouté que le traité avait été exécuté à l'instigation (interruption de M. Disraéli): « à la demande,» insistance de lord Palmerston : « à l'instigation de l'Angleterre. » J'ai nié, continuait ce ministre, et je nie encore complétement cette assertion. » (Communes, 12 février.) L'incident devait présentement s'arrêter là; de part et d'autre les déclarations étaient assez claires. Seulement il était positif, que s'il y avait eu convention ou traité, il était douteux qu'il y eût eu exécution, quoi qu'en pût dire M. Disraéli, et c'est ce qu'il importait d'établir dans cette partie de l'Annuaire consacrée à la France.

Il ne sera pas sans intérêt, à propos de ces débats qui se rattachaient plus ou moins aux événements accomplis en Orient, de reproduire le sens ou les termes d'une Note du Moniteur relative à l'ensemble de la politique française durant cette période, et en particulier au sujet des Principautés. « Le gouvernement de l'Empereur a toujours été inspiré, y disait-on (5 février), par une double pensée dans les affaires d'Orient: s'il a entendu, dans un intérêt général de politique à la fois francaise

et européenne, assurer l'indépendance et le maintien de l'empire ottoman, une de ses non moins constantes préoccupations a été de voir s'améliorer le sort des populations chrétiennes, qui relèvent de la souveraineté ou de la suzeraineté du Sultan. Il regarde comme un des résultats les plus heureux de sa politique et des efforts de ses armes, d'avoir contribué à relever la condition de ces nombreuses populations en leur faisant obtenir l'égalité des droits et des avantages de la liberté religieuse. Le gouvernement de l'Empereur était d'autant plus porté à tenir cette conduite, qu'il avait la conviction de servir à la fois la cause de l'humanité et de la civilisation, et de seconder les dispositions éclairées et bienveillantes du gouvernement ottoman.

Suivait le paragraphe relatif aux populations chrétiennes de Servie, de Valachie et de Moldavie. « En possession d'institutions propres, elles jouissaient de franchises et de priviléges anciens : il ne s'agissait donc que de leur assurer le maintien de ces avantages, en les plaçant sous la garantie du droit européen, et d'y puiser de nouveaux éléments d'ordre et de prospérité pour le pays. » Et la Note rappelait que c'est en se plaçant à ce point de vue, que le Congrès de Paris avait décidé que les Principantés Moldo-Valaques seraient appelées à nommer deux assemblées ou divans ad hoc, ayant pour mandat spécial d'exprimer les vœux de ces provinces et d'indiquer les modifications qu'il conviendrait d'introduire dans leur organisation. « Au premier rang de ces modifications éventuelles, continuait la Note, figure sans doute celle qui consisterait à réunir sous une seule et même administration la Moldavie et la Valachie, » et le Moniteur remarquait que le gouvernement de l'Empereur avait saisi l'occasion naturelle que lui offrait le Congrès de Paris pour se prononcer formellement en faveur de cette combinaison; que, déjà, dans les conférences de Vienne, le plénipotentiaire de France avait exposé que la réunion était «< la combinaison la plus propre à assurer à la Moldavie et à la Valachie la force et la consistance nécessaires pour devenir de ce côté une barrière utile à l'indépendance du territoire ottoman. » Le gouvernement de l'Empereur n'avait pas cessé de professer cette manière de voir, dans laquelle l'échange de communications

entre lui et les cabinets pensant différemment, l'avait affermi. Il ne désespérait pas de la voir prévaloir dans les conseils des puissances, car celle de toutes qui était la plus directement intéressée dans la question, reconnaîtrait sans doute, au jour d'une délibération approfondie, que l'union des Principautés, « qui serait pour elle un gage nouveau de sécurité et d'indépendance extérieure, et pour les populations un élément fécond de prospérité, n'avait rien qui ne fût complétement d'accord avec les droits de suzeraineté actuellement exercés par la Sublime Porte à l'égard des provinces danubiennes.

Ce langage témoignait sans ambages, que le Gouvernement n'avait point varié depuis le Congrès de 1856 sur la question de l'union des Principautés. En même temps, la Note résumait les grands principes engagés dans la question d'Orient, à savoir le maintien de l'Empire ottoman dans l'intérêt de l'équilibre européen; l'égalité civile et politique entre les chrétiens et les Turcs; enfin, et ceci devait être surtout remarqué, le rappel du principe de la suzeraineté, et non de la souveraineté de la Turquie dans les Principautés.

La note du Moniteur faisait à juste titre une distinction importante de laquelle il résultait que si les chrétiens turcs devaient être soumis à la souveraineté de la Porte, par contre la Servie et les Principautés ne subiraient que sa suzeraineté. Enfin, il résultait du document dont nous avons reproduit la substance, que le gouvernement français ne suivait pas celui du Sultan, dans l'antipathie pour l'union des Principautés que son action sur les Divans moldave et valaque paraissait révéler. Elle se traduisit bientôt en faits scandaleux. On en jugera d'après les détails reproduits (juillet) par l'organe même du gouvernement français dont la conduite, dans toute cette affaire, était si judicieuse et d'ailleurs si nationale. Il en résultait clairement que, pour amener des élections contraires à l'union des Principautés, le caïmacan ne recula ni devant l'intimidation, ni devant la corruption. Ces manœuvres se trouvaient hautement dénoncées dans une lettre adressée à M. Vogorides par le préfet de Galatz, M. Couza, à la date du 6 juillet.

Ce fonctionnaire, contraint de donner sa démission, concluait,

après l'énumération des faits trop patents qu'il dénonçait, en les proclamant attentatoires aux droits des citoyens, et contraires au texte du firman basé sur le traité de Paris. On verra plus loin (Principautés danubiennes) en quoi consistaient les faits dont arguait l'ancien préfet; il suffira de faire observer que les puissances, la France et la Grande-Bretagne surtout, se devaient à elles-mêmes de ne pas sanctionner des élections si contraires à l'esprit du traité destiné à pacifier l'Europe et à refouler pour longtemps des ambitions au moins prématurées. C'est aussi ce quí arriva. Des élections faites sous de si fâcheux auspices ne pouvaient pas être « l'expression du vœu des populations, » elles témoignaient plutôt que des influences étrangères pesaient sur ceux qui les dirigeaient. Elles devaient donc être annulées. Les puissances qui avaient si victorieusement concouru à rendre au Sultan une sécurité sérieusement menacée exigèrent, ou pour nous servir d'un terme adouci, désirèrent cette annulation, et le 24 août, le ministre des affaires étrangères de la Sublime Porte adressait à ce même caïmacan de Moldavie, qui procédait à de si singulières élections, une dépêche qui lui enjoignait de les annuler. Elle était ainsi conçue:

La Sublime Porte, en vertu d'une entente établie entre elle et les six puissances cosignataires du traité de Paris, vous ordonne: 1o d'annuler les élections qui ont eu lieu dans cette province; 2o de reviser les listes électorales sur la base suivante, savoir l'application des interprétations données en Valachie à quelques points douteux du firman électoral dans les cas absoJument identiques, sauf les cas particuliers à la Moldavie; 3° de procéder aux nouvelles élections, à l'expiration de quinze jours, à dater de la réception de cet ordre. »

Le triomphe de la politique française et anglaise en cette occurrence n'était pas douteux, et ce qui le prouvait surabondamment, c'était le complet revirement qui s'opéra aussitôt dans l'esprit du caïmacan de Moldavie qui publia un Office adressé au Conseil administratif, dans lequel il désavouait « toute immixtion directe ou indirecte des autorités en vue d'influencer les opérations électorales. »

En présence de ce résultat de la politique occidentale, de la

France en particulier, on était naturellement porté à se demander quel intérêt, outre celui de la civilisation en général, le gouvernement français pouvait avoir au règlement, dans le sens de sa politique, de la situation des Principautés. Cet intérêt se résumait principalement dans la question de la navigation du Danube, qu'un économiste distingué (M. Chemin-Dupontès) appelle avec assez de raison le Mississipi du continent européen. Le Danube est la grande route fluviale de l'Europe intérieure. On pouvait donc envisager comme l'événement commercial le plus considérable celui qui, mettant fin au privilége ancien de l'Autriche, avait amené l'admission de toutes les marines dans les eaux du Danube sur le pied d'une complète égalité, et confié à une commission internationale (V. Ann. 1856) l'étude des moyens d'améliorer la navigabilité du fleuve. Jusqu'alors tout le mouvement commercial qui s'opérait par le Danube et par ses affluents, était aux mains de la Compagnie impériale et royale qui, présentement encore, s'intitulait Compagnie privilégiée, contrairement, il importe de le remarquer, à la déclaration de franchise édictée par le traité de Paris. Combien elle devait tenir au maintien de son privilége, c'est ce qui ressort suffisamment de l'inventaire de ses ressources actuelles: 102 pyroscaphes destinés au transport des voyageurs; 300 autres steamers affectés au transport des grosses marchandises; enfin, pareil nombre à peu près d'embarcations diverses disséminées sur tous les points et affluents du Danube, c'est-à-dire un ensemble d'environ 750 bâtiments de toute nature et contenance représentant un capital de près de 50 millions. En 1854, les bateaux de la Compagnie transportaient 1,432,000 voyageurs et 690,000 tonnes de grosses marchandises. Inutile d'ajouter que ce qu'ils apportaient sur les marchés danubiens, c'étaient les produits fabriqués de Vienne, de Leipzig, de Berlin, de Francfort, de même qu'ils reportaient aux provinces allemandes, et par la Saxe, jusqu'à Trieste, les denrées des pays roumains. La France ne pouvait ni ne devait rester impassible devant ce grand mouvement commercial. Aussi bien, dès que le Congrès de Paris eut déclaré la liberté du Danube, le capitaine Magnan s'empressa-t-il d'y porter le pavillon français. Hâtons-nous d'ajouter qu'il fut accueilli avec enthou

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